Objections de Charles Bennett, 1864-1865

Charles F. Bennett a été un marchand prospère de St. John's.

Lettre de C. F. Bennett à The Newfoundlander, 5 décembre 1864.

... si je puis convenir que la proposition de Confédération des provinces continentales, de même que des îles du Cap-Breton et du Prince-Édouard, soit une mesure tout aussi indispensable qu'avisée (...), je n'en doute pas moins de la sagesse d'y associer notre colonie, pour la simple raison que nos intérêts ne cadrent pas avec les leurs. Par la loi de la nature, nous sommes surtout, et quasi essentiellement, un peuple de pêcheurs, maîtres d'abondantes ressources maritimes et, j'ai lieu de le croire, minérales. Nous devons tous convenir que notre potentiel agricole est des plus limités. Les chemins de fer, canaux et travaux publics considérables requis dans ces Provinces, sans parler des travaux de défense militaire qui supposent des dépenses colossales, ne sauraient en aucun cas se révéler utiles à notre colonie. L'envoi de délégués au Canada, sans même parler de la part de recettes qu'il nous incomberait de contribuer au soutien du Gouvernement confédéré, entraînerait de très lourdes dépenses, et ne serait pas encore le pire inconvénient qu'il nous causerait (...), vu le sacrifice de notre indépendance en matière de législation et du contrôle de nos riches ressources au profit de cette nationalité qui, pour peu que je puisse en juger, ne nous conférerait que de maigres bénéfices.

Lettre de C. F. Bennett à The Newfoundlander, 12 janvier 1865.

... Quant à moi, je crois que cette [Union avec le Canada] nuira à nos relations avec les États-Unis et les autres pays, et aura des séquelles commerciales incalculables. Et si nous devions être approvisionnés hors-taxe par les manufactures canadiennes, des tarifs plus élevés devraient être imposés à nos importations de la Grande-Bretagne et d'ailleurs, et de fortes taxes devraient être perçues sur nos exportations de poisson, d'huile et d'autres denrées.

Dans quelle mesure, demanderai-je, les villes et les villages – les terres du Canada – ses chemins de fer, ses bureaux, ses collèges, ou tout autre avantage que possèdent ses provinces ou les provinces voisines, seraient-ils plus ouverts aux habitants de notre Colonie dans le cadre de l'Union qu'ils ne le sont à l'heure actuelle? (...) Quant à moi, je n'en vois aucune. Au contraire, je connais nombre de personnes qui se sont rendues au Canada et à d'autres Provinces afin d'en profiter (...) Encore une fois, je vous demande quel espoir un jeune de notre Colonie peut-il rationnellement entretenir que ses intérêts, défendus par quatre membres du Conseil et les huit députés du Parlement général, vis-à-vis de l'influence politique que les jeunes du Canada seraient en mesure d'exercer sur leurs 195 députés, comme les jeunes des Provinces voisines sur leurs propres députés, leur assurerait un emploi dans cette administration? Mon expérience m'a appris qu'ils n'en auraient que très peu, et j'irais jusqu'à dire aucun (...) Il n'y a pas lieu de douter que nous profiterions d'ententes postales si nos consentons à payer pour les obtenir, comme nous pourrions les obtenir, aux mêmes conditions, à l'heure actuelle.

(...) Nous avons simplement besoin ici de lois avisées pour protéger nos pêcheries, pour les rétablir et leur rendre leur prospérité d'antan, comme grande source de richesse et de bonheur pour notre population active, comme les meilleures terres du Canada, de la Nouvelle-Zélande ou de tout autre pays, ou comme les réserves minérales du Pérou, de la Californie ou de l'Australie, le sont pour leurs peuples respectifs, sans même mentionner les précieuses ressources minérales que nous avons à Terre-Neuve, qui sont loin d'être insignifiantes, ajouterai-je avec confiance.

(...) Je crains notamment que nous soyons plus que doublement taxés, et ce, pas à notre avantage, mais au profit des Canadiens dépensiers qui, même avec de lourds tarifs de 20 pour-cent sur leurs importations de la Grande-Bretagne, et avec leurs propres taxes locales, ne parviennent pas à payer leurs dépenses. Avec une dette de soixante-deux millions cinq cent mille dollars!!! (...)

Je pourrais mentionner un grand nombre de désavantages, (...) et je vais en énumérer quelques-uns (...) qui sont notamment

La suppression de notre Législature indépendante, et de notre autonomie en matière de législation (...)

Le pouvoir donné au Parlement canadien de nous taxer sans limite.

La rupture de l'alliance et des communications directes de notre Colonie avec le Gouvernement de Grande-Bretagne.

L'obligation de céder nos pourvois à la Cour suprême aux Cours supérieures du Canada, avant de pouvoir les présenter (...)au Conseil privé du Royaume-Uni.

La cession au Gouvernement canadien du pouvoir de procéder dorénavant à toutes les nominations au gouvernement de notre colonie.

La cession au Gouvernement canadien de l'entier contrôle sur nos pêcheries, nos terres et nos ressources minérales. Et, entre autres calamités, le pouvoir de recruter tous nos jeunes hommes valides, mariés et célibataires, pour aller verser leur sang et voir leurs os blanchir à l'étranger, à la défense de quelque frontière canadienne (...). Et ce, à quel avantage pour nous à Terre-Neuve? (...)

Les défenseurs de l'Union dans notre Colonie sont rares. Je serais surpris qu'il y en ait plus d'une vingtaine. Même s'il y en avait plus, auront-ils seulement l'honnêteté d'opposer leur faible voix à celle de la majorité? Mettront-ils même à exécution leur menace de faire adopter la résolution de principe, avant de sonder l'opinion de la population sur la question? (...)

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