Présence des États-Unis à Terre-Neuve et au Labrador

En application d'un accord de cession à bail en 1941, la Grande-Bretagne a autorisé les États-Unis à établir des bases militaires à Terre-Neuve en retour de 50 de leurs vieux destroyers. Jusque là, les États-Unis, qui avait subi des pertes considérables durant la Première Guerre mondiale, s'était tenu à l'écart des hostilités; mais après la chute de la France sous les armées nazies en juin 1940, le gouvernement américain a reconnu la nécessité de nouvelles bases pour mieux défendre l'hémisphère occidental.

En partance pour Terre-Neuve, vers 1941
En partance pour Terre-Neuve, vers 1941
Les premières troupes américaines à destination de Terre-Neuve montent à bord de l'Edmund B. Alexander, à New York.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-306.752), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les premières troupes américaines ont débarqué à St. John's en janvier 1941. Au cours des prochains mois, Terre-Neuve et le Labrador seraient au nombre des zones les plus militarisées du continent nord-américain, les États-Unis déboursant plus de 100 millions de dollars pour construire des bases à St. John's, à Argentia et à Stephenville.

Des détachements américains ont aussi été stationnés avec les troupes canadiennes aux terrains d'aviation de Gander et de Goose Bay, ainsi que dans quelques petites collectivités d'importance stratégique, notamment aux stations radar aménagées à Sandy Cove et à St. Bride's.

Prospérité en temps de guerre

Le boom des chantiers de construction a créé des milliers d'emplois pour les Terre-Neuviens et les Labradoriens. Les emplois sur les bases militaires ont été accueillis à bras ouverts par une population qui avait souffert d'une terrible misère durant les années 1930 et d'un taux de chômage élevé depuis la Première Guerre mondiale; en avril 1939, près du tiers des 300 000 habitants de l'île subsistaient grâce à l'aide gouvernementale. À titre de comparaison, au plus fort de la construction en 1942, quelque 13 500 Terre-Neuviens travaillaient pour des bases américaines et y gagnaient des salaires raisonnables.

Employés civils, 1942
Employés civils, 1942
Ce groupe de travailleurs civils a participé à la construction du Fort Pepperrell, à St. John's.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 109 3.01.17), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le trésor public a aussi profité de ce boom de construction, le pays affichant un premier surplus budgétaire depuis de nombreuses années. Ainsi, après avoir accusé un déficit de près de cinq millions de dollars en 1940, le gouvernement de Terre-Neuve annoncerait deux ans plus tard un excédent d'au-delà de sept millions.

La présence de bases militaires des États-Unis à Terre-Neuve a aussi eu des bienfaits sociaux. Les Américains ont dispensé des services de santé publique, contribué à l'approvisionnement alimentaire d'urgence, reconstruit la route de 85 km entre Holyrood et Argentia, et aidé à moderniser le réseau de communications de l'île en installant des lignes téléphoniques de St. John's à Stephenville.

Dans l'ensemble, les rapports entre Américains et Terre-Neuviens auront été positifs. Des centaines de Terre-Neuviennes ont épousé des soldats américains et les civils étaient souvent invités sur les bases pour prendre part à des activités sociales, comme des matches de balle molle [softball] et des soirées de cinéma. La station de radio américaine VOUS (Voice of the United States) diffusait aussi à partir de St. John's, exposant ses soldats comme les Terre-Neuviens à la culture populaire américaine.

Tensions en temps de guerre

Malgré tout, certaines frictions se sont manifestées. Les milliers de Terre-Neuviens employés par les bases étaient moins bien payés que leurs collègues américains et canadiens. En outre, tous les habitants des terrains fournis pour ces bases ont été chassés de leurs foyers et ont dû se relocaliser ailleurs. Ainsi, à Argentia, 201 propriétés ont dû être expropriées et trois cimetières exhumés. Nombre de familles ont été forcées d'abandonner des terres agricoles qui leur avaient été transmises au fil des générations.

Secteur exproprié
Secteur exproprié
Plan du terrain de St. John's sur lequel a été construit le Fort Pepperrell. Toute la zone illustrée a dû être expropriée à cette fin.
Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-306.322), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Même si les propriétaires des terrains expropriés étaient indemnisés, les paiements offerts n'ont pas compensé les coûts financiers et émotionnels de tels déracinements. En outre, certains étaient furieux que des baux de 99 ans aient été accordés aux Américains sans que la population ait été consultée.

L'influx de milliers de jeunes soldats célibataires, dont la majorité n'étaient jamais sortis de chez eux auparavant, a causé une hausse des infections sexuellement transmissibles dans des villages voisins de certaines bases; en outre, nombre de Terre-Neuviens étaient loin d'apprécier l'attention accordée aux soldats américains par les femmes de chez eux.

On n'aimait pas non plus les vastes pouvoirs juridiques accordés par les Britanniques aux Américains; ainsi, les États-Unis avaient juridiction sur toute personne (y compris les Terre-Neuviens) qui commettrait une infraction militaire dans les zones à bail, et sur tout Américain qui commettrait une infraction militaire où que ce soit au pays.

Fin des hostilités

À l'été 1943, les activités de construction avaient décliné, la plupart des travaux ayant été achevés en mars. En date de 1945, plus de 100 000 militaires américains avaient été stationnés à Terre-Neuve et au Labrador.

Les soldats reprennent la mer, août 1945
Les soldats reprennent la mer, août 1945
Les premiers contingents américains quittent Terre-Neuve à bord du Fairfax.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-306.223), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Une fois la guerre terminée, certaines bases ont trouvé de nouveaux rôles et d'autres ont été fermées. La base navale d'Argentia est demeurée ouverte jusqu'au départ des derniers militaires américains, en 1994. L'American Air Force a utilisé la base de Stephenville pour son système de défense aérienne de l'Amérique du Nord, jusqu'à sa fermeture en 1966. À St. John's, le Fort Pepperrell a été converti en base aérienne et l'est demeuré jusqu'au retrait officiel des Américains, en août 1961. Les installations de ces trois bases ont été éventuellement transformées à des fins civiles.

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