Le récit de Strickland

(Avant-propos) Le récit suivant a été écrit par un survivant du traversier à passagers SS Cariboureliant Sydney à Port aux Basques, qui a coulé aux premières heures du 14 octobre 1942 après avoir été frappé par une torpille allemande. Ce texte a été publié originellement dans H. Thornhill, It Happened in October: The Tragic Sinking of the SS Caribou., Terre-Neuve, 1945.

LE RÉCIT DE M. WILLIAM STRICKLAND, au sujet de la perte de sa femme et de ses deux enfants, Hobby et Nora, qui se sont noyées lors du torpillage du S.S. Caribou. [Traduction libre].

Nous avons quitté la jetée de North Sydney vers neuf heures du soir. J'étais avec ma femme et mes deux enfants. C'était une nuit très agréable pour voguer en mer à la lumière des étoiles. Nous occupions la cabine no 23 et, peu après notre départ, ma femme et mes enfants se sont retirées dans le confort de notre cabine pour la nuit et se sont vite endormies. J'ai décidé d'aller me coucher à mon tour.

J'ai dormi profondément jusqu'à ce que je me réveille tard le lendemain matin. Constatant que nous approchions de Port aux Basques, je me suis levé et j'ai commencé à mettre mes chaussures lorsque j'ai été secoué par une énorme explosion. J'ai dit à ma femme, Gertie : « Mon Dieu, nous sommes torpillés ! » Puis je lui ai dit de prendre le bébé pendant que je prenais notre aîné, Hobby, dans mes bras. J'ai également saisi mes deux ceintures de sauvetage et ouvert la porte. J'ai tenté de monter sur le pont, mais les lumières étaient éteintes et nous étions plongés dans le noir complet à part une lueur tamisée visible près du bar-salon.

Nous avons réussi à nous rendre à tribord et en arrivant nous avons vu un bateau de sauvetage avec environ quatre hommes à bord. J'ai pris ma fille Hobby pour la descendre et la mettre à bord du bateau où se trouvaient ma femme et le bébé. Alors que je commençais à descendre à mon tour, le bateau de sauvetage a chaviré et j'ai entendu ma femme crier : « Hobby a disparu. »

Pendant ce temps, l'eau montait par-dessus le pont du bateau et ce dernier coulait rapidement. J'ai crié pour que quelqu'un prenne mon bébé pendant que j'essayais de monter et de me relever. Quelqu'un l'a pris et j'ai enfin réussi à grimper. Ma femme est parvenue elle aussi à atteindre le pont supérieur ainsi qu'une autre dame. Nous ne voyions aucune embarcation disponible pour nous venir en aide. Tout ce que je pouvais entendre, c'étaient les pleurs et les appels à l'aide des passagers qui semblaient complètement affolés.

Ma femme a hurlé en voyant son bébé en danger, puis elle a saisi ma main en disant : « Bill, nous partirons ensemble. » Nous avions de l'eau jusqu'aux genoux et celle-ci continuait de monter. La force de la houle nous a séparés. Je n'ai jamais revu ma femme par la suite. Les deux ceintures de sauvetage que j'essayais de tenir fermement ont disparu alors que j'essayais de sauver mon enfant.

Pour autant que je puisse en juger, j'ai été aspiré par l'effet de succion du bateau qui coulait et je ne pouvais pas reprendre le dessus. J'ai été pris dans ce tourbillon pendant un bon moment avant de pouvoir retrouver mes moyens. J'ai alors saisi un morceau de débris d'environ 4 pieds de long, mais j'ai dû le laisser aller.

Je me suis retrouvé sous l'eau une fois encore et j'en ai avalé une quantité considérable. C'était une question de vie ou de mort et j'ai dû mener une lutte acharnée avant de pouvoir remontrer à la surface. J'ai alors jeté un coup d'œil au-dessus de moi et j'ai vu un objet sur l'eau. Je me suis empressé de nager dans sa direction. C'était un canot de sauvetage. Je suis resté seul à bord environ 15 minutes, jusqu'à ce que j'aperçoive une femme qui nageait dans ma direction. Je l'ai aidée à monter à bord et elle a éclaté en sanglots en me disant que son bébé était mort. J'ai tenté de la consoler en lui racontant comment j'avais perdu ma femme et mes deux enfants.

Ensuite, cinq autres survivants sont apparus, quatre hommes et une fillette. Nous étions à l'affût en attendant qu'une corvette vienne à notre secours et j'essayais aussi de voir si nous pouvions rescaper d'autres personnes des périls de la mer.

La fillette que nous avions sauvée a été la première à apercevoir le bateau de sauvetage au loin. Nous sommes restés assis les pieds dans l'eau pendant environ quatre heures et demie et nous étions plutôt transis par le froid lorsque le bateau de sauvetage nous a repérés. Nous avons été conduits à North Sydney.

Quiconque aura le privilège de lire ce récit sera en mesure de s'imaginer ce que cela signifie d'être extirpé d'une cabine confortable par une explosion et de se retrouver dans l'eau froide, glaciale à trois heures du matin et de perdre tous les souvenirs les plus chers.

(Signé)
Wm. Strickland,
North Sydney.
Natif de Rose Blanche,
Terre-Neuve.

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