Les Écossais à Terre-Neuve-et-Labrador

Les principales migrations écossaises vers Terre-Neuve-et-Labrador ont eu lieu au 19e siècle en deux phases distinctes. La première phase migratoire a été marquée par l'arrivée en masse des Lowlanders (habitants des Basses Terres de l'Écosse) dans la péninsule d'Avalon, une région où l'essor de l'industrie de la pêche a ouvert de nombreuses perspectives d'avenir dans le domaine des échanges et du commerce. Ces migrants étaient presbytériens. Ils arrivaient seuls ou en petits groupes familiaux, parlaient l'anglais et étaient relativement bien éduqués et fortunés. Plusieurs d'entre eux sont devenus des membres éminents de la société de Terre-Neuve-et-Labrador en exerçant des métiers et des professions représentatifs des classes moyenne et moyenne supérieure.

À l'inverse, la migration des Highlanders (habitants des Hautes Terres de l'Écosse) vers le sud-ouest de l'île de Terre-Neuve a commencé en 1841 pour prendre fin dans les années 1860. Contrairement à leurs homologues originaires des Basses Terres, ces hommes et ces femmes étaient catholiques romains pour la plupart. Ils parlaient le gaélique et étaient agriculteurs. Ils migraient par familles nombreuses à la recherche de bonnes terres agricoles sur l'île. La plupart n'arrivaient pas directement d'Écosse, mais plutôt de l'île du Cap-Breton où ils s'étaient d'abord installés – ou peut-être leurs parents et grands-parents avant eux – pour acquérir une terre.

Migrations et liens commerciaux

L'implication des Écossais à Terre-Neuve-et-Labrador remonte au début du 17e siècle alors que les colonisateurs anglais ont établi sur l'île quelques colonies permanentes telles que Cuper's Cove (aujourd'hui appelé Cupids) et Ferryland. L'un de ces colonisateurs, John Mason, a sollicité du financement auprès des marchands écossais pour inciter les migrants d'outre-mer à venir s'établir sur l'île. L'influence de Mason a aussi poussé le colonisateur écossais Sir William Alexander à établir des colonies écossaises dans le Nouveau Monde. En 1621, Alexander a obtenu une concession de terres sur l'île, laquelle s'étendait de la baie de Plaisance au golfe du Saint-Laurent.

Ces deux hommes faisaient la promotion de l'île de Terre-Neuve comme étant une terre d'accueil potentielle pour les migrants écossais, mais ils ont été largement infructueux à attirer des colons dans cette région. Alexander a renoncé à coloniser l'île après qu'on lui eut octroyé une concession de terres encore plus importante dans la région où se trouve aujourd'hui la Nouvelle-Écosse. Quant à Mason, il s'est installé en Nouvelle-Angleterre dans les années 1620 après avoir servi comme gouverneur de la colonie de Cuper's Cove de 1615 à 1621.

Carte de John Mason, vers 1625
Carte de John Mason, vers 1625
Au début du 17e siècle, John Mason faisait la promotion de l'île de Terre-Neuve comme étant une terre d'accueil potentielle pour les migrants écossais, mais son entreprise a largement échoué.
Avec la permission du Centre des études terre-neuviennes, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Plus tard, au début du 18e siècle, c'est-à-dire après l'union des parlements anglais et écossais pour former le Royaume-Uni de Grande-Bretagne en 1707, l'Écosse a créé des liens commerciaux avec Terre-Neuve et le Labrador. Cette union a permis aux marchands écossais de commercer avec les colonies britanniques du Nouveau Monde, dont Terre-Neuve et le Labrador. Plusieurs entreprises des Basses Terres ont commencé à expédier de l'approvisionnement et du matériel à St. John's et dans d'autres ports de l'île, souvent en échange de poisson salé séché.

Le fleuve Clyde, vers 1816
Le fleuve Clyde, vers 1816
Greenock, Glasgow et d'autres ports situés le long du fleuve Clyde, en Écosse, ont établi des liens commerciaux avec la future province de Terre-Neuve-et-Labrador au début du 18e siècle.
Aquarelle de George Heriot. Le fleuve Clyde. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (1989-471-12R).

Toutefois, ce n'est qu'au 19e siècle que les migrants écossais se sont installés en grand nombre sur l'île de Terre-Neuve. Les Lowlanders se sont installés sur la côte est de l'île à partir du début des années 1800 afin de profiter de l'essor rapide de l'industrie de la pêche dans la colonie tandis que les Highlanders ont quitté l'île du Cap-Breton entre les années 1840 et 1860 pour aller s'installer à baie Saint-Georges et dans la vallée de Codroy. Des groupes plus petits sont aussi arrivés au Labrador dans le but de travailler comme commerçants pour la Compagnie de la Baie d'Hudson. Même si le recensement de 1857 (le premier à dénombrer les Écossais) indique que 416 personnes natives d'Écosse vivaient sur l'île, le nombre exact d'Écossais ayant émigré à Terre-Neuve et au Labrador au cours du 19e siècle demeure inconnu à ce jour, principalement à cause de la nature incomplète ou confuse des états de recensement, des registres paroissiaux et d'autres données.

Contribution à la société

Même s'ils étaient beaucoup moins nombreux que les colons d'origine anglaise et irlandaise, les immigrants écossais figuraient souvent parmi les membres les plus influents de la société. Ils ont grandement contribué au développement de Terre-Neuve et du Labrador sur les plans politique, économique et culturel. Leur influence s'est fait sentir tout spécialement sur la côte est, là où les migrants écossais étaient généralement bien éduqués, fortunés, et membres des classes moyenne et moyenne supérieure. Plusieurs d'entre eux occupaient des postes de pouvoir et de haute responsabilité en tant que marchands, politiciens, hommes d'affaires, médecins, enseignants et ministres.

Certains colons écossais ont instauré des changements importants d'une grande portée dans la société de Terre-Neuve et du Labrador. Le médecin et réformateur politique William Carson, par exemple, a fait campagne avec succès pour réclamer une assemblée législative représentative, ce qui a permis au peuple d'élire son propre gouvernement. Il a aussi contribué à ouvrir le premier hôpital civil de St. John's en 1814.

Le travail de l'entrepreneur canado-écossais Robert G. Reid a considérablement transformé la société et l'économie de Terre-Neuve et du Labrador. Son chemin de fer, qui traversait l'île, a révolutionné le transport et les communications en reliant les ports secondaires isolés les uns aux autres ainsi qu'aux grands centres. Au lieu d'aller travailler à pied ou par bateau, les résidants pouvaient se rendre dans les villages éloignés en quelques heures seulement. Le chemin de fer a aussi favorisé l'essor industriel du centre de l'île en permettant de nouvelles opérations minières et forestières qui ont permis de diversifier l'économie grâce à d'autres activités que celles rattachées à l'industrie de la pêche.

Robert G. Reid (1842-1908), s.d.
Robert G. Reid (1842-1908), s.d.
L'entrepreneur canado-écossais Robert G. Reid a eu une influence durable sur la société et l'économie de l'île de Terre-Neuve en construisant, dans les années 1890, un chemin de fer qui traversait l'île. Le chemin de fer a révolutionné le transport et les communications en reliant les ports secondaires isolés les uns aux autres ainsi qu'aux grands centres de l'île.
Tiré de Newfoundland Men, de Henry Youmans Mott, Concord, N.H., Cragg, 1894, p. 267.

Les Lowlanders établis sur la côte est de l'île ont aussi aidé à établir l'Église presbytérienne à Terre-Neuve et au Labrador. Même si des Écossais s'étaient installés dans la péninsule d'Avalon dès le début du 19e siècle, ils étaient relativement peu nombreux et la plupart fréquentaient les Églises congrégationalistes et d'autres confessions déjà présentes sur l'île. Toutefois, dans les années 1840, on comptait suffisamment de colons écossais à St. John's pour créer la première congrégation presbytérienne de la colonie. C'est ainsi que l'église St. Andrew's a ouvert ses portes en 1843.

Les migrants écossais ont aussi grandement contribué à établir des entreprises agricoles sur la côte ouest de l'île. Contrairement aux Écossais commerçants établis dans la péninsule d'Avalon, ceux de l'ouest étaient des colons agriculteurs venus au pays pour trouver une terre. La plupart avaient quitté les régions agricoles les plus densément peuplées de l'île du Cap-Breton entre les années 1840 et 1860 pour aller s'installer à baie Saint-Georges et dans la vallée de Codroy, là où il était encore possible de trouver des terres arables parmi les meilleures de la colonie. En 1857, environ 422 habitants de cette région avaient déjà défriché environ 550 acres de terre. En plus de cultiver des légumes, plusieurs d'entre eux fabriquaient du beurre et élevaient des bovins, des moutons et d'autres animaux de bétail.

Contrairement à plusieurs autres groupes ethniques minoritaires qui se sont installés dans la colonie au cours du 19e siècle, les Écossais n'avaient pas le fardeau de s'adapter à une culture éloignée de la leur. Leur situation était donc très différente de celle des Chinois, Juifs, Libanais et autres immigrants, car de nombreux Écossais parlaient l'anglais, étaient chrétiens et n'avaient pas de différences visibles avec leurs voisins. Il a vraisemblablement été plus facile pour eux de s'intégrer et de s'épanouir dans leur nouvelle société. De plus, plusieurs Écossais de la péninsule d'Avalon avaient l'avantage d'avoir une bonne éducation tandis que ceux de la côte ouest vivaient presque exclusivement en larges groupes composés de personnes unies par des liens de parenté, ce qui leur permettait de compter sur le soutien de leur famille.

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