Répliques des anti-confédérés, 1865
I
Extraits d'un discours de R. J. Parsons (libéral, circonscription de St. John's Est) à l'Assemblée législative, 3 février 1865. The Newfoundlander, 16 février 1865.
(...) Que pouvons-nous attendre du Canada? A-t-il quoi que ce soit à nous offrir? La Confédération peut bien suffire aux provinces voisines, mais nous, qui sommes isolés et avons des intérêts totalement différents des leurs, que pouvons-nous attendre? Vous évoquez les avantages pour nos fils. Le Canada n'a-t-il pas des fils lui aussi, et ne seront-ils pas les premiers à occuper les postes vacants? Vous parlez de nos mines… Le Canada a des mines lui aussi, et ne préférera-il pas investir dans celles-ci plutôt que dans les nôtres? En fait, le Canada est un pays belliqueux. Il se complaît dans ses querelles intestines. (...) Il traîne aussi une dette considérable, qu'il n'a aucun espoir de réduire. (...) Déjà, nous voyons ses gens conscrits et dépêchés pour protéger ses frontières. Déjà, nous les voyons en brouille avec les États-Unis, avec qui je ne serais pas surpris de les voir entrer en guerre. Si nous nous joignions à lui et qu'une telle guerre éclatait, ne devrions-nous pas y prendre part? (...) Quand à cette idée que l'union fait la force, notre union avec le Canada ne serait pas une union, et n'aurait en conséquence pas plus de force qu'un fagot de bâtons, parce que nous ne serions qu'un bâton sous le fagot. L'Orateur [Carter] a lourdement insisté sur le brillant avenir qui nous attendrait dans le cadre de la Confédération. Je n'en crois pas un mot. Dans toute éventualité, nous avons le loisir d'attendre avant de nous y engager, pour voir ce qu'elle fera pour les autres colonies (...) et d'agir ensuite à la lumière de leur expérience. (...) Nous commençons tout juste à apprécier la valeur du Gouvernement responsable : allons-nous y renoncer alors même que nous découvrons sa valeur? Inspirons-nous de la leçon que nous servent les États-Unis et hésitons un peu avant de nous engager dans ce genre de fédération d'états. (...) Dans le contexte de la Confédération, la population devra payer le double des taxes qu'elle paye maintenant. (...) Nous serons bien plus avisés de demeurer comme nous sommes. Tout ce qu'il nous faut, c'est de bonnes pêcheries. Prétendre que le Canada nous approvisionnera à meilleur prix, c'est de la foutaise. Il peut à peine subvenir à ses propres besoins, en partie en imposant un tarif de protection prohibitif. Son objectif est clair. Il s'applique à développer ses manufactures, et convoite les marchés de ses colonies-sœurs; mais d'ici à ce qu'il soit en position de concurrencer la Grande-Bretagne, il ne peut pas nous approvisionner plus avantageusement que nous ne le sommes à l'heure actuelle. Le Canada voudra-t-il de notre poisson et de notre huile? Non, étant donné qu'il peut s'en procurer suffisamment ailleurs. (...)
II
Extraits d'un discours de T. Glen (libéral, circonscription de Ferryland) à l'Assemblée législative, 22 février 1865. The Newfoundlander, 20 mars 1865.
(...) Les tarifs qui seront imposés à Terre-Neuve seront ceux du Canada, qui sont à mon avis des plus oppressifs, (...) des tarifs protectionnistes élevés, qui visent à tenir à l'écart, autant que possible, les produits que la Grande-Bretagne nous fournit à meilleur prix, afin de stimuler ses propres manufactures. Nous ne voulons pas de tarifs protecteurs. Ce qu'il nous faut, c'est acheter nos équipements de pêche là où nous pouvons les obtenir au plus bas prix; mais le Canada, s'il en a le pouvoir, ne nous le permettra pas. (...) Je proteste contre de telles manœuvres, nuisibles aux intérêts de nos pêcheurs et de nos pêcheries. D'aucuns prétendent que les tarifs canadiens seront réduits. (...) À mon avis, [ils] devront encore être augmentés pour satisfaire aux dépenses considérables nécessaires au soutien d'une importante milice et à l'édification de fortifications. (...) Songez aussi à son chemin de fer inter-colonial, à la reconstruction de ses canaux, au prix de millions additionnels, sans mentionner les coûts de son armée et de sa marine. (...) Tenus de verser notre part de ce vaste programme, nous n'en tirerons aucun avantage. (...) Le pouvoir de taxer Terre-Neuve à jamais, par toutes sortes de méthodes et de systèmes, me paraît trop crucial pour être confié au gouvernement canadien. (...) Je n'aime pas l'idée de participer à la levée de tarifs protecteurs et hostiles contre la Grande-Bretagne, notre meilleure alliée et certainement notre seule protectrice. Tout cela n'est pas bien beau. (...) En outre, le plus ridicule de cette affaire est qu'elle nous soumet à des tarifs décidés par le Canada, non seulement hostiles envers la Grande-Bretagne, mais aussi protectionnistes « sans rien à protéger! » (...) Je refuse de me joindre aux sottises et aux obstructions d'un système de protection éclaté : Terre-Neuve n'a rien à protéger! Nos dépenses annuelles, réparties sur les huit derniers exercices, sont de 113 000 livres. Le gouvernement général du Canada nous offre 112 000 livres, nous laissant de 1 000 livres en déficit pour payer nos dépenses. Quelle mauvaise affaire pour Terre-Neuve! (...) Or, est-il juste que nous ne recevions que 112 000 livres, alors qu'ils recevraient de nous 145 000 livres, selon un calcul conservateur des tarifs Canadiens? (...) Il est vrai que nos pêcheries ont été peu profitables ces dernières années. (...) Mais personne n'est venu nous expliquer en quoi notre adhésion à la Confédération profiterait à nos pêcheries, ou comment elle soulagerait les pêcheurs de leur misère. Selon moi, l'adhésion à la Confédération aux conditions proposées ne fera qu'aggraver cette misère par une forte hausse des taxes, dont nous ne tirerions nul avantage alors que nos revenus éventuels (...) seraient tous envoyés au Canada. (...) Nous devons obtenir de meilleures conditions, et toutes les garanties que nous pouvons raisonnablement exiger. Nous ne devrions nous satisfaire d'aucun engagement du gouvernement général quant à ses intentions. Tout devrait être inclus dans la nouvelle constitution. (...) Si Terre-Neuve se fie aux promesses et aux beaux discours, nous serons réduits à chercher, dans quelques années, un autre Daniel O'Connell. (...) Nous devons obtenir de meilleures conditions, non seulement sur le plan pécuniaire étant donné que nous ne recevrons rien des recettes que nous apporterons au Canada, mais aussi par un contrôle exclusif sur nos pêches, sans aucune référence [au] gouvernement canadien. Nous ne devons pas permettre que la moindre taxe soit imposée à Terre-Neuve. (...) Les taxes sur les importations, nous n'y pouvons rien. (...) Mais nous payons « le double par tête de Terre-Neuvien » de ce qu'ils paient au Canada en tarifs d'importation. (...) Cela n'est ni juste, ni équitable. L'adhésion à la Confédération en vertu des résolutions acceptées à la Conférence de Québec serait, selon moi, ruineuse pour Terre-Neuve. (...)
III
Extraits d'un discours de S. March (conservateur, circonscription de Bonavista Bay) à l'Assemblée législative, 22 février 1865. The Newfoundlander, 20 mars 1865.
(...) Nous sommes liés à ce pays par les liens les plus étroits. Nos pères se sont sacrifiés pour garantir sa liberté, et je n'accepterai jamais, tant qu'une goutte de sang britannique coulera dans mes veines, de céder ce pays, promis un jour à devenir le plus prospère sur l'océan, à un paquet de Johnny Crapeaus ou de Hollando-Canadiens. (...) Allons-nous laisser le drapeau (...) être arraché au glorieux empire de Grande-Bretagne, et installé sur une fondation sableuse, boueuse, instable? Je proteste avec indignation contre un tel gaspillage de nos libertés. Mes honorables adversaires disent qu'il s'agit d'un attrape-nigaud. Ce n'en est rien – c'est aussi véridique que les Saintes Écritures. (...) [Le Canada] était alors quasiment en faillite, et voulait bondir sur Terre-Neuve, tel un chat affamé, et s'approprier sa formidable richesse, les millions de livres extraites chaque année de ses eaux, pour renflouer son propre trésor épuisé. Aurions-nous dû vendre notre pays pour un plat de lentilles? (...)
IV
Extraits d'un discours de H. T. Moore (conservateur, circonscription de Harbour Grace) à l'Assemblée législative, 28 février 1865. The Newfoundlander, 17 avril 1865.
(...) Si la Confédération pouvait faire disparaître les glaces qui assiègent parfois nos côtes, commander aux vents et nous donner des pêcheries plus prospères, elle serait alors avantageuse. Terre-Neuve a besoin de libre-échange : pouvons-nous l'obtenir plus aisément par la Confédération que nous le pouvons maintenant? Les marchés Canadiens nous sont déjà aussi accessibles que nous le désirons. (...) Ce dont Terre-Neuve a le plus besoin, c'est d'être aussi libre que possible de négocier avec les marchés du monde entier, en payant le moins de taxes sur ses importations qu'il est praticable et en s'efforçant de garder les marchés étrangers ouverts à ses exportations, afin d'encourager sa population à consacrer plus de son attention à l'agriculture, qui ne peut que se révéler plus profitable que la Confédération. La prospérité du pays doit dépendre de l'énergie de son peuple et de ses propres ressources, et non de la richesse des ressources d'un autre pays. Il tombe sous le sens que les pêcheurs hésitent à se lancer dans l'agriculture, dont la nature-même est si différente des pêcheries. Mais sa nécessité ferait loi et leur montrerait qu'il s'agit pour eux d'un choix idéal. De cette façon, et avec l'aide d'autres ressources, nous pouvons entrevoir une issue à la misère actuelle d'une partie de notre population active, qui soit plus efficace et permanente qu'une union avec les autres colonies de l'Amérique du Nord britannique.
V
Extraits d'un discours de J. Kavanagh (libéral, circonscription de St. John's Est) à l'Assemblée législative, 28 février 1865. The Newfoundlander, 20 avril 1865.
(...) Mais nous autorisera-t-on à considérer une autre question, en demandant comment se porte l'Irlande depuis son union avec l'Angleterre? En a-t-elle retiré quelque profit? Qu'est-il devenu de ce merveilleux pays ensoleillé, dont on peut dire, sachant sa fertilité, qu'y coulaient le lait et le miel, de ce pays dont les fils sont braves et les filles vertueuses, d'où saints et héros sont partir pour instruire les peuples et combattre les tyrans? (...) En quoi l'union a-t-elle profité à l'Irlande? De fait, ce pays a perdu tout ce qui était cher à ses habitants. (...) Il a été réduit à un rôle de loin inférieur à celui d'une maigre province, stagnant aujourd'hui entre misère et besoin, et ses rudes et industrieux citoyens le désertent chaque jour, abandonnant ses verts pâturages aux ronces et aux orties. Tout cela doit être attribué à son union avec l'Angleterre. Devant cette triste évidence, n'hésitons pas à conserver, au nom de tout ce que nous apprécions, cette excellente faveur que nous a accordée la mère-patrie; et comptons sur la bonne Providence pour la venue de temps meilleurs. Que notre peuple demeure fermement uni et préserve la liberté et l'indépendance de notre pays. (...)