Le rose, blanc et vert

Impossible de rater le drapeau rose, blanc et vert à Terre-Neuve-et-Labrador. Il occupe une place de choix sur une large gamme de vêtements et d'accessoires souvent avec la mention « Republic of Newfoundland » [République de Terre-Neuve]. Les médias et Internet soutiennent qu'il représente l'île depuis environ 200 ans. Pourtant, Terre-Neuve n'a jamais eu le statut politique de république, et ce drapeau n'est certainement pas officiel ou républicain. Pour certains, c'est l'histoire agitée de la province après la Confédération qui lui confère ce cachet. À l'exemple d'autres traditions et symboles, il ne remonte pas aux temps anciens, mais plutôt à la fin du 19e siècle. Il succède alors à un autre drapeau tricolore depuis longtemps oublié

Le rose, blanc et vert
Le rose, blanc et vert
On peut voir un peu partout à Terre-Neuve-et-Labrador le drapeau rose, blanc et vert, même sans être officiel.

Origine et légendes

L'histoire de ce drapeau tricolore, comme celles d'autres symboles populaires, a pris des proportions mythiques. Selon une croyance, son initiateur est un évêque catholique, Mgr Michael Fleming, qui l'aurait créé dans les années 1840. Selon les versions, son objectif consistait alors à instaurer la paix entre les catholiques nouveaux venus et ceux nés au pays, ou entre les catholiques et les protestants. Le choix des couleurs rappelle le vert de l'Irlande, la rose anglaise et le blanc du chardon écossais. Au début du 20e siècle, une autre légende concerne la contribution de la Newfoundland Natives' Society (NNS) [l'association des natifs de Terre-Neuve], un organisme non confessionnel fondé en 1840 cherchant à faciliter la progression des natifs de l'île. D'après cette version, les membres fondateurs finissent par adopter le drapeau de Mgr Fleming malgré leur détermination, pendant des années, à conserver leur propre drapeau où figure un sapin sur fond rose. Ainsi naît le mythe du tricolore et de cet organisme. Ce mythe a souvent tenu lieu de vérité.

Aucune indication ne vient confirmer l'un ou l'autre de ces récits. Des recherches approfondies sur Mgr Fleming et la Newfoundland Natives' Society ne révèlent pas d'indices sur l'existence d'un drapeau rose, blanc et vert dans les années 1840. Par ailleurs, Mgr Fleming s'oppose violemment à cet organisme qui, pour sa part, n'aurait jamais consenti à accepter quoi que ce soit de cet ecclésiastique. De plus, rien ne prouve que l'organisme avait un drapeau avec un motif de sapin. Peut-être y a-t-il eu un tel drapeau à une époque lointaine, et peut-être même originaire de la Nouvelle-Angleterre.

Mgr Michael Anthony Fleming (1792-1850), s.d.
Mgr Michael Anthony Fleming (1792-1850), s.d.
Rien ne prouve que l'évêque catholique, Mgr Michael Fleming, a conçu le drapeau rose, blanc et vert dans les années 1840.
Artiste inconnu. Tiré de Ecclesiastical History of Newfoundland, de M. F. Howley, Doyle and Whittle, Boston, 1888, p. 1.

Ce qu'on sait vraiment du drapeau officiel de la Newfoundland Natives' Society s'appuie sur de solides recherches. Ce drapeau rouge arborait un écusson illustrant divers aspects de la société terre-neuvienne. Un motif de mains jointes couronnait l'écusson. Au-dessous, se lisait la devise « Union and Philanthropy » [alliance et philanthropie]. Quelque part avant 1852, ce drapeau devient tricolore - rouge, blanc et vert. Ces couleurs reflètent les tenues de l'organisme. Ces deux drapeaux sont déployés dans les années 1840-1850 lors de ses activités. Des chapitres implantés à l'extérieur de St. John's les adoptent aussi. On sait seulement que l'organisme lui-même disparaît au milieu des années 1860.

Un mot sur les couleurs

Il faut s'attarder brièvement à la question des couleurs. Certains sites Web, mis en ligne par des admirateurs du rose, blanc et vert, affirment qu'au 19e siècle les couleurs roses et rouges sont interchangeables. Ce n'est pas ce qu'indique le dictionnaire Oxford de la langue anglaise. Il établit nettement une distinction, notamment depuis 1669 en ce qui concerne la couleur rose. Les journaux de l'époque les différencient aussi dans leurs articles relatant des activités publiques. Ils le font clairement lorsqu'ils décrivent la présence de drapeaux, dont celui de la Newfoundland Natives' Society. À vrai dire, il serait bon de douter de l'existence même d'un drapeau à fond rose décoré d'un sapin. Celui de la Nouvelle-Angleterre, dont se seraient inspirés les citoyens de Terre-Neuve, aurait plutôt été à prédominance rouge.

C'est le drapeau rouge, blanc et vert de la Newfoundland Natives' Society qui reçoit l'assentiment de la population et devient, pour plusieurs, le premier drapeau de Terre-Neuve. Il dépeint le territoire et ses habitants, et fait souvent partie intégrante d'activités sociales et politiques. En 1852, par exemple, il flotte aux ralliements des candidats de St. John's en faveur d'un gouvernement responsable. Ceux-ci ont à leur tête le futur premier ministre Philip Little. Il est bien présent lors la consécration de la cathédrale catholique en 1855. Il symbolise la liberté de Terre-Neuve aux élections qui se tiennent en 1869 contre la Confédération. Il fait partie de la commémoration du centenaire de la naissance de Daniel O'Connell en 1875, hissé parmi les drapeaux d'autres pays. En 1884, il demeure le drapeau officieux de l'île. Deux autres organismes le font sien, la Newfoundland Fishermen's Society [l'association des pêcheurs de Terre-Neuve] et la Total Abstinence and Benefit Society [un organisme prônant l'abstinence et le secours mutuel]. Fondées en 1858, elles y incorporent chacune leur propre devise et emblème.

Puisque le rose, blanc et vert n'a pas pour géniteur Mgr Fleming ou la Newfoundland Natives' Society, d'où vient-il ? Le temps a estompé l'association des couleurs rose, blanche et verte à la Star of the Sea Association (SOS), une association d'assistance mutuelle qu'a établie l'Église catholique en 1871. Sur son drapeau figurent une étoile blanche et une croix rose sur fond vert. Ses administrateurs portent une écharpe aux mêmes couleurs. Le choix du rose, une couleur liturgique, n'est pas étranger à la présence active de l'Église dans l'organisme. Les drapeaux de la Newfoundland Natives' Society et de la Star of the Sea Association (SOS) se côtoient souvent, par exemple lors d'une procession catholique qui se déroule en 1872 et qui réunit 1500 participants. Même si le drapeau officiel de la Star of the Sea Association (SOS) n'est pas mis au rancart, l'organisme opte plus tard pour une version simplifiée. Des documents semblent attester du choix des couleurs au moment de la fondation de l'organisme en 1871. Tout porte donc à croire qu'elles sont l'inspiration du rose, blanc et vert.

Les années 1880-1890 amorcent, en quelque sorte, une transition. Le drapeau rouge, blanc et vert de la Newfoundland Natives' Society cède sa place à un nouveau drapeau rose, blanc et vert. C'est en partie le temps qui fait son œuvre. Cet organisme lui-même n'est plus en activité dès le milieu des années 1860. Malgré une visibilité toujours tenace des années plus tard, ce drapeau ne représente aucun organisme en particulier. Pendant ce temps, l'importance de la Star of the Sea Association (SOS) s'accentue. À son zénith, elle comprend 2000 membres, ce qui en fait la plus grande association de St. John's. Elle organise des activités rassemblant des milliers de personnes et le drapeau y est bien en évidence. Elle est soutenue aussi bien par l'Église que par la classe politique. Elles possèdent de profondes racines dans la population. Grâce à ses membres, le rose, blanc et vert est tapissé partout et finit par effacer le souvenir du drapeau de la Newfoundland Natives' Society dans la mémoire des citoyens. Plusieurs comptes rendus d'activités publiques de toutes confessions ne manquent pas de mentionner le drapeau tricolore. Ils le caractérisent comme le drapeau de Terre-Neuve, par exemple lors des festivités organisées en l'honneur de l'évêque catholique, Mgr Michael Howley en 1892. Le service des incendies remplace son drapeau par le rose, blanc et vert en 1896 au cours d'une cérémonie publique. Au Jubilé de diamant de la reine Victoria en 1897, les décorations s'étalent en rose, blanc et vert.

Hymnes et symbolique nationaliste

En 1902, le rose, blanc et vert reçoit un autre sérieux coup de pouce. D'abord, l'hymne Ode to Newfoundland, composé par sir Cavendish Boyle, est proclamé hymne officiel le 20 mai 1904. La page couverture de sa partition montre le drapeau tricolore, devenu depuis une image iconique. Ensuite, l'hymne sur le drapeau, composé par Mgr Howley et intitulé The Flag of Newfoundland, souligne le patrimoine anglais, irlandais et écossais de l'île par ses couleurs emblématiques. Il entend bien effacer la représentativité catholique de ce drapeau pour le métamorphoser en symbole de tous les citoyens de Terre-Neuve. Son geste semble porter ses fruits. Quant à sa symbolique nationaliste, elle est étroitement liée au premier ministre Robert Bond et à son ministre des Finances, Edward Jackman, président de la Star of the Sea Association (SOS). Le succès du premier ministre dans la résolution de l'épineux problème du French Shore [la côte française] en 1904 cimente davantage son association au drapeau. La presse écrite donne de nombreux exemples de citoyens voyant une concordance entre le premier ministre Bond, le drapeau et la prospérité à venir de Terre-Neuve.

Page couverture de la partition d'Ode to Newfoundland, 1902
Page couverture de la partition d'Ode to Newfoundland, 1902
Le 20 mai 1904, l'hymne Ode to Newfoundland, composé par sir Cavendish Boyle, devient l'hymne officiel de l'île. La page couverture de la partition illustre le rose, blanc et vert. C'est maintenant une image iconique.
Artiste inconnu. Reproduction de l'image avec la permission de Robert Cuff.

Thus by the turn of the 20th Century the PWG was Newfoundland's national flag in all but name, while the old red, white and green Native flag was forgotten. Even the SOS itself confuses its flag origins, claiming in its Centennial Volume that they adopted the native colours, when in reality they probably created them. This is understandable, since over a century later that is still what many believe. The PWG's creation myth, of Bishop Fleming reconciling rival factions in the 1840s, still has currency among many Newfoundlanders today. That said, the flag does not have the support needed to displace the current provincial flag. A 2005 poll showed that only 25 per cent of Newfoundlanders wanted to change to the PWG, those opposed citing the cost of the change and, ironically, that pink was not a suitable colour for a flag.

English version