Réciprocité avec les États-Unis d'Amérique

À partir du milieu du 19e siècle, nombreux sont ceux à Terre-Neuve pour qui une politique de libre-échange avec les États-Unis assurerait en partie un avenir plus prospère. Les divers produits d'exportation de Terre-Neuve trouveraient là un immense marché. De plus, il serait possible d'inciter les Américains à investir dans la colonie. L'important flot migratoire en provenance de Terre-Neuve à destination du nord-est des États-Unis entretient cette notion.

Des accords de réciprocité

La question du « libre-échange » ou réciprocité commerciale fait pour la première fois l'objet de discussions au début des années 1850 lors de négociations entre les colonies de l'Amérique du Nord britannique et les États-Unis. Terre-Neuve est alors invitée à devenir un partenaire de l'accord de réciprocité. Un accord est ratifié en 1854 et Terre-Neuve est signataire l'année suivante. Cet accord facilite la libre circulation de certaines marchandises et l'accès aux zones de pêche au nord et au sud de la frontière.

Ses effets sont toutefois mitigés sur l'économie locale en raison, entre autres, du déclenchement de la guerre de Sécession. L'annulation de l'accord par les États-Unis en 1866 ne diminue en rien le désir de réciprocité commerciale.

En 1873, Terre-Neuve devient partie prenante du Traité de Washington conclu en 1871 avec le voisin américain. En vertu de ce traité commercial, Terre-Neuve bénéficie d'une franchise douanière pour certains produits exportés vers les États-Unis en échange d'un accès aux zones de pêche côtières de l'île. Il en va de même pour le Canada. Terre-Neuve et le Canada reçoivent une compensation financière s'il y a une différence de valeur entre les concessions accordées aux États-Unis et celles qui leur sont accordées.

Une goélette américaine, s.d.
Une goélette américaine, s.d.
Une goélette du Massachusetts au large de Terre-Neuve.
Avec la permission des archives (A 17-96), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Les pêcheurs américains en profitent pour implanter un commerce hivernal de harengs gelés sur la côte sud (et plus tard la côte ouest). Ils se rendent souvent dans les ports de la colonie pour se procurer des appâts et se ravitailler.

Les négociations entre Terre-Neuve et les États-Unis

En 1885, les États-Unis abolissent les dispositions du traité sur la pêche. Le gouvernement de Terre-Neuve compte alors négocier seul un nouvel accord avec son voisin. Il croit que les différents conflits qui minent les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, mais qui ne concernent nullement l'île, pourraient nuire à un accord. Le gouvernement britannique étant responsable des relations extérieures de ses colonies, Terre-Neuve lui demande donc l'autorisation d'entamer des discussions avec les États-Unis. Le Canada s'y oppose fermement. Il faut donc attendre 1890 avant que Robert Bond, un député du cabinet libéral de sir William Whiteway, puisse se rendre à Washington pour y explorer les possibilités d'un accord.

Le refus du Canada à l'Accord Bond-Blaine

Les discussions entre Robert Bond et le Secrétaire d'État américain James Blaine sont fructueuses. Ils élaborent une ébauche d'entente (connu plus tard sous le vocable d'Accord Bond-Blaine) qui ressemble sous certains points au Traité de Washington. Ainsi, cette entente de réciprocité prévoit l'entrée aux États-Unis de cargaisons de poisson et de minerais exonérées de droits en échange d'un accès à l'approvisionnement en appâts pour les pêcheurs américains. Le gouvernement canadien s'indigne et proteste vigoureusement auprès du gouvernement britannique. Il déclare sa position de négociation grandement fragilisée. Cet accord raffermit également le sentiment anti-confédération qui prévaut dans les Maritimes, surtout en Nouvelle-Écosse, atteste-t-il. En conséquence, le gouvernement britannique se résout à ne pas ratifier l'accord.

James Blaine, vers 1880
James Blaine, vers 1880
En 1890, Robert Bond, le Secrétaire de la colonie de Terre-Neuve, rencontre James Blaine, le Secrétaire d'État américain. Ils élaborent une ébauche d'entente de réciprocité.
Gravure de J. C. Buttra, d'après une photo prise par Napolean Sarony. Tiré de Life and Public Services of James G. Blaine, de John Clark, Jones Brothers & Co., Cincinnati, 1884. Frontispice.

Mécontent, le gouvernement de Terre-Neuve riposte en interdisant aux pêcheurs canadiens de s'approvisionner en appâts. Le Canada s'adresse aux tribunaux et impose des droits sur les importations de l'île. Terre-Neuve riposte en imposant des droits sur les importations canadiennes. Le Canada menace ensuite les pêcheurs terre-neuviens de sanctions s'ils pêchent près des côtes labradoriennes appartenant au Canada. Soucieux de mettre un terme à cet affrontement, les deux partis décident d'examiner toutes les questions litigieuses au cours d'une conférence.

Cette dernière se tient à Halifax en novembre 1892, mais ne donne aucun résultat. Les délégués de la colonie ne veulent pas entendre parler de Confédération, et ceux du Canada refusent toujours de donner leur assentiment à l'Accord Bond-Blaine. Une décision judiciaire confirmant que Terre-Neuve n'est pas en droit de priver les pêcheurs canadiens d'appâts consolide la position du Canada. C'était véritablement le seul levier dont disposait la colonie. Le Canada sait aussi qu'en dernier ressort le gouvernement britannique adoptera son point de vue sur cet enjeu.

L'Accord Bond-Hay

Robert Bond ne se décourage pas. Devenu premier ministre en 1900, il vise toujours une entente commerciale avec les États-Unis. Lorsque le gouvernement britannique rejette les objections soulevées par le Canada, Robert Bond peut donc parapher avec John Hay une nouvelle ébauche d'entente de réciprocité en 1902. Cette fois-ci, c'est l'industrie de la pêche du Massachusetts et le Sénat américain qui risquent de saborder cet accord en exerçant de fortes pressions contre sa ratification.

John Hay, novembre 1904
John Hay, novembre 1904
En 1902, Robert Bond, premier ministre de Terre-Neuve, rencontre John Hay, le Secrétaire d'État américain de l'époque pour formuler un nouvel accord de réciprocité.
Photo de Pach Bros. Tiré de The Life and Letters of John Hay, de William Roscoe Thayer, Houghton Mifflin Company, Boston, 1916. Frontispice.

En 1905, le comité des relations extérieures du Sénat répond à leurs revendications et repousse l'accord. Le gouvernement de Robert Bond réplique par une tentative de sabotage des activités hivernales de pêche aux harengs des Américains dans la baie des Îles. Il choisit aussi d'interpréter le plus strictement possible l'entente anglo-américaine de 1818 qui régule les activités des pêcheurs américains dans les eaux territoriales de l'Amérique du Nord britannique. La tension monte. Le gouvernement américain n'accepte pas le harcèlement de ses ressortissants. Le gouvernement britannique, lui, n'entend pas laisser Terre-Neuve provoquer un incident diplomatique susceptible de ternir ses rapports avec les États-Unis. Robert Bond se voit donc contraint de battre en retraite et d'accepter la mort de l'entente. Il consent à soumettre les points juridiques en litige à un tribunal international d'arbitrage situé à La Haye.

En 1909, l'arrêt du tribunal d'arbitrage se montre favorable à la cause présentée par le Canada et Terre-Neuve. Il éclaircit le sens de l'entente de 1818, mais ne réactive pas l'accord de réciprocité. Aucune mention d'un possible accord commercial entre Terre-Neuve et les États-Unis ne refait surface avant les années 1940. C'est le débat qui s'amorce en 1946 sur l'avenir du dominion qui remet le sujet sur la sellette.

« Libre-échange »

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement américain négocie la location à long terme de terrains à Terre-Neuve et au Labrador pour y établir ses bases militaires. Des insulaires soutiennent qu'une entente commerciale avec les États-Unis ferait très bien office de loyer, et se révélerait plus avantageuse qu'une union avec le Canada. Un parti politique fondé sur une union économique avec les États-Unis (Economic Union Party) s'allie aux forces anti-confédération pendant les campagnes référendaires qui ont lieu en 1948. Il recueille de nombreux appuis, mais les habitants de Terre-Neuve et du Labrador choisissent finalement de se joindre au Canada. La province a depuis noué des rapports commerciaux plus étroits que jamais avec les États-Unis, et matérialisé le libre-échange qu'elle espérait au siècle précédent.

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