L'Accord atlantique Canada–Terre-Neuve de 1985

L'Accord atlantique Canada–Terre-Neuve de 1985 est une entente établie entre la province et Ottawa à propos de la gestion des réserves de pétrole et de gaz naturel au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador. Il énonce notamment le partage des revenus entre les deux gouvernements et la convention stipulant que les droits de péréquation de la province ne seront pas affectés en dépit de l'augmentation des recettes provenant des ressources extracôtières. L'accord traite également de la constitution de l'Office Canada–Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers (aujourd'hui appelé Office Canada–Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers).

Cet accord est considéré généralement comme un moment charnière du développement économique de la province. Il a mis fin à plusieurs années de négociations et a permis la mise en œuvre des activités d'Hibernia et, par la suite, d'autres champs pétrolifères extracôtiers. Toutefois, même si les objectifs de l'accord étaient de « faire de la province le principal bénéficiaire » des ressources pétrolières, la Commission royale d'enquête de 2003 sur le renouvellement et le renforcement de la province au sein du Canada a conclu que Terre-Neuve-et-Labrador récolterait « un bénéfice net de seulement 20 à 25 p. cent de la somme globale des revenus du gouvernement ». Deux ans plus tard, l'accord a été amendé en faveur de la province, lui permettant ainsi d'avoir le statut d'une province « riche » en 2008.

Les négociations

Dans les années 1960, Mobil Oil a fait les premières prospections sismiques sur les Grands Bancs et le forage exploratoire s'est poursuivi jusque dans les années 1970. En 1979, Chevron Standard Limited a découvert le premier champ pétrolifère commercial, Hibernia, mais la mise en œuvre des travaux n'a pu commencer avant que les gouvernements provincial et fédéral ne résolvent les conflits concernant la propriété et la gestion des ressources, lesquels se sont poursuivis de 1967 à 1985.

Le gouvernement fédéral affirmait que les ressources extracôtières relevaient de sa compétence. En 1967, une décision de la Cour suprême du Canada avait accordé les droits miniers sous-marins de la côte de la Colombie-Britannique au gouvernement fédéral et le premier ministre libéral Pierre Elliott Trudeau a proposé que cette décision s'applique également à la côte est. En 1982, après des années de négociations infructueuses avec Terre-Neuve-et-Labrador, Trudeau a demandé à la Cour suprême de se prononcer sur ce cas.

Le gouvernement provincial a répliqué que le droit international accordait à Terre-Neuve la propriété des ressources minérales du plateau continental avant 1949, lesquelles n'avaient pas été transférées au Canada au moment de la Confédération. La clause 37 des Conditions de l'union statue que : « Toutes les terres, mines, minéraux et redevances appartenant à Terre-Neuve à la date de l'Union, et tous les échus ou payables pour lesdites terres, mines, minéraux ou redevances appartiendront à la province de Terre-Neuve, sous réserve de toutes fiducies à leur égard et de tout intérêt autres que celui que la province pourrait avoir dans les susdits. »

Brian Peckford, d'abord comme ministre des Mines et de l'Énergie (1976-1979), puis comme premier ministre (1979-1989), a déployé de nombreux efforts pour protéger les intérêts de la province. Il affirmait que le pétrole pourrait être une garantie réelle pour l'autonomie financière de Terre-Neuve-et-Labrador à condition que la province puisse gérer son développement et recevoir la plus grande part des revenus.

Sa vision était conforme à l'objectif plus vaste du gouvernement provincial d'acquérir un plus grand contrôle sur l'ensemble du développement des ressources. La Confédération a cédé la gestion des pêches à Ottawa, tandis que l'entente de Churchill Falls a davantage profité au Québec qu'à Terre-Neuve. Le pétrole extracôtier offrait à la province l'opportunité de prendre le contrôle d'une nouvelle industrie lucrative. Le fait que cette ressource soit non renouvelable accentuait l'importance de conclure une entente avantageuse avant le début de la production.

Au mois de mars 1984, la province a subi un revers lorsque la Cour suprême du Canada a tranché en faveur d'Ottawa. Peckford a alors redirigé ses efforts afin que la province puisse obtenir la gestion conjointe des ressources et la plus grande part des revenus. Il a pu profiter d'une conjoncture favorable puisqu'en cette année électorale fédérale de 1984, Brian Mulroney, chef du Parti progressiste-conservateur, a promis par écrit qu'advenant son élection, la province aurait voix au chapitre à propos de la gestion des ressources extracôtières et deviendrait « principal bénéficiaire » de l'industrie du pétrole et du gaz naturel.

L'élection de septembre a permis au Parti conservateur de former un gouvernement majoritaire à la Chambre des communes. La nouvelle administration a entamé les négociations avec la province, lesquelles ont abouti à la signature de l'Accord atlantique Canada–Terre-Neuve le 11 février 1985. Les signataires étaient Brian Mulroney, Brian Peckford, les ministres de l'Énergie Pat Carney (fédéral) et William Marshall (provincial), ainsi que le ministre fédéral de la Justice, John Crosbie.

L'Accord atlantique

L'accord octroyait à la province des pouvoirs décisionnels et des avantages financiers importants. Il faisait des gouvernements fédéral et provincial des partenaires égaux dans la gestion des exploitations extracôtières grâce à la mise sur pied de l'Office Canada–Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers. Un fonds de développement des ressources extracôtières de 300 millions de dollars – dans lequel Ottawa a versé 225 millions de dollars – a été créé pour aider la province à planifier sa croissance industrielle.

L'accord garantissait que les résidants de Terre-Neuve-et-Labrador profiteraient des emplois et des possibilités de formation. Les promoteurs auraient le devoir d'embaucher des travailleurs locaux qualifiés avant de considérer l'embauche de candidats venus de l'extérieur en plus d'aider à payer les programmes d'éducation et la recherche locale. Ils devraient aussi accorder la priorité aux entreprises locales aptes à fournir les biens et services nécessaires à la réalisation des projets extracôtiers.

Un élément important de l'accord concernait la distribution des revenus. Il permettait à la province de prélever des impôts et redevances sur les ressources pétrolières comme si elle en était le propriétaire. L'accord assurait à Terre-Neuve-et-Labrador une protection transitoire, pendant les 12 premières années de production, contre les réductions importantes de ses droits de péréquation attribuables à une augmentation des recettes qu'elle tirerait de la production pétrolière. (Un paiement de péréquation est un transfert d'argent du fédéral aux provinces à plus faible revenu. Les provinces qui gagnent plus que la moyenne nationale versent de l'argent au programme de péréquation chaque année, tandis que celles qui sont moins riches reçoivent de l'argent.)

Pendant les cinq premières années de production, la province pouvait garder 90 p. cent de ce qu'elle aurait autrement dû verser dans le cadre du programme de péréquation à cause de ses revenus pétroliers. Le pourcentage a chuté de 10 p. cent au cours de chacune des années qui ont suivi jusqu'à l'échéance de cet protection transitoire de 12 ans. Cette protection contre des réductions de ses droits de péréquation était primordiale, car elle permettait à la province d'augmenter ses recettes provinciales au lieu de perdre autant en péréquation autant qu'elle gagnait grâce à l'industrie pétrolière.

L'accord a été largement salué comme une réussite pour l'administration Peckford et un point tournant pour l'économie provinciale. Au moment de la signature, Peckford a prédit que l'accord permettrait « à cette province de rattraper son retard social et économique sur le reste du Canada », tandis que Mulroney a déclaré : « Je ne crains pas d'ouvrir la voie de la prospérité à Terre-Neuve-et-Labrador ».

Les répercussions

Au cours des années suivantes, des critiques ont toutefois affirmé que l'accord n'avait pas atteint son objectif fondamental de faire de la province la principale bénéficiaire de l'industrie pétrolière. La production a augmenté plus lentement que prévu et a généré de faibles revenus au cours des premières années cruciales de l'accord, alors que la protection transitoire concernant les droits de péréquation était la plus élevée. En 2003, la province n'a reçu que 12 cents pour chaque dollar de revenus provenant des ressources extracôtières, tandis que les 88 cents restants ont été répartis entre Ottawa et les autres provinces.

L'accord a été amendé en 2005 afin de donner à la province une protection complète contre des réductions de ses droits de péréquation résultant de l'inclusion dans le programme de péréquation des revenus que la province tire de ses ressources extracôtières. La protection, garantie pour une période de huit ans, a commencé avec l'année fiscale 2004-2005. La province a reçu un paiement forfaitaire unique de 2 milliards de dollars d'Ottawa, ce qui équivalait à environ 75 p. cent des bénéfices totaux qu'elle s'attendait à recevoir jusqu'à l'expiration de cette entente en 2012. Par conséquent, Terre-Neuve-et-Labrador est devenue une province « riche », ce qui signifie qu'elle payait pour le programme de péréquation plutôt que de recevoir de l'argent de celui-ci.

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