Les répercussions économiques de la Deuxième Guerre mondiale

À l'origine d'immenses et insupportables souffrances, la Deuxième Guerre mondiale amorce pourtant une période de grande prospérité pour Terre-Neuve et le Labrador. Les gouvernements canadien et américain investissent des millions de dollars dans la construction de bases militaires à St. John's, Goose Bay et diverses autres localités. Des milliers de travailleurs y occupent des emplois bien rémunérés, ou encore s'enrôlent dans les forces armées alliées. Les militaires de passage dépensent énormément dans les commerces et les restaurants locaux. En 1941, le dominion affiche pour la première fois depuis longtemps un excédent budgétaire. Le chômage élevé qui persiste depuis la Première Guerre mondiale semble se dissiper.

Au début de la guerre

Au déclenchement de la guerre en 1939, l'économie de Terre-Neuve et du Labrador est chancelante. Le chômage est généralisé. Près du tiers de la population reçoit de l'aide gouvernementale. La Grande Guerre, la Crise de 1929 et l'effondrement de l'industrie du poisson salé ont gonflé la dette publique à quelque 100 millions de dollars.

La Commission de gouvernement se prépare à des lendemains économiques difficiles. Elle ne sait pas que la guerre lui réserve une véritable manne financière. Elle entend contribuer à l'effort de guerre, mais en respectant ses contraintes financières. Elle ne forme donc pas son propre corps expéditionnaire comme lors de la Première Guerre mondiale. Les coûts en avaient été exorbitants. Les habitants peuvent plutôt s'enrôler dans les autres forces alliées. Elle diminue ses demandes de subventions auprès de l'Angleterre qui s'empresse de verser ces sommes dans l'effort de guerre. Quelques mois plus tard, ces subventions deviennent inutiles. La Commission de gouvernement est maintenant en mesure d'accorder des millions de dollars en prêts sans intérêt à la Grande-Bretagne.

Les bases militaires

La construction et l'entretien de bases militaires participent grandement à la relance économique de Terre-Neuve et du Labrador. Dès le début de la guerre, les gouvernements canadien et américain ont conscience de l'importance de ce territoire dans la défense de l'Amérique du Nord. En effet, si l'ennemi s'empare de Terre-Neuve et du Labrador, la côte orientale du continent devient vulnérable aux attaques et les routes de convoi seront menacées. Les gouvernements canadiens et américains se portent ainsi candidats pour organiser la défense, sachant que la Commission de gouvernement n'en a pas les moyens.

Avant la fin de la guerre, la construction de bases militaires américaines à St. John's, Argentia et Stephenville aura coûté plus de 100 millions de dollars. De son côté, le Canada agrandit les aéroports de Gander et Botwood, construit une base navale à St. John's et aménage des bases aériennes à Torbay et Goose Bay au coût d'environ 65 millions de dollars. Cet essor dans le secteur de la construction entraîne la création de milliers d'emplois. Les travailleurs affluent de tout le territoire. Nombreux sont ceux qui n'ont jamais connu une telle prospérité. À la fin de 1942, environ 20 000 hommes et femmes travaillent sur les bases. Le nombre de bénéficiaires de paiements d'aide sociale, établi à 75 144 en 1939, fond à 6907.

La construction de bases militaires est source d'emplois stables à l'année à des salaires relativement élevés. Nombre de travailleurs provenant de collectivités rurales (où le crédit est toujours en vigueur) touchent pour la première fois une paye en argent comptant. À ce sujet, la Commission adopte en 1944 une loi obligeant tous les employeurs à verser un salaire en espèces et non plus sous la forme de crédit.

En 1943 et 1944, le boom de construction ralentit, mais près de 5000 hommes et femmes travaillent toujours sur les bases. Les emplois ne manquent pas, car des entrepreneurs canadiens et américains du continent recrutent des milliers d'ouvriers. Pour leur part, les forces armées génèrent également des emplois et enrôlent 7628 volontaires dans leurs rangs.

Les autres secteurs d'activité

Malgré l'élan qu'elle donne à l'économie, la construction des bases militaires comporte également son lot d'inconvénients. L'économie de la région repose depuis longtemps sur les trois piliers que sont la pêche, l'industrie des pâtes et papiers et l'exploitation minière. Cette flambée de construction perturbe à court terme ces trois branches économiques en siphonnant les ouvriers d'expérience. La guerre stimule la demande pour le cuivre, le zinc et le plomb. Pourtant, une pénurie de main-d'œuvre force un ralentissement marqué de la production de la minière Buchans au début des années 1940. Il en va de même des entreprises papetières et de la pêche hauturière.

La guerre favorise néanmoins le secteur privé. Les responsables des projets de construction des bases militaires s'approvisionnent en bois d'œuvre et en matières premières principalement auprès des marchands de bois locaux. Les restaurants, les commerces de détail et les fournisseurs de lait frais, de boissons gazeuses et d'autres produits convoités tirent grand profit de la fréquentation des milliers de militaires stationnés dans le dominion. Le prix de la morue monte en flèche. En 1943, les pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador peuvent tripler leurs prix d'avant-guerre. La saison de la pêche terminée, ils multiplient parfois par quatre leur revenu en travaillant sur les bases militaires. Entre 1935 et 1945, le revenu annuel moyen des pêcheurs passe de 135 $ à 641 $.

Les fonds publics

Il n'y a pas que les particuliers qui bénéficient d'une hausse de leur revenu. En 1941, le gouvernement signale un excédent budgétaire de 400 000 $ pour la première fois depuis des années. La croissance des recettes, que dynamise l'installation de bases militaires, se poursuit l'année suivante. Elles s'élèvent alors à 7,2 millions de dollars et ne fléchissent pas en deçà de 3 millions jusqu'en 1947. Les déficits budgétaires des années 1939 et 1940 se chiffraient à 4 millions de dollars.

Une économie florissante permet au dominion de ne plus toucher de subventions après l'exercice 1939-1940. Elle peut même consentir des prêts sans intérêt à la Grande-Bretagne, son ancien créancier. En 1946, le montant de ces prêts atteint 12,3 millions de dollars. Le rebond économique permet à la Commission de gouvernement d'entreprendre des réformes nécessaires en éducation, en santé et dans bien d'autres sphères. Ainsi, en 1942, la fréquentation scolaire devient obligatoire pour les enfants âgés de 7 à 14 ans.

La Commission de gouvernement accroît alors ses importations de produits alimentaires et de biens destinés à la population. De 28,4 millions de dollars en 1940, ses dépenses franchissent le cap des 57 millions en 1944. C'est surtout l'importation de denrées alimentaires qui alourdit ses coûts, passant de 11 millions de dollars à 25 millions. La Commission impose pourtant un rationnement sur le thé en décembre 1942, suivi plus tard par celui sur le café, le sucre, la viande en conserve et autres produits.

L'inflation sévit aussi pendant la guerre. Entre 1938 et 1945, le coût de la vie frôle les 58 p. 100. Le prix des œufs, autrefois de 50 ¢ la douzaine, monte à 1,37 $. Les revenus beaucoup plus substantiels que touchent dorénavant les habitants parviennent cependant à neutraliser les effets de l'inflation.

Les répercussions politiques

La Deuxième Guerre mondiale redonne au dominion son indépendance financière et facilite son intégration économique au continent nord-américain. La circulation des travailleurs et les importations s'accentuent entre le dominion et le continent, alors que les liens avec la Grande-Bretagne s'atténuent. En 1939, 37 p. 100 de ses importations proviennent du Canada et 24 p. 100 de la Grande-Bretagne. En 1945, le Canada détient 61 p. 100 du marché des importations contre seulement 4 p. 100 pour la Grande-Bretagne.

Après la guerre, l'Angleterre constate que la précarité de sa situation économique ne lui permet plus de soutenir financièrement la Commission de gouvernement. Les habitants de Terre-Neuve et du Labrador désirent quant à eux un nouveau gouvernement. Un certain nombre souhaite l'établissement d'un gouvernement responsable. D'autres appréhendent la fin probable de la prospérité et pensent que l'entrée dans la fédération canadienne constitue un choix judicieux. Finalement, ce sont les répercussions économiques à court terme de la Deuxième Guerre mondiale qui finissent par conditionner la décision, de portée considérable, de s'unir au Canada.

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