Naufrages à l'île Bell

L'île Bell est l'un des rares sites en Amérique du Nord à avoir été attaqué directement par les forces allemandes pendant la Deuxième Guerre mondiale. En 1942, des U-boots (sous-marins, en allemand) ont attaqué l'île à deux reprises : quatre minéraliers ont été coulés et plus de 60 hommes ont perdu la vie. Ces événements ont révélé la vulnérabilité potentielle de Terre-Neuve face aux attaques ennemies. Il n'est donc pas étonnant que les autorités canadiennes, à la demande de la Commission de gouvernement de Terre-Neuve, aient élaboré des plans de défense dans l'éventualité où les Allemands tenteraient de s'emparer de St. John's.

Le quai Scotia après une attaque à la torpille, en 1942
Le quai Scotia après une attaque à la torpille, en 1942
Le quai Scotia de l'île Bell a été endommagé en novembre 1942 à la suite d'une attaque à la torpille effectuée par le sous-marin allemand U-518.
Photographie de Gerald Milne Moses. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-188854), Ottawa, Ontario.

Terre-Neuve se trouvait sur la route des convois transatlantiques essentiels à l'effort de guerre des Alliés. Les bateaux alliés naviguaient dans ces eaux pour acheminer le ravitaillement essentiel à la Grande-Bretagne, mais ils étaient souvent attaqués par les sous-marins allemands qui rôdaient dans la région. Certaines zones, plus vulnérables aux attaques, étaient qualifiées d'« eaux dangereuses ». Terre-Neuve était entourée de ces eaux dangereuses et, le 5 septembre 1942, la réalité a frappé de plein fouet lorsqu'un U-boot a coulé le SS Lord Strathcona et le SS Saganaga au large de l'île Bell.

Les attaques

Le U-513, sous le commandement du Kapitän-Leutnant Rolf Ruggeberg, est arrivé à Terre-Neuve en août et a patrouillé dans le détroit de Belle Isle. N'ayant pas obtenu les résultats escomptés, Ruggeberg a décidé de tenter sa chance en se rapprochant de St. John's. Le 4 septembre, après avoir remarqué que des navires à vapeur entraient et sortaient de la baie de la Conception, il a suivi le petit bateau Evelyn B jusqu'au poste de mouillage de l'île Bell en naviguant en surface, puis il a passé la nuit sous l'eau à 24 mètres de profondeur. Le lendemain matin, Ruggeberg a sorti le périscope et a coulé coup sur coup le Strathcona et la Saganaga. Vingt-neuf hommes du Saganaga ont été tués au cours de cette attaque. Peu après, le U-513 est parvenu à s'échapper en naviguant en surface.

L'île Bell a été attaquée une deuxième fois le 2 novembre 1942, soit deux mois plus tard. Cette fois, le U-518, sous-marin jumeau du U-513, sous le commandement du Kapitän-Leutnant Friedrich Wissmann, a pénétré discrètement dans la baie de la Conception pendant la nuit. Wissmann s'est débrouillé pour conduire le sous-marin près des falaises pour éviter qu'il soit détecté. Il était tellement près de celles-ci que les membres de l'équipage du pont pouvaient voir les phares des voitures qui circulaient le long de la falaise au-dessus d'eux.

Après l'attaque de septembre, la zone de mouillage de Wabana avait été fortifiée à l'aide de canons et de projecteurs, mais Wissmann a décidé de faire une attaque éclair en surface. En pénétrant dans l'entrée étroite entre l'île Bell et Little Bell Island, il a vu deux navires à vapeur se dessiner sous les faisceaux du projecteur. Il a d'abord fait feu sur le premier, le Anna T, et a manqué sa cible. La torpille est passée sous la poupe du Flyingdale , qui était amarré au quai Scotia, et a explosé contre le quai même dans un bruit infernal. Sachant que la défense était désormais en alerte et qu'il allait manquer de temps, Wissmann s'est empressé de faire feu sur le Rose Castle, qui a coulé avec 28 hommes à bord.

Le Rose Castle et le PLM 27

Fait intéressant, ce n'était pas la première fois que le Rose Castle. était attaqué par un U-boot. Ce bateau était sur les lieux, en septembre, quand le U-513 avait coulé le Strathcona et le Saganaga. En octobre, il avait aussi été attaqué par le U-69, qui rentrait chez lui après avoir coulé le traversier SS Caribou, qui faisait la liaison entre North Sydney et Port-aux-Basques. Le Rose Castle a alors eu de la chance, car la torpille n'a pas explosé malgré le fait qu'elle ait frappé le bateau à vapeur.

Le Rose Castle, en 1942
Le Rose Castle, en 1942
Le Rose Castle, que l'on voit ici en septembre 1942, a été coulé deux mois plus tard par le sous-marin allemand U-518.
Photographe inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-143173), Ottawa, Ontario.

Le Rose Castle n'a pas eu la même chance lors de l'attaque de novembre. Il a coulé rapidement et la plus grande partie de son équipage a péri. En juillet 2000, des plongeurs locaux ont trouvé la carcasse d'une des torpilles qui ont coulé le Rose Castle, et ils ont remis le joint torique qui portait la charge d'explosif au maire de Wabana.

Par la suite, Wissmann a décidé de cibler le PLM 27. Ce navire des Forces navales françaises libres a coulé rapidement et 12 de ses membres d'équipage ont perdu la vie. Wissmann est ensuite parvenu à faire demi-tour et à revenir sur ses pas sans être détecté malgré la présence de la corvette HMCS Drumheller et de deux vedettes Fairmile dans les eaux de la baie de la Conception.

Soupçons d'espionnage

Les autorités et la population civile étaient en état de choc à la suite de cette destruction et des pertes de vie survenues peu de temps après l'attaque de septembre et le naufrage du Caribou en octobre. Ils ont commencé à croire qu'un espion était sans doute impliqué dans cet événement et les soupçons sont tombés sur le capitaine du PLM 27 lui-même. Il n'était pas à bord du bateau la nuit où celui-ci avait été coulé et il avait vendu son piano à un résident de l'île Bell à peine quelques jours avant l'attaque. Le fait qu'il était Français et que son pays était occupé par les Allemands a contribué à nourrir les soupçons à son sujet. Après tout, les nazis l'avaient peut-être contraint à travailler pour eux. Une enquête a eu lieu, mais les responsables ont conclu que ni le capitaine ni un autre espion quelconque n'était impliqué dans cette affaire. On a toutefois découvert par la suite qu'un espion était effectivement présent dans la zone de mouillage cette nuit-là. Werner von Janowski, un agent de l'Abwehr, le service de renseignement de l'état-major allemand, était bel et bien à bord du U-518.

Ayant échappé avec succès à la Marine royale canadienne après l'attaque, le U-518 a poursuivi sa route le long de la côte sud de Terre-Neuve et dans le golfe du Saint-Laurent. Wissmann avait donné l'ordre de débarquer von Janowski dans un lieu isolé de la baie des Chaleurs, entre le Nouveau-Brunswick et la Gaspésie. Le 9 novembre, à 1 h 20 du matin, von Janowski est descendu près de New Carlisle, au Québec. Toutefois, en moins de 24 heures, il était déjà entre les mains de la Gendarmerie royale du Canada, car il avait éveillé les soupçons du fils d'un aubergiste avec des billets de banque périmés et ses allumettes belges. Von Janowski a fini par être utilisé comme agent double, mais de valeur douteuse.

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