Les débats menant au rejet de la Confédération : de 1864 à 1869

La première conférence officielle concernant l'union des colonies du Canada s'est tenue à Charlottetown, à l'Île-du-Prince-Édouard, en septembre 1864. La rencontre a été organisée par les trois provinces maritimes qui envisageaient de se regrouper pour former une union et qui voulaient discuter de la question. Fait important : le gouvernement de Terre-Neuve a été invité après coup seulement et n'a pas envoyé de représentants pour y assister. Une délégation du Canada a cependant demandé à y participer. Portés par John A. Macdonald et George Étienne Cartier, les Canadiens ont plaidé en faveur de la création d'une union fédérale élargie. Ils ont été si convaincants que les habitants des provinces maritimes ont abandonné l'idée d'unir leurs provinces et accepté d'examiner la proposition du Canada. Les délégués ont interrompu les pourparlers le 7 septembre et convenu de les reprendre le 10 octobre à Québec. Cette fois, les délégués de Terre-Neuve ont participé à la conférence.

Le gouvernement conservateur de Terre-Neuve, dirigé par Hugh Hoyles, a décidé d'envoyer deux délégués à la conférence de Québec : Frederic Carter, président de l'Assemblée législative, et Ambrose Shea, chef de l'opposition libérale. Même s'ils n'avaient pas le pouvoir de s'engager au nom de la colonie d'aucune façon, Carter et Shea ont été gagnés par la fièvre qui montait. Ils ont signé les résolutions de la Conférence de Québec (à titre individuel), ce qui leur a permis de souscrire au cadre proposé pour la nouvelle fédération; de plus, ils sont devenus des militants pro Confédération enthousiastes. Dans leur rapport officiel, les délégués de Terre-Neuve ont affirmé que « l'union serait favorable au bien être de la colonie… et… nous ne pouvons pas refuser d'adhérer à ce projet sans aggraver les conséquences préjudiciables de notre isolement actuel ».

Sir Ambrose Shea (1815-1905), s.d.
Sir Ambrose Shea (1815-1905), s.d.
Shea a été membre de la Chambre d'assemblée de 1848 à 1869, et de 1874 à 1887.
Avec la permission de la Division des archives provinciales (B 1-145), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

L'opinion des militants anti Confédération

À St. John's, la publication des résolutions a donné lieu à un débat enflammé. Deux groupes se sont rapidement montrés hostiles à l'idée de l'adhésion à la Confédération, soit les catholiques d'origine irlandaise et de nombreux marchands.

La communauté catholique, principalement composée d'Irlandais, se méfiait de la Confédération. Ces derniers affirmaient que les problèmes en Irlande étaient en grande partie attribuables à l'union avec l'Angleterre. Pourquoi devrait on répéter la même erreur? À Terre-Neuve, la population d'origine irlandaise avait gagné en autonomie, possédait ses propres écoles, qui étaient financées par l'État, et recevait sa juste part de faveurs du gouvernement. Pourquoi s'unir avec le Haut Canada, qui comptait de nombreux militants anti catholiques, et risquer de tout perdre? L'union avait provoqué la ruine de l'Irlande : Terre-Neuve pouvait subir le même sort.

Quant aux marchands, ils ne voyaient aucun avantage à la fédération proposée sur les plans économique et financier. Ils prévoyaient une augmentation importante du fardeau fiscal imposée par les habitants de la terre ferme à leurs propres fins, ce qui occasionnerait aussi une augmentation du coût des activités commerciales. De plus, ils estimaient qu'une barrière tarifaire serait établie par le fédéral afin de protéger les industries de la partie continentale, et que cela minerait leur capacité de commercer partout où ils voulaient. Contrairement à ce que certains affirmaient, la Confédération était susceptible de nuire aux entreprises et à l'économie de Terre-Neuve, et ne leur était aucunement favorable. Il n'y avait simplement aucune preuve que l'union constituerait un véritable avantage pour la colonie. Selon les militants anti Confédération, Terre-Neuve était une région de l'Atlantique Nord, et non du continent nord américain. Comme le dit cette célèbre chanson :

Mes braves, réjouissons nous, car Terre-Neuve, c'est notre île à nous. L'étranger qui veut sa part s'attire notre furie. Elle tourne son visage vers la Grande-Bretagne et son dos effleure le golfe du Saint Laurent. Loup canadien, c'est à tes risques et périls que tu t'approches. [Traduction]

L'opinion des militants pro Confédération

Les militants pro Confédération estimaient par contre qu'à long terme, l'avenir de la colonie était inévitablement lié à celui des colonies établies sur le continent, ne serait ce que parce que la Grande Bretagne ne semblait plus intéressée par Terre-Neuve. Comme l'a affirmé Shea devant la Chambre d'assemblée en 1865 : « C'est une illusion de croire que nous avons la moindre valeur aux yeux de la Grande Bretagne et qu'elle pourrait adopter une politique exceptionnelle à notre égard. Nous n'avons plus la même relation avec les Anglais : auparavant, la colonie était un refuge pour les matelots… l'Angleterre n'a plus besoin de nous pour cela maintenant… » [Traduction] (Le Newfoundlander, 2 mars 1865).

Les militants pro Confédération estimaient que l'union entraînerait une diminution des impôts, une amélioration des services publics, et un renforcement de l'économie. On établirait des liens plus étroits avec les habitants du continent, les communications seraient meilleures et les investissements seraient encouragés. Surtout, Terre-Neuve ne serait plus seule et isolée : elle ferait partie d'un superbe pays tout neuf qui offrait des possibilités intéressantes.

La décision

L'opposition à la Confédération était toutefois défendue avec tant de flamme que le gouvernement a décidé de ne pas demander à la Chambre d'assemblée de se prononcer sur les résolutions de la Conférence de Québec pendant la séance de 1865. La Confédération n'a pas non plus été une question fondamentale de l'élection cette année là. Le débat a fait rage pendant les quatre années suivantes. Une longue récession économique a semblé donner raison aux militants pro Confédération, qui affirmaient qu'un changement s'imposait; toutefois, au début de 1869, le gouvernement, alors dirigé par Frederic Carter, croyait qu'il serait en mesure de résister.

Propagande anti Confédération, 1869
Propagande anti Confédération, 1869
Tiré du Morning Chronicle, St. John's, 29 septembre 1869.

Les gouvernements de Terre-Neuve et du Canada ont établi les conditions de l'union. L'une des dispositions particulièrement importantes de l'entente prévoyait que l'électorat devrait appuyer ces conditions lors des élections prévues en cours d'année. Toutefois, une très grande majorité de l'électorat s'est prononcée contre ces conditions. En 1969, les activités de chasse au phoque et de pêche à la morue se sont accrues, et les militants anti Confédération se sont regroupés, motivés par le leadership de Charles Fox Bennett. L'opinion publique étant en leur faveur, ils ont ainsi été en mesure de remporter une victoire célèbre.

Charles Fox Bennett (1793-1883), s.d.
Charles Fox Bennett (1793-1883), s.d.
Bennett a mené une vigoureuse campagne contre les militants pro Confédération
Avec la permission des Archives nationales du Canada, C-54438. Artiste inconnu.

English version

Vidéo: The Winding Road to Confederation Part I: The 1869 Election (en anglais)