L'accord anglo-américain concernant les bases cédées à bail

En vertu de l'accord concernant les bases cédées à bail signé avec la Grande-Bretagne le 27 mars 1941, les États-Unis ont obtenu le droit de construire des bases militaires à Terre-Neuve. Un accord préalable avait été conclu six mois plus tôt, le 2 septembre 1940. En vertu de cet arrangement, les États-Unis devaient fournir 50 de leurs contre-torpilleurs (destroyers) les plus anciens à la Grande-Bretagne en échange de baux de 99 ans dans les territoires qui allaient servir de bases militaires dans huit colonies du Royaume-Unis, dont Terre-Neuve.

Avant la signature de cet accord, les États-Unis, qui avaient subi de lourdes pertes pendant la Première Guerre mondiale, étaient réticents à s'impliquer dans une autre guerre lointaine. Toutefois, à la suite de l'occupation de la France par l'Allemagne nazie en juin 1940, les États-Unis ont réalisé la nécessité d'installer des bases militaires sur la côte atlantique afin de pouvoir défendre l'hémisphère occidental en cas d'attaques.

Winston Churchill (à droite) et Franklin Roosevelt, en 1941
Winston Churchill (à droite) et Franklin Roosevelt, en 1941
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le président américain Franklin Roosevelt a accepté de fournir 50 contre-torpilleurs à la Grande-Bretagne.
Photographe inconnu. Photographie tirée de Atlantic Meeting, de H.V. Morton, Toronto, Methuen and Co., Ltd., 1943. Tirage.

De son côté, depuis son arrivée au pouvoir le 10 mai 1940, le premier ministre britannique Winston Churchill demandait aux États-Unis d'aider la Grande-Bretagne à se défendre contre l'Allemagne. Churchill a confié au président américain Franklin Roosevelt que la Grande-Bretagne avait un urgent besoin d'acquérir de 40 à 50 contre-torpilleurs américains.

Pendant l'été, Roosevelt s'est arrangé pour faire d'une pierre deux coups en s'assurant que les États-Unis soient dorénavant mieux en mesure de défendre l'hémisphère occidental et que la Grande-Bretagne acquière les navires de guerre dont elle avait besoin. Il a proposé un échange : 50 vieux contre-torpilleurs américains contre des baux de 99 ans dans des territoires de Terre-Neuve, des Bermudes et des Antilles britanniques. Les territoires cédés à bail serviraient à établir des bases militaires américaines.

Churchill a accepté cette offre en prenant soin de mentionner qu'il serait nécessaire de consulter les gouvernements terre-neuvien et canadien avant de parachever tout accord concernant Terre-Neuve. Le Canada étant lui aussi en train d'établir une présence militaire à Terre-Neuve, Churchill jugeait qu'il était important de coordonner les plans de défense sur l'île.

Les négociations préliminaires

Au cours de l'été 1940, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont entamé des négociations au sujet des bases cédées à bail auxquelles la Commission de gouvernement de Terre-Neuve a peu participé. Les pourparlers officiels devant mener à un accord final avaient été prévus pour le mois de janvier 1941 à Londres et il était entendu que Terre-Neuve aurait alors l'occasion de commenter cette entente.

Le 2 septembre 1940, avant ces pourparlers, un accord de principe stipulant que les États-Unis fourniraient des contre-torpilleurs à la Grande-Bretagne en échange de la permission d'établir des bases militaires dans les Antilles britanniques avait été conclu. En signe de bonne volonté, il avait été toutefois décidé que la permission d'installer des bases militaires à Terre-Neuve et aux Bermudes ne serait pas assujettie à la livraison des contre-torpilleurs américains, comme c'était le cas dans les Antilles. Les États-Unis auraient le droit d'exploiter sans frais les bases qu'ils allaient aménager dans ces deux colonies, mais ils devraient toutefois offrir une compensation aux propriétaires fonciers expropriés. En 1945, les États-Unis avaient versé plus de 3 millions de dollars à 604 propriétaires fonciers de Terre-Neuve.

Le 3 septembre 1940, le lendemain de la conclusion de l'accord préliminaire, le gouvernement de Terre-Neuve a annoncé à la population que les forces américaines allaient prochainement installer des bases militaires sur l'île. Cette nouvelle a été accueillie favorablement.

Deux semaines plus tard, un comité représentant le personnel de l'armée et de la marine militaire américaines, dirigé par l'amiral John W. Greenslade, est arrivé à Terre-Neuve afin d'explorer les meilleurs sites pour l'aménagement des bases militaires et d'évaluer les besoins visant à assurer la défense militaire la région. En novembre, le groupe a recommandé de construire un terrain d'aviation à Stephenville, une base militaire à St. John's et de grandes bases navales et aériennes à Argentia.

Les pourparlers de Londres

Pendant ce temps, le gouvernement de Terre-Neuve se préparait en prévision des prochains pourparlers de Londres qui allaient mener à la finalisation de l'accord. La Commission a décidé de déléguer deux représentants : L.E. Emerson, commissaire à la justice et à la défense, et J.H. Penson, commissaire aux finances.

L.E. Emerson, commissaire à la justice et à la défense, vers les années 1940
L.E. Emerson, commissaire à la justice et à la défense, vers les années 1940
En janvier 1941, L.E. Emerson, commissaire à la justice et à la défense de Terre-Neuve et du Labrador, s'est rendu à Londres pour participer aux négociations sur l'accord concernant les bases cédées à bail.
Photographe: Yosuf Karsh. Photographie tirée de This Is Newfoundland, d'Ewart Young (directeur de la publication), Toronto, The Ryerson Press, 1949. Tirage.

Les négociations entamées le 28 janvier 1941 devaient d'abord durer deux semaines, mais elles se sont étalées sur huit semaines. La pierre d'achoppement importante qui a retardé les pourparlers entourant Terre-Neuve concernait l'étendue de la compétence légale dont les Américains bénéficieraient sur l'île.

Les négociateurs américains affirmaient que la juridiction de leur pays devait également s'étendre aux personnes – y compris aux habitants de Terre-Neuve – qui commettaient des infractions d'ordre militaire dans les territoires cédés à bail de même qu'aux sujets non britanniques commettant ce type d'infractions à l'extérieur de ces territoires. Emerson et Penson étaient contre le fait de confier une telle compétence à une puissance étrangère afin de ne pas ébranler l'autorité du gouvernement de Terre-Neuve.

Le gouvernement britannique a toutefois fini par acquiescer à la demande des Américains. Le 18 mars, Churchill a rencontré Emerson et Penson afin de leur demander personnellement leur collaboration malgré leurs appréhensions. Sans quoi, les a-t-il prévenus, les États-Unis pourraient être moins enclins à soutenir l'effort de guerre. Les deux hommes ont acquiescé à la demande de Churchill et, en retour, ils ont obtenu de la part du département d'État américain la confirmation que cette compétence serait considérée uniquement comme un pouvoir discrétionnaire. Les pourparlers ont aussi permis que le poisson pêché à Terre-Neuve puisse avoir un meilleur accès au marché américain et que la politique d'immigration soit améliorée pour les Terre-Neuviens souhaitant aller aux États-Unis.

Malgré leur respect des procédures, Emerson et Penson se sont plaints ultérieurement à leurs collègues de Terre-Neuve que les négociations avec les Américains avaient été trop unilatérales. Selon eux, les États-Unis auraient demandé à Terre-Neuve de faire de nombreuses concessions en lui accordant peu de faveurs en retour.

Le 27 mars 1941, l'accord concernant les bases cédées à bail a été signé par les officiels britanniques et américains. Il accordait aux États-Unis :

  • Tous les droits, pouvoirs et autorité dans les territoires cédés sous bail nécessaires à l'établissement, à l'exploitation et à la défense des bases militaires.
  • Le droit d'exercer une juridiction sur toutes les personnes, incluant les habitants de Terre-Neuve et les autres sujets britanniques accusés d'une infraction d'ordre militaire dans les territoires cédés par bail de même que sur les sujets non britanniques ayant commis ce type d'infractions à l'extérieur de ces territoires.
  • Le droit d'acquérir par bail supplémentaire des territoires additionnels jugés indispensables pour l'usage et la protection des bases militaires.

L'opinion publique

Craignant le mécontentement du public à propos des concessions que Terre-Neuve serait obligé de faire en vertu de cet accord, la Commission de gouvernement s'est efforcée à dépeindre cette entente comme étant juste, équitable et essentielle à l'effort de guerre. De plus, le premier ministre britannique Churchill a rédigé une lettre ouverte aux habitants de Terre-Neuve afin de rendre hommage à leur esprit de sacrifice et de les inviter personnellement à appuyer les dispositions de l'entente « dans l'intérêt de l'Empire, de la liberté et du bien-être de l'humanité ». [Traduction libre]

Cette stratégie a été une grande réussite et l'accord a été accepté sans objection importante de la part du public. Beaucoup de gens ont fait plutôt bon accueil aux Américains en anticipant les nombreuses perspectives d'emploi liées à la construction de la base militaire.

Au cours des mois qui ont suivi, Terre-Neuve est devenu l'un des endroits les plus militarisés en Amérique du Nord puisque les États-Unis ont dépensé plus de 100 millions de dollars pour transformer des milliers d'acres de terrain en bases aériennes et navales.

En 1980, la seule base construite en vertu de cet accord encore utilisée par les Américains était la base navale d'Argentia, qui a fermé ses portes en 1994.

À la suite du retrait des forces militaires, les installations de Stephenville, St. John's et Argentia ont été ultérieurement transformées à des fins civiles.

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