Construction de la cathédrale

La chapelle catholique a été construite en 1786 sur un terrain cédé à bail, sur ce qui allait devenir la rue Henry, à St. John's, dans le style de l'époque des lois pénales d'Irlande. Petit, modeste, le bâtiment de bois en forme de L situé sur les limites de la ville était doté d'un mât (plutôt que d'une cloche, illégale) pour signaler le début des services religieux. Avec la croissance rapide de la population irlandaise à St. John's au début du 19e siècle, il a fallu l'agrandir à plusieurs reprises, notamment en l'allongeant et en y ajoutant une tribune.

La vieille chapelle et le presbytère, s.d.
La vieille chapelle et le presbytère, s.d.
La chapelle, construite en 1786, était petite et en forme de L. Le presbytère, à sa droite, a été ajouté plus tard pour héberger l'évêque.
Artiste inconnu. Dessin tiré du Centenary volume, Benevolent Irish Society of St. John's, NL, 1806-1906, Guy & Co., Cork, Irlande, 1906, p. 36.

La cathédrale idéale de Fleming

Vers le milieu des années 1830, St. John's comptant quelque 10 000 catholiques et la population d'Irlandais catholiques s'affirmant, la vieille chapelle était devenue désuète. L'évêque Fleming allait plus tard la décrire comme « un bâtiment misérable, à peine meilleur qu'une grande étable, mal construit et aéré, menaçant à tout moment de s'effondrer et si mal conçu qu'une grande partie de la congrégation est forcée les dimanches de supporter les assauts des tempêtes, les vents glaciaux et la poudrerie… la tête inclinée en prière sous la voûte du ciel. » (Bibliothèque nationale d'Irlande, documents P. J. Little, dossier 140-151, document 141, lettre de Fleming « à Sa Très Gracieuse Majesté le Roi William IV », s.d.)[Traduction libre]

À la place, Fleming souhaite construire un lieu de culte digne d'abriter sa congrégation, « un temple supérieur à tout autre dans l'île, à la fois splendide et spacieux, approprié à l'adoration du Tout-Puissant, et qui puisse être éventuellement admiré comme un monument à la piété des croyants, un gage de la permanence de notre Sainte Religion et un objet de fierté pour les Catholiques fervents. »[Traduction libre]

Du point de vue idéologique, Fleming voulait une cathédrale de style classique, qui incarne dans son architecture les idéaux de l'ultramontanisme catholique. Du point de vue politique, elle devait constituer une affirmation aux autorités britanniques locales de Government House que les Irlandais étaient enfin arrivés à Terre-Neuve et qu'ils méritaient d'être respectés.

Sollicitation d'un terrain

Entre 1834 et 1838, Fleming a réclamé du gouvernement britannique une parcelle de terrain sur les landes à l'est du fort Townshend, au sommet de la crête qui domine la ville de St. John's. Dans le passé, ce site était réputé « irlandais », arène pour les parties de hurling et les bagarres de clans. Lorsque le terrain de neuf acres a enfin été accordé en mai 1838, en l'absence de Fleming, des milliers de fidèles s'y sont rendus pour le clôturer, sous la direction du frère Edward Troy. Le processus d'acquisition du terrain avait été si ardu qu'il fait encore aujourd'hui l'objet de légendes. Selon l'une d'entre elles, le gouverneur Prescott aurait accordé à Fleming seulement la superficie de terrain qu'il pourrait clôturer en une demi-heure, ou en une journée d'après une autre version. Selon une autre histoire, ce serait la reine Victoria elle-même qui aurait fait don du terrain. Bien qu'aucune preuve documentaire ou factuelle ne confirme ces récits, leur popularité et leur persistance témoigne de la place capitale occupée par la cathédrale dans l'inconscient des Irlandais de Terre-Neuve, et de son importance majeure dans leur culture.

Construction de la cathédrale

Dans sa correspondance avec les gouverneurs et les autres dignitaires britanniques, Fleming n'évoque que dans les termes les plus prudents son désir d'un terrain sur lequel construire « des écoles, un couvent et une église paroissiale. » Toutefois, une fois le terrain concédé, la visée toute entière de l'épiscopat de Fleming a changé; délaissant la politique, il s'est voué corps et âme aux enjeux liés à la construction de la cathédrale. Il fallait trouver des pierres, ainsi que des maçons, des charpentiers, des menuisiers et des journaliers. En quête d'un devis d'architecte, Fleming s'est rendu en Europe où il a consulté John Jones en Irlande avant de choisir un certain C. Schmidt, l'architecte du gouvernement danois à Altona, en banlieue de Hambourg. Schmidt avait fait ses études d'architecte à Rome et, selon Fleming, ses plans respectaient les principes de l'ultramontanisme. En outre, Schmidt était familier avec le climat du nord de l'Europe et était en mesure de concevoir pour la cathédrale un toit capable de porter de lourdes charges de neige. Avec les plans de Schmidt, Fleming pourrait « compléter une cathédrale de premier ordre, ainsi qu'une résidence pour l'évêque et le clergé, un couvent et des écoles, et ce, à un coût de beaucoup inférieur à ceux des architectes anglais ou irlandais. »[Traduction libre] Fleming va aussi embaucher un entrepreneur de Waterford, Michael McGrath, avant de le remplacer, pour cause de mésentente, par l'entrepreneur et sculpteur sur pierre James Purcell.

La cathédrale catholique de St. John's a été le plus grand projet de construction de l'époque à Terre-Neuve. Seize ans vont s'écouler entre l'excavation du sol en mai 1839, la pose de la première pierre en mai 1841 et la consécration du temple en septembre 1855. Les journaux d'alors ont décrit des scènes littéralement héroïques : vieilles femmes charriant de la terre dans leurs tabliers durant les deux jours requis pour l'excavation de 8800 verges cubes de sol; abattage à l'explosif d'énormes pierres de Signal Hill et leur transport vers le site à travers le havre gelé et la ville par des groupes d'hommes et de garçons; Fleming en février, à mi-corps dans l'eau sur la plage de l'île Kelly, dans la baie de la Conception, dirigeant le chargement de pierres sur des petits bateaux appartenant à des protestants et à des catholiques pour leur transport jusqu'à St. John's; la plus grande procession jamais vue dans les rues de la capitale à l'occasion de la pose de la première pierre; et Fleming encore, couvert de mortier, dirigeant les travaux en personne sur un échafaudage à 120 pieds du sol.

Médaille commémorative, 1841
Médaille commémorative, 1841
La médaille représente Fleming posant la première pierre de la cathédrale de St. John's.
Photographie : J. E. FitzGerald. Reproduite avec la permission de J. E. FitzGerald, © 2001.

Au début des années 1840, Fleming était devenu un homme investi d'une mission, chaque minute de sa vie dominée par l'idée de terminer la cathédrale. À la lecture de sa correspondance avec Rome, il est clair que Fleming était convaincu de l'importance du projet de cathédrale pour l'avenir du catholicisme à Terre-Neuve, et de la forte opposition que lui-même et sa mission affrontaient. Il croyait que « les ennemis de notre Sainte Religion s'employaient sans relâche » à contrarier son acquisition de terrains et la construction du temple :

« (…) ils savent bien que si mes efforts pour acquérir ce terrain et achever la construction sur un site si magnifique sont couronnés de succès, ils relégueront dans l'ombre les misérables tentatives de plusieurs églises évangéliques anglaises à Terre-Neuve, au point de charmer leurs fidèles, le récit de ma réussite face à tant d'écueils et à tant de puissants se révélant la meilleure preuve que mon entreprise est guidée par le Tout-Puissant. »[Traduction libre]

Ceci dit, la construction de la cathédrale, plus que tout autre projet antérieur à Terre-Neuve, a captivé l'imagination du public. Le rêve de Fleming a bénéficié de la bonne volonté, du soutien et de la participation des protestants comme des catholiques. La cathédrale s'est aussi valu le soutien de Rome, qui a encouragé les Petits Frères des Pauvres de Lyon à envoyer des fonds pour appuyer le projet.

En juin 1843, les besoins de la cathédrale avaient surtaxé la demande de pierres, mais les progrès des travaux étaient évidents et les ouvriers étaient au sommet de leur productivité. Fleming écrivait à son ami l'archevêque Murray de Dublin que « la cathédrale (…) est le grand œuvre qui absorbe la quasi totalité de mon temps – j'ai en ce moment vingt-six maçons rémunérés 6 shillings, 6 pence par jour, douze charpentiers payés 6 s., quatre tronçonneurs payés 5 s. et vingt-et-un journaliers payés 3 s. 3 p. par jour, tous sous ma constante supervision, ce qui m'accapare lourdement, mais je pense que c'est la meilleure façon d'assurer la finition rapide de l'édifice, qui progresse de fait à un rythme miraculeux. »[Traduction libre] Il ajoute aussi que des pêcheurs sur leurs barques et « chaque homme qui peut piloter une goélette ou un navire sont fiers d'apporter leur chargement de pierres pour cet édifice prodigieux. » Au seul printemps 1843, quelque 3000 tonnes de pierres ont été débarquées au port de St. John's, d'où des fermiers des environs les ont transportées par chariot sur le chantier, avec 80 charrettes de sable chaque semaine.

Achèvement de la cathédrale

Vers la fin de 1848, l'édifice étant largement complété, Fleming a fait venir les Conway, une famille d'ardoisiers de Waterford, en Irlande, pour installer le toit de la cathédrale. Assailli de problèmes de santé, Fleming a célébré la première messe dans la cathédrale inachevée le 6 janvier 1850, jour de l'Épiphanie, avant de se retirer dans le couvent St. Michael's, où il est décédé le 14 juillet. Entre-temps, les Conway « se sont transformés en plâtriers » pour achever les murs intérieurs de la cathédrale. L'évêque John T. Mullock, successeur de Fleming, a terminé la décoration du lieu de culte pour le consacrer en septembre 1855, en présence de l'Irlandais le plus célèbre d'Amérique, John Hugues, archevêque de New York.

La cathédrale de St. John's, vers 1860
La cathédrale de St. John's, vers 1860
Il a fallu 16 ans pour achever la cathédrale de St. John's, au terme du plus important projet de construction du siècle à Terre-Neuve.
Photographe inconnu. Photographie tirée de : The Centenary of the Basilica-Cathedral of St. John the Baptist, dans Kennedy, P. J. St. John's, NL: 1855-1955, Comité éditorial du Cahier-souvenir du Centenaire, St. John's, © 1956. Avec la permission du Service des archives de l'Archidiocèse catholique de St. John's.

Influence des Irlandais

Ce qu'on oublie aujourd'hui mais qui sautait aux yeux à l'époque, c'est que la cathédrale de St. John's était Irlandaise des la cave au grenier, et supérieure à tout autre édifice construit par la communauté irlandaise dans le Nouveau Monde. Elle arrivait à une époque de construction d'églises qui a accompagné l'émancipation catholique en Irlande. Elle était la plus grande cathédrale irlandaise hors d'Irlande, n'étant éclipsée que par la cathédrale St. Patrick de New York. Deux églises d'Irlande sont associées directement à celle de St. John's : St. Teresa's, sur la rue Clarendon à Dublin (l'église où O'Connell a lancé le mouvement d'émancipation catholique, avec sa sculpture du Christ mort, par Hogan), et l'église de la confrérie franciscaine à Carrickbeg, que Fleming et son oncle avaient construite durant les années 1820. Pour accentuer les thématiques irlandaise et ultramontaine, Mullock a meublé la cathédrale de St. John's de statues néoclassiques et naturalistes par John Hogan et John Edward Carew, les sculpteurs les plus réputés d'Irlande. Il y a installé trois cloches irlandaises primées, fondues par James Murphy, de Dublin. Et il a fait poser dans la cathédrale et le Couvent de la Présentation adjacent une série de vitraux illustrant des scènes irlandaises, œuvres du célèbre artiste anglais William Warrington.

Si la cathédrale de St. John's en est venue à refléter le caractère irlandais de la ville, elle constitue aussi un rare exemple « d'effet de rebond transatlantique », son plan et ses caractères matériels, notamment ses tours jumelles, en venant à influencer à leur tour la production architecturale en Irlande. L'architecture de style romanesque de la cathédrale de Fleming était bien connue en Irlande, où divers édifices de culte du sud-est de l'Irlande ont imité ses tours, entre autres la cathédrale Thurles à Tipperary, celle de Vale de Avoca, le couvent franciscain de Wexford, l'église franciscaine de Waterford et le prieuré dominicain de Cork.

La confrérie des Franciscains à Wexford, 2000
La confrérie des Franciscains à Wexford, 2000
Un certain nombre d'édifices religieux du sud-ouest de l'Irlande ont copié le style de la cathédrale de St. John's. La tour a été ajoutée à cette église en 1856.
Photographie : J. E. FitzGerald. Reproduite avec la permission de J. E. FitzGerald, © 2001.

Aucun autre édifice irlandais dans le Nouveau Monde ne peut se vanter de telles influences intimes avec l'Irlande, ni n'a eu une telle réputation internationale au temps de sa construction.

English version