Le Labrador Ouest

Au cours des années 1950 et 1960, la région du Labrador Ouest est l'objet d'une exploitation minière rentable et à grande échelle. Sur une période de 15 ans, les sociétés minières se consacrent aussi à la construction de deux villes, au pavage des routes et à la mise en place de quais de chargement. Elles se chargent également de la construction d'une voie ferrée de 573 km qui traverse l'ouest du Labrador et le nord-est du Québec, un véritable exploit technique. Des milliers de travailleurs d'un peu partout dans la province et au pays se pressent vers ces mines en région éloignée, car les salaires y sont parmi les meilleurs au Canada.

Leur rentabilité ne peut masquer cependant le tort qu'elles causent au paysage et la modification des voies navigables réservées auparavant aux chasseurs innus. Ceux-ci ne reçoivent presque rien en guise d'indemnisation. Pour le premier ministre Joseph R. Smallwood, ces immenses gisements de fer représentent, espère-t-il, l'autonomie financière de la province. Lorsqu'il parle des ressources du Labrador, il déclare « Nous avons ici la possibilité de voler de nos propres ailes. » [Traduction libre]

Le lac Knob et la collectivité de Schefferville

En 1936, la minière Weaver Coal de Montréal, à la recherche de métaux précieux, demande à la Commission de gouvernement de Terre-Neuve l'autorisation d'explorer des régions sauvages non encore exploitées de l'ouest du Labrador d'une superficie de 50 000 km². Elle voudrait bien localiser les riches gisements de fer que le géologue canadien Albert Peter Low a mentionné dans les années 1890.

Une mission d'exploration, dirigée par Joseph Arlington Retty, s'y rend en 1936. En 1937, c'est pourtant le guide innu Mathieu André qui met le groupe sur la piste d'importants gisements de minerai de fer aux abords du lac Sawyer à quelque 80 km au nord-ouest des chutes Churchill. Ces gisements sont à forte teneur et conviennent donc à la production d'acier. Mathieu André touche plus tard, pour cette remarquable découverte, une commission de 7000 $. Avant que se termine l'année 1938, Joseph Arlington Retty repère d'autres gisements dans les environs dont certains chevauchent la frontière Labrador-Québec: en tout, plus de 350 millions de tonnes de minerais exploitables sur lesquels s'appuie l'exploitation minière du lac Knob qui se déroule au Québec.

D'autres entreprises manifestent rapidement leur intérêt. En 1949, la minière Weaver Coal se constitue en société minière sous le nom de Labrador Mining and Exploration. Elle conclut des partenariats avec sept autres aciéries et minières pour former la compagnie minière IOC (Iron Ore Company of Canada). Cette dernière ouvre ensuite et exploite la mine du lac Knob.

Avant même le début de ses activités minières, elle doit d'abord construire un chemin de fer afin de transporter le minerai extrait en région éloignée jusqu'au port de Sept-Îles, au Québec. De là, des navires convoient le minerai vers les ports américains plus au sud ou outre-mer.

C'est un projet titanesque. Pendant quatre ans, des ouvriers creusent un tunnel dans les montagnes. Ils érigent des ponts sur des rivières et assèchent des marécages. Lorsqu'en 1954, le chemin de fer Québec North Shore & Labrador roule pour la première fois, la compagnie a déjà investi 350 millions de dollars. La voie ferrée traverse la rivière Moisie, le chemin de portage qu'empruntent les Innus du Labrador et du Québec depuis des générations pour se rendre l'hiver à leurs territoires de chasse. Rien ne laisse présumer que quiconque associé à cette entreprise d'exploitation ait consulté les chefs innus sur les répercussions qu'entraînerait le chemin de fer sur la faune locale et la culture innue.

Non seulement la compagnie minière IOC construit-elle la voie ferrée, elle aménage un complexe minier au lac Knob et bâtit une nouvelle ville (Schefferville) pour y loger ses travailleurs. Le complexe et la ville sont situés au Québec. Entre 1950 et 1954, elle emploie 6900 travailleurs, dont plus de 3900 viennent de Terre-Neuve et du Labrador.

La mine du lac Knob est inaugurée le 31 juillet 1954 à Sept-Îles en présence des premiers ministres Joseph R. Smallwood de Terre-Neuve et du Labrador et Maurice Duplessis du Québec. Au moment du démarrage de ses activités, environ 400 hommes et femmes originaires de Terre-Neuve et du Labrador travaillent à Schefferville. Au cours des années suivantes, le premier ministre Smallwood envisage, de concert avec la compagnie minière IOC, l'ouverture d'une deuxième mine qui, cette fois, serait située au Labrador.

Le lac Carol et Labrador City

Entre les années 1948 et 1954, les progrès technologiques réalisés en sidérurgie permettent désormais aux usines d'utiliser du minerai de fer de plus faible teneur. En 1955, la compagnie minière IOC explore la zone du lac Carol avec la certitude que le Labrador comporte de vastes réserves de minerai de faible teneur. Lorsque les arpenteurs détectent plus de deux milliards de tonnes de minerai dont la teneur atteint au moins 35 p. 100 en fer, la compagnie se lance dans la production minière de la région en 1958.

À cette époque toutefois, l'ouest du Labrador n'est qu'une région sauvage. Avant d'entreprendre toute exploitation minière, la compagnie doit d'abord fonder une ville où pourront vivre les centaines d'hommes et de femmes qui y travailleront. La construction de ce qui deviendra Labrador City s'amorce à l'automne 1959. Cette même année, elle commence aussi l'aménagement de son complexe minier au lac Carol, ainsi que la construction d'un embranchement au chemin de fer Québec North Shore & Labrador.

En 1962, ses coûts dépassent les 150 millions lors de l'ouverture de la mine Smallwood. Le premier ministre Smallwood déclenche la première explosion à l'inauguration de la mine en juillet. Il fait sauter 75 tonnes de dynamite dans une colline près du lac Carol. Il lance en boutade qu'il a toujours voulu déplacer des montagnes. En 1965, l'extraction s'élève à 27 millions de tonnes.

Labrador City continue de croître sous la poussée démographique. Après la construction d'habitations, d'écoles, d'un réseau d'égouts et d'un point d'eau, la compagnie minière IOC aménage aussi un terrain de golf, une pente de ski, une patinoire et une tour de télécommunications. La ville compte à ce moment-là 8500 habitants, dont 1850 travailleurs miniers. La plupart viennent de l'île de Terre-Neuve quoiqu'une partie ait migré aussi d'autres régions du Canada. Très peu se déplacent d'autres territoires du Labrador, partiellement en raison de l'absence d'un réseau routier et de modes de transport facilitant les trajets des habitants d'est en ouest.

La collectivité de Wabush

Dans les années 1960, une deuxième mine de fer entre en activité au Labrador, mais elle n'appartient pas à la compagnie minière IOC. En vertu du bail signé en 1936 entre la Commission de gouvernement et la minière Weaver Coal, cette dernière accepte une rétrocession de 10 p. 100 de ses actifs du Labrador Ouest d'ici 1939. Le géologue principal, Joseph Arlington Retty, choisit de rendre une parcelle de terrain située au sud du lac Wabush qui recèle des gisements de minerai de faible teneur. Dès le début des années 1950 cependant, les procédés sidérurgiques permettent de rentabiliser l'extraction de ce type de minerai de fer.

En 1951, lors de l'examen d'une carte de la région dressée par la compagnie minière IOC, le sous-ministre aux Mines, Claude Howse, note l'existence de gisements. Il en informe immédiatement le premier ministre Smallwood. Celui-ci cherche dès lors un entrepreneur qui en gérerait l'exploitation. En 1953, John Doyle, un homme d'affaires américain, en acquiert les droits miniers pour la somme de 250 000 $. Il met sur pied la société Wabush Mines Limited. Il s'efforce pendant quatre ans d'attirer des producteurs d'acier étrangers. Il procède également à l'arpentage de la zone avoisinant le lac Wabush au coût de 15 millions de dollars, une zone qui se révèle riche en minerai. Il construit aussi un embranchement qui se greffe au chemin de fer Québec North Shore & Labrador.

En 1957, un consortium de producteurs d'acier américain, allemand et italien s'entend pour acheter la société Wabush Mines Limited. En contrepartie, John Doyle reçoit un versement initial de 2,5 millions de dollars et perçoit des redevances annuelles de 1,8 million de dollars dont le montant maximal plafonne à 3,2 millions au bout de cinq ans.

Au cours des années suivantes, la société minière Wabush investit environ 235 millions de dollars dans l'aménagement d'un complexe minier et la construction de la ville de Wabush, la deuxième collectivité minière du Labrador Ouest. La mine Scully est inaugurée en 1965. Il en sort chaque année quelque 13,6 millions de tonnes de minerai. Vers la fin des années 1960, 3000 personnes habitent Wabush; 900 d'entre elles travaillent à la mine.

Dans les années 1960, les mines Smallwood et Scully font du Labrador Ouest l'une des plus importantes régions dans l'extraction de minerai de fer au monde. Dans les années 1980, une baisse de la demande mondiale entraîne le licenciement de travailleurs. Pourtant, ces deux mines ont poursuivi leurs activités qui reposent sur des centaines de travailleurs. En 2007, la population totale combinée de Labrador City et de Wabush se chiffrait à environ 10 000 personnes.

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