Les marins marchands

«La bataille de l'Atlantique n'a pas été gagnée par la Marine ou l'Aviation; elle l'a été par le courage, l'opiniâtreté et la détermination des marines marchandes britannique et alliée.»

– Contre-amiral Leonard Murray,
Commandant en chef de la région Atlantique Nord du Commandement canadien (texte officiel du gouvernement canadien)

Les marins marchands ont joué un rôle d'une importance capitale pendant la Deuxième Guerre mondiale en aidant à transporter à bord de navires non militaires du personnel, de l'équipement et des aliments essentiels à la Grande-Bretagne et aux autres pays alliés. Même s'ils ne faisaient pas partie des forces armées, ces hommes et ces femmes faisaient face constamment à la menace des sous-marins, des contre-torpilleurs et des avions ennemis qui tentaient de couper les lignes de ravitaillement. Des milliers de marins marchands ont été tués en mer et des centaines ont été capturés et envoyés dans des camps de prisonniers de guerre.

Des marins marchands non identifiés, en 1942
Des marins marchands non identifiés, en 1942
Ces deux survivants non identifiés d'un navire marchand torpillé ont trouvé refuge dans le port de St. John's en septembre 1942.
Photographie de Gerald Milne Moses. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-116455), Ottawa, Ontario.

Malgré tous ces risques, le recrutement s'est avéré fructueux à Terre-Neuve-et-Labrador puisque 10 000 personnes environ se sont portées volontaires avant la fin des hostilités. De nombreux marins marchands ont servi sur des bateaux terre-neuviens tels que le traversier à passagers Caribou, tandis que d'autres ont été recrutés par la marine marchande de différents pays alliés dont le Canada, les États-Unis et Panama. La plupart ont toutefois servi à bord de bateaux britanniques.

Les débuts du recrutement

La Grande-Bretagne dépendait des importations provenant de l'Amérique du Nord pour son effort de guerre. Toute interruption importante des voies de circulation dans l'Atlantique Nord aurait pu provoquer sa défaite aux mains de l'Allemagne. Reconnaissant l'importance d'avoir une marine marchande solide, le gouvernement britannique a sollicité des volontaires de Terre-Neuve-et-Labrador peu de temps après le début du conflit.

La réponse a été enthousiaste. En plus des centaines de matelots qui travaillaient déjà à bord des navires civils, des milliers d'autres volontaires ont offert leurs services dès que l'appel a été lancé. La plupart étaient des hommes plus âgés ou des adolescents qui n'avaient pas le droit de faire leur service militaire. Un petit nombre de femmes ont aussi été recrutées, généralement pour travailler comme préposées aux passagers sur les navires de passagers. Une fois acceptées, les recrues étaient habituellement mobilisées pour un certain nombre de voyages en ayant la possibilité de renouveler leur engagement. Toutefois, les hommes et les femmes volontaires qui préféraient rester à terre avaient le droit de le faire. Quelques marins marchands ont pu suivre une formation dans une école d'artillerie du côté sud de St. John's, mais la plupart n'ont pas pu bénéficier – ou très peu – d'un entraînement aux situations d'urgence ou d'une formation en matière de sécurité. Plusieurs d'entre eux ignoraient même comme endosser adéquatement un gilet de sauvetage.

Néanmoins, les marins marchands étaient bien présents au front et ils ont subi de lourdes pertes. La pire menace était celle des U-boots (sous-marins) allemands qui patrouillaient les couloirs de navigation en groupes et torpillaient les navires marchands qu'ils croisaient en route. Quand la guerre a atteint son apogée, entre la fin de 1942 et le début de 1943, les sous-marins allemands ont coulé en moyenne 33 navires marchands alliés par semaine. La plupart des pertes se sont produites dans l'Atlantique Nord, mais les forces de l'Axe ont aussi coulé de nombreux navires marchands sur les côtes de l'Amérique du Sud et de l'Afrique. Incapable de remplacer les bateaux détruits assez rapidement, la Grande-Bretagne réquisitionnait tous les bateaux disponibles, mais plusieurs d'entre eux étaient plutôt vieux. Cela représentait un autre danger pour les marins marchands qui devaient maintenant servir à bord de bateaux qui avaient été mis récemment hors circuit parce qu'ils étaient inaptes à prendre la mer.

Les convois

Pour contrer la menace d'attaques des U-boots, les navires marchands traversaient l'Atlantique en convois – des groupes de bateaux disposés en colonnes et escortés par des navires militaires. Des avions apportaient aussi leur soutien, mais leur champ d'action était limité lors des premières étapes de la guerre. Comme ces avions étaient incapables d'accompagner les convois très loin dans l'Atlantique, ils étaient condamnés à faire demi-tour. Les forces alliées ont fini par résoudre ce problème en installant des ponts d'envol sur certains navires marchands pour ravitailler les avions.

Un convoi allié, en 1942
Un convoi allié, en 1942
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux vaisseaux marchands se déplaçaient en convois semblables à celui que l'on voit ici déployé dans le bassin de Bedford, en Nouvelle-Écosse, en 1942.
Photographe inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-112993), Ottawa, Ontario.

Le système de convois comportait des avantages, mais il était loin d'être sans faille. Le brouillard et les contraintes liées aux couvre-feux provoquaient de fréquentes collisions dans les lignes de convois surchargées. Il n'y avait pas suffisamment de navires de la marine ou d'avions pour accompagner chacun des convois et, même avec l'aide d'une escorte, les pertes étaient très élevées à cause des mines, des U-boots, des navires de surface et des avions ennemis. Les Alliés ont perdu quelque 5150 navires marchands pendant la guerre.

Les navires pétroliers étaient les cibles préférées des sous-marins ennemis parce qu'ils transportaient du pétrole pour les usines, chars d'assauts, voitures et avions alliés. Le 31 mars 1942, le maître d'équipage Edmund Wagg, de Burin, était à bord d'un de ces bateaux non armés, le T. C. McCobb, lorsqu'un sous-marin italien l'a attaqué puis coulé dans l'Atlantique Sud. Après avoir abandonné le navire, Wagg a réussi à trouver un bateau de sauvetage et à ramer vers la côte brésilienne. Il a rescapé 18 de ses compagnons avant qu'un bateau allié qui passait par là vienne enfin les secourir. Après la guerre, Wagg a reçu une mention élogieuse du gouvernement américain pour son héroïsme.

Bien que de nombreux navires alliés aient été attaqués en traversant l'Atlantique, d'autres ont subi le même sort en naviguant près de la rive. Le 14 octobre 1942, le traversier Caribou, qui reliait Port aux Basques à Sydney, en Nouvelle-Écosse, a été coulé par une torpille allemande à seulement 64 kilomètres de la côte de Terre-Neuve. Seuls 15 hommes ont survécu parmi les 46 marins marchands qui travaillaient à bord. Pendant cette attaque, 49 passagers civils et 57 membres du personnel militaires ont aussi perdu la vie.

De nombreux bateaux qui ont été attaqués dans l'Atlantique Nord ont trouvé refuge dans le port de St. John's où les travailleurs ont assuré l'entretien de quelque 10 000 navires alliés pendant la guerre. Les marins de ces bateaux torpillés vivaient à St. John's jusqu'à ce qu'ils puissent regagner leur port ou un autre navire.

Des survivants, en 1942
Des survivants, en 1942
Des survivants d'un navire marchand torpillé ayant été mis à quai à St. John's en septembre 1942. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux marins ont trouvé refuge dans cette ville après avoir été victimes d'une attaque ennemie.
Photographie de Gerald Milne Moses. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-037424), Ottawa, Ontario.

En 1942, dans l'espoir de remonter le moral des marins marchands qui attendaient de reprendre leur service, un groupe de citoyens et d'hommes d'affaires de St. John's a contacté les compagnies de navigation locales afin de créer une association pour fraterniser avec les marins marchands. Installée dans le vieux Mechanics Hall (près du site où se trouve aujourd'hui le monument commémoratif de guerre au centre-ville de St. John's), cette association a organisé une multitude de divertissements pour les marins : danse, cinéma, billard, tennis de table et repas chauds.

La fin de la guerre

On estime qu'environ 60 000 marins marchands alliés sont morts avant la fin de la guerre, dont 333 venaient de Terre-Neuve-et-Labrador. Il n'est pas facile de déterminer le nombre exact de pertes de vie, car contrairement aux forces armées, la marine marchande n'avait pas de relevés officiels sur le nombre de recrues et de pertes de vie. Cette lacune était due en grande partie à la nature même de cette flotte – la plupart des marins marchands servaient à bord de navires de propriété privée réquisitionnés par l'État et envoyés à la guerre dans l'intérêt de la nation. Il n'existait donc aucune méthode pour tenir des registres officiels et plusieurs des compagnies propriétaires des bateaux ont disparu au cours des décennies qui ont suivi la guerre.

Malgré le rôle important et dangereux qu'ils ont joué pendant la guerre, on a témoigné peu de reconnaissance aux marins marchands après le conflit. La Commission de gouvernement, et le gouvernement canadien ultérieurement, n'ont pas reconnu les marins marchands comme vétérans et ne leur ont pas accordé le droit de profiter des bénéfices de guerre et des programmes de réhabilitation destinés à aider les membres des forces armées à réintégrer la vie civile.

Ce n'est que graduellement que la contribution de la marine marchande à l'effort de guerre a enfin commencé à être reconnue. En 1999, le gouvernement fédéral a déclaré que les marins marchands canadiens – incluant les Terre-Neuviens – étaient désormais considérés comme des vétérans à part entière. En 2000, George Baker, alors ministre des Anciens combattants, a reconnu aux marins marchands le droit de recevoir les pensions et bénéfices liés à leur participation à la guerre. En 2003, le Canada a désigné le 3 septembre Journée des anciens combattants de la marine marchande.

Aujourd'hui, un monument installé au Marine Institute de St. John's honore les marins marchands. Érigé en 1997 par la section terre-neuvienne de la marine marchande canadienne, il comporte les noms de 332 marins et de 1 femme de Terre-Neuve-et-Labrador tués par l'ennemi pendant la Deuxième Guerre mondiale.

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