Le naufrage du Caribou

L'année 1942 n'aura pas été de tout repos pour la navigation au large de la côte est de l'Amérique du Nord. À la suite de la déclaration de guerre contre les États-Unis par l'Allemagne peu après l'attaque japonaise de Pearl Harbour en décembre 1941, la situation a continué de s'aggraver. L'amiral Karl Dönitz, commandant de la flotte sous-marine allemande, préparait depuis longtemps un assaut en Amérique du Nord, mais Hitler a contrecarré son projet en insistant sur le fait qu'il fallait éviter d'attaquer les bateaux américains. Cette contrainte a toutefois été levée par l'entrée en guerre des États-Unis. Le 12 janvier 1942, l'opération Paukenschlag lancée par Dönitz a débuté alors que le U-123 commandé par Reinhard Hardegan a coulé un premier navire, le bateau à vapeur britannique Cyclops, à environ 160 km (100 milles) au sud-est de l'île du cap de Sable, en Nouvelle-Écosse.

Le SS Caribou, vers les années 1920-1940
Le SS Caribou, vers les années 1920-1940
Le traversier SS Caribou, qui reliait North Sydney à Port aux Basques, a été coulé par le sous-marin allemand U-69 le 14 octobre 1942.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 115 16.07.002), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Au cours des premiers mois qui ont suivi, les U-boot ont coulé 44 bateaux dans les eaux canadiennes alors que seulement deux sous-marins allemands ont été détruits. Le golfe du Saint-Laurent s'est soudainement transformé en terrain de chasse très agité, notamment pendant la bataille du Saint-Laurent alors que les U-boot ont attaqué sept convois, coulé 20 navires marchands, un bateau servant au transport de troupes et deux navires de guerre de la Marine Royale canadienne (MRC). L'événement le plus marquant, sur le plan des répercussions nationales, aura été le naufrage du SS Caribou, un traversier servant au transport des passagers qui reliait Sydney à Port aux Basques. Dans la nuit du 13 au 14 octobre, le U-69 a coulé le traversier, entraînant ainsi la mort de 136 personnes dont 10 enfants.

Le U-69 et le naufrage du SS Carolus

Le 30 septembre 1942, sous le commandement du Kapitänleutnant Ulrich Gräf, le U-69 a pénétré dans les eaux du golfe du Saint-Laurent par le détroit de Cabot. Ne trouvant pas de cibles, Gräf a poursuivi sa route dans les eaux du fleuve et, dans la nuit du 8 au 9 octobre, il a aperçu le NL-9, un convoi Labrador-Québec comptant sept bateaux. Malgré la présence de trois corvettes d'escorte, Gräf a réussi à couler le SS Carolus, un navire à vapeur de 2245 tonnes, causant ainsi la mort de 12 membres de l'équipage. Ce naufrage, à seulement 275 km (170 milles) de la ville de Québec, a provoqué tout un tollé à Québec et à Ottawa. Toutefois, ce n'était rien comparé à la détresse qu'allait causer le naufrage du Caribou quelques nuits plus tard.

Le 13 octobre 1942

Le SS Caribou, le traversier destiné au transport des passagers entre Sydney et Port aux Basques, a quitté Sydney vers 21 h 30 le 13 octobre 1942. Il y avait à son bord 73 civils dont 11 enfants, 188 membres du personnel militaire et 46 membres d'équipage. Juste avant le départ, le maître du Caribou, le capitaine Benjamin Tavenor, a ordonné aux passagers de se rassembler sur le pont pour se familiariser avec les postes où se trouvaient les embarcations de sauvetage. Son équipage et lui étaient conscients que le traversier était vulnérable à une attaque de U-boot puisqu'au cours du voyage précédent l'escorte du Caribou avait attaqué sans succès un sous-marin avec lequel elle avait eu un contact. Il s'agissait possiblement du U-106, un sous-marin qui allait attaquer un convoi Sydney-Corner Brook neuf heures plus tard.

C'est le dragueur de mines HMCS Grandmère qui était chargé d'escorter le Caribou pendant ce voyage. Selon son journal de bord, la nuit était très noire et sans lune. Le capitaine, le lieutenant James Cuthbert, était mécontent de la quantité de fumée émise par le Caribou et du fait que son bateau soit contraint de naviguer derrière le Caribou selon les directives de la marine britannique pour les escortes chargées de protéger un seul navire. Cuthbert était convaincu qu'il serait plus prudent que le Grandmère navigue devant le Caribou et non derrière, une idée qui allait toutefois à l'encontre des consignes relatives aux convois dans les atterrages occidentaux (Western Approaches Convoy Instructions). Il croyait qu'il lui serait plus facile de sonder les eaux et de détecter le bruit d'un U-boot rôdant à proximité s'il y avait plus d'espace libre devant le Grandmère. Il ne s'était pas trompé puisque le U-69 était effectivement sur la voie du Caribou.

L'attaque

Gräf était à la recherche d'un convoi composé de trois bateaux transportant des céréales qui se dirigeait vers Montréal lorsque, à 3 h 21 du matin, il a remarqué l'épaisse fumée du Caribou à environ 60 km (37 milles) de la côte de Terre-Neuve. Il a cru que le Caribou de 2222 tonnes construit à Rotterdam et le Grandmère de 670 tonnes étaient en fait un cargo de passagers de 6500 tonnes et un « contre-torpilleur (destroyer) à deux cheminées ». À 3 h 40, selon le journal de bord du Grandmère, une seule torpille a frappé le Caribou à tribord. Une cohue s'en est suivie alors que les passagers, projetés hors de leur couchette à cause de l'explosion, se sont précipités à l'étage supérieur à proximité des stations réservées aux embarcations de sauvetage. Étrangement, plusieurs familles avaient été désunies et logées dans des cabines différentes et tentaient de retrouver les leurs dans le chaos le plus complet. De plus, plusieurs canots et radeaux de sauvetage avaient été détruits lors de l'explosion ou étaient hors d'usage. De nombreux passagers ont donc été forcés de sauter par-dessus bord pour se jeter dans les eaux froides.

Le HMCS Grandmère vient au secours du Caribou

Entre-temps, le Grandmère avait repéré le U-69 malgré la noirceur et changé de cap pour l'emboutir. Gräf, toujours convaincu de faire face à un « contre-torpilleur » et non pas à un dragueur de mines, a alors décidé d'effectuer une plongée rapide. Le Grandmère ayant passé au-dessus du tourbillon laissé par le sous-marin submergé, le lieutenant Cuthbert a tiré six grenades sous-marines selon un tracé en losange. Pendant ce temps, Gräf s'est dirigé vers les bruits produits par le naufrage du Caribou en sachant que le Grandmère ne lancerait pas une autre attaque étant donné que des survivants flottaient à la surface de l'eau. Le Grandmère n'a toutefois pas remarqué la manœuvre du U-69 et Cuthbert a largué trois autres grenades jusqu'à une profondeur de 500 pieds. Gräf a alors lancé un leurre antisonar Bold et quitté lentement la zone.

Les survivants

À 6 h 30, le Grandmère a abandonné la poursuite afin de prendre soin des survivants peu nombreux. Parmi les 237 personnes qui étaient à bord du Caribou au moment de quitter North Sydney, 136 avaient péri dont 55 membres du personnel militaire et 49 civils. Leonard Shiers, d'Halifax, alors âgé de 15 mois, a été le seul survivant parmi les 11 enfants qui étaient à bord. Parmi les 46 hommes faisant partie de l'équipage, des Terre-Neuviens pour la plupart, seulement 15 ont survécu. Cinq familles ont subi des pertes particulièrement lourdes : les Tapper (5 morts), les Topper (4), les Allen (3), les Tavernor (le capitaine et ses deux fils) et les Skinner (3). La presse a souligné avec raison que « plusieurs familles [avaient été] décimées ».

Des survivants du SS Caribou, le 14 octobre 1942
Des survivants du SS Caribou, le 14 octobre 1942
Des survivants non identifiés du SS Caribou, qui a coulé sur les côtes de Terre-Neuve le 14 octobre 1942 après avoir été torpillé par un sous-marin allemand. Parmi les 237 personnes qui étaient à bord, seulement 101 ont survécu.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 115 16.07.034), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les nouvelles du naufrage touchent durement l'île

Les nouvelles du naufrage ont suscité l'indignation des familles et des amis des victimes et de la population en général. Tous ont condamné les nazis pour avoir attaqué un traversier voué au transport des passagers. Un éditorialiste du journal The Royalist de St. John's a écrit que le naufrage « était un crime inutile dans le contexte de cette guerre. Il n'aura aucun effet sur le déroulement de celle-ci, à part renforcer notre résolution d'éliminer de notre monde cette tare que les nazis étaient pour l'humanité ». [Traduction libre] Puis les enterrements se sont succédé au fur et à mesure que l'on retrouvait les corps des victimes. La région de Channel-Port aux Basques a été la plus durement touchée, car plusieurs membres de l'équipage du Caribou étaient des hommes du coin. Le 18 octobre, des centaines de personnes endeuillées ont assisté aux funérailles communes de six victimes. Une procession, longue de 2 km selon certains, a ensuite accompagné les cercueils jusqu'au cimetière.

Le Burgeo a repris l'ancienne route du Caribou après le naufrage, mais il ne naviguait jamais de nuit. Pour prévenir d'autres attaques, la Marine canadienne a ordonné que l'escorte du traversier navigue en zigzag devant le navire plutôt que de le suivre.

L'attaque du Rose Castle

Pendant ce temps, le U-69 restait caché dans les eaux de Terre-Neuve. Le 20 octobre, il a attaqué le minéralier Rose Castle qui naviguait entre l'île Bell et Sydney. Cette fois, la torpille n'a pas explosé et le navire s'en est tiré indemne. Le U-boot, à cours de torpilles, a décidé de rentrer au bercail. Au mois de février suivant, il a été coulé par le contre-torpilleur britannique HMS Viscount pendant qu'il attaquait un convoi à l'est de Terre-Neuve. Les 46 membres d'équipage du U-69 ont tous péri lors de cette attaque.

English version