Société et culture

La société de Terre-Neuve et du Labrador a été façonnée par une combinaison unique de forces géographiques, économiques et historiques. Les plus marquantes sont certes sa situation isolée sur la marge orientale de l'Amérique du Nord, son environnement marin, les modes de travail et les rapports sociaux instaurés par une économie fondée sur la pêche, et les racines anglaises et irlandaises de la majorité de la population.

Norris Point
Norris Point, Bonne Bay
Village de pêche de Bonne Baie, sur la côte ouest de Terre-Neuve. La culture terre-neuvienne est fortement imprégnée de l'environnement marin.
Reproduit avec la gracieuse permission de Ben Hansen. Tiré de son livre Newfoundland, Vinland Press, St. John's ©1987.

Ces facteurs, entre autres, ont contribué à former une société vibrante et une culture riche en traditions orales et en divertissements populaires, en techniques associées au travail, notamment à la pêche, et en croyances et pratiques religieuses, officielles et autres. On trouve à Terre-Neuve et au Labrador des variantes de dialecte notables dans l'anglais et le français parlés, et une culture matérielle de premier plan.

Les racines de nombreux aspects de cette culture vont puiser aussi loin qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles, du temps où les pêcheurs venaient passer l'été dans la région pour la campagne annuelle de pêche de la morue, ou du temps où des habitants-pêcheurs tentaient de fonder des colonies permanentes à des endroits comme Cupids et Ferryland. Ce n'est cependant qu'à partir du début du XIXe siècle que la société a commencé à se fixer, lorsque la pêche migratoire a peu à peu été supplantée par une économie basée localement

Cette nouvelle situation a engendré un ensemble complexe de rapports sociaux entre les familles de pêcheurs, les marchands locaux ou de l'extérieur et leurs employés, les églises et le clergé, et des gouvernements puissants et souvent distants. Des divertissements traditionnels largement décrits comme « typiques » de la vie à Terre-Neuve, notamment le mummering, les soirées et les fêtes de cuisine, avec leurs éléments de spectacle, de contes et de chansons, étaient tous des éléments importants de la vie dans les villages côtiers.

Fête de cuisine
Fête de cuisine
Conche, péninsule Great Northern
Reproduit avec la gracieuse permission de Candace Cochrane. Tiré de son livre Outport: Reflections from the Newfoundland Coast, sous la direction de Roger Page. Addison-Wesley Publishers, Don Mills, Ontario ©1981, p. 126.

En plus de fournir d'agréables distractions, ces activités coutumières pouvaient aussi mettre en évidence les relations et les tensions inhérentes à la vie des villages : les farces de l'Halloween pouvaient se révéler dévastatrices et maintes ballades avaient leurs pointes satiriques.

La culture matérielle a aussi commencé à trouver son originalité vers cette époque, inspirée par la pêche et le sentiment progressif d'appartenance à la nouvelle colonie Terre-Neuvienne. Moins préoccupée d'agriculture de subsistance que de commerce d'exportation, Terre-Neuve était probablement plus internationale dans son approche que plusieurs de ses voisins du continent. Grâce à leurs fréquents contacts avec la communauté maritime du monde atlantique, les Terre-Neuviens qui en avaient les moyens importaient beaucoup de denrées et, jusqu'à la fin du XIXe siècle, rares étaient les produits manufacturés localement. Les familles de pêcheurs de la côte, qui voyaient rarement la couleur de l'argent comptant, devaient pouvoir confectionner leurs vêtements et fabriquer leurs meubles, certains articles ménagers et des outils; et, avant tout, il leur fallait bâtir des structures où se loger, travailler et prier.

Tapis faits main, vers 1919
Tapis faits main, vers 1919
Exemple d'artisanat local - homme et femme avec leurs tapis faits main, vers 1919
Reproduit avec la gracieuse permission de The Rooms Provincial Archives Division (VA26), St. John's, Terre-Neuve

Au gré de l'augmentation des revenus, surtout dans les grands centres, Terre-Neuve a commencé à attirer des artisans spécialisés capables de fabriquer localement un plus grand nombre de ces articles; ces nouvelles influences ont à leur tour transformé l'architecture et les produits des artisans locaux. Jusqu'au XXe siècle, les formes des objets associés à la pêche sont celles qui ont le mieux résisté à ces influences : la structure des chaffauds, des hangars et des vigneaux est restée virtuellement inchangée depuis les premiers jours de la pêche migratoire, quelque 300 ans auparavant.

La croissance de St. John's, la capitale, et des grands centres urbains et côtiers, a eu d'autres impacts importants sur la société de Terre-Neuve et du Labrador. Une population et une richesse accrues ont permis à St. John's de se doter d'institutions publiques et d'établissements d'enseignement. De tels groupes allaient commanditer des troupes de théâtre, des orchestres, des chorales et une large gamme d'activités communautaires, nourrissant en même temps toutes sortes de talents et d'intérêts qui demeurent à la fin du XXe siècle des composantes importantes de la culture de Terre-Neuve et du Labrador. Des organisations similaires, notamment des églises, des sociétés de bienfaisance ou, comme dans le cas de Heart's Content, des entreprises, ont aussi exercé leur influence dans plusieurs localités importantes de la Province. Les distinctions sociales y étaient aussi plus marquées, riches et pauvres créant les formes socio-culturelles les plus aptes à exprimer leurs positions économiques respectives. à St. John's, la classe laborieuse allait se doter d'une culture florissante et fort originale.

Panneau d'affichage du centre-ville de St. John's, 1994
Panneau d'affichage du centre-ville de St. John's, 1994
Les diverses affiches témoignent de la variété des talents et des événements qui se produisent dans la capitale.
Reproduit avec la gracieuse permission de Ben Hansen. Tiré de son livre Newfoundland Gems, Vinland Press, St. John's ©1996, p. 67

Avec le passage du temps et la restructuration de la vie sociale et économique à Terre-Neuve et au Labrador, plusieurs aspects de l'ancienne culture ont forcément disparu, d'autres ont été transformés et, plus récemment, certains ont été ressuscités. La nouvelle économie, plus variée et moins centrée sur les villages de pêche et la puissance de la classe marchande, a favorisé la diversification de la société. Ainsi, alors que la classe moyenne était autrefois quasi inexistante, on a assisté à une croissance fulgurante du nombre de cols blancs, employés par les commerces, l'industrie, les gouvernements, les écoles et l'université, ainsi que de gestionnaires et de professionnels. Simultanément, on assiste à une renaissance des anciennes réalités ethno-culturelles réprimées du patrimoine français et autochtone. La culture traditionnelle n'est pas morte, mais ses vestiges ont survécu dans un cadre social plus complexe, en rapide évolution, où la population est incommensurablement plus exposée aux influences de l'extérieur.

Tout au long du XIXe siécle et durant une bonne partie du XXe siècle, les éléments « traditionnels » de la culture de Terre-Neuve et du Labrador faisaient parti du vécu quotidien des gens. De plus en plus, cette culture devient un objet d'étude et ses éléments, transformés en produits de négoce par l'industrie culturelle, sont notamment prisés pour leur valeur touristique. Cette réification de la culture, source d'inquiétude pour plusieurs, est perçue par d'autres comme une façon de revaloriser et de revitaliser la vieille culture tout en renforçant la nouvelle et, de ce fait, la société de Terre-Neuve dans son ensemble

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