L'aménagement hydroélectrique de Bay d'Espoir

L'électrification se bute à des obstacles majeurs notamment la répartition géographique de la population dont une bonne partie habite de petites collectivités loin des principales centrales électriques. La province ne possède pas de réseau d'électricité. L'infrastructure électrique en service ne fait l'objet d'aucune réglementation et est sujette à des fluctuations de tension. Cette situation se révèle difficile pour le premier ministre Joseph R. Smallwood. Au début des années 1950, ce dernier avait formé un consortium d'intérêts britanniques désireux de développer les ressources hydrauliques de la province (The British Newfoundland Company – BRINCO). En 1954, le gouvernement met sur pied la Commission d'énergie de Terre-Neuve chargée d'examiner différents modes de production d'électricité, car il vise l'électrification des régions rurales. Selon le premier ministre Smallwood, il faut investir impérativement dans le développement de l'hydroélectricité, car des tarifs d'électricité peu coûteux inciteront de nouvelles entreprises à s'installer dans la province.

La centrale électrique de Bay d'Espoir, s.d.
La centrale électrique de Bay d'Espoir, s.d.
La légende au dos de la photo indique : “Bay d'Espoir Powerhouse 6 - 100,000 h.p. units. ” [Centrale électrique no 6, génératrices de 100 000 HP.]
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 075, 5.05.124), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Des levés topographiques signalent l'énorme potentiel hydro-électrique de la région de Bay d'Espoir, une baie située sur la côte sud de Terre-Neuve. Le bassin hydrographique constitué d'immenses lacs et d'un important réseau fluvial comprenant notamment les rivières Salmon, Grey et White Bear. Déjà dans les années 1920, un homme d'affaires de Nouvelle-Écosse, Harry Crowe, souligne le potentiel hydroélectrique des rivières Salmon et Grey qu'il évalue alors à 160 000 HP. En 1959, la Southern Newfoundland Power and Development Company, la filiale du consortium BRINCO, procède à une étude technique. Celle-ci révèle un potentiel de 550 000 HP ou 400 MW pour le bassin versant de la rivière Salmon, mais de 5000 MW pour Churchill Falls au Labrador. Les coûts d'aménagement atteindraient 78 millions de dollars. Le consortium BRINCO délaisse donc Bay d'Espoir pour se consacrer à la mise en valeur des ressources hydrauliques du fleuve Hamilton (rebaptisé plus tard Churchill).

L'évolution du projet

Le premier ministre Smallwood tient toujours à la production d'énergie hydroélectrique à Bay d'Espoir. La province achète les droits, les actifs et les travaux d'ingénierie préliminaires de la filiale Southern Newfoundland Power and Development Company pour la somme de 500 000 $. La participation du consortium BRINCO à l'élaboration du projet reste assurée. En 1964, le Conseil de développement de la région de l'Atlantique verse à la Commission d'énergie de Terre-Neuve une subvention de 20 millions de dollars en appui au projet. La vente d'obligations destinées aux États-Unis permet à la province d'obtenir un montant supplémentaire de 40 millions de dollars sur les 90 millions prévus. La construction de la centrale électrique de Bay d'Espoir se déploie en deux phases.

Le canal d'amenée à Bay d'Espoir, s.d.
Le canal d'amenée à Bay d'Espoir, s.d.
La légende au dos de la photo indique “Bay d'Espoir intake canal, intake structure and surge tanks (271 feet). ” [Le canal d'amenée, l'ouvrage de captage et les cheminées d'équilibre (83 m) à Bay d'Espoir.]
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 075, 5.05.126), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La phase I

Les travaux d'ingénierie s'amorcent en avril 1964. La construction s'enclenche l'année suivante. L'exécution de la phase I emploie 1800 travailleurs et la masse salariale se chiffre à 30 millions de dollars. Le camp de travailleurs le plus important, Camp Boggy, se compose de dortoirs et de résidences réservées au personnel. Un parc de roulottes situé dans un lotissement accueille 25 familles. Ces conditions de logement sont normales sur les chantiers de construction de cette époque.

Le plan d'aménagement hydroélectrique de Bay d'Espoir ressemble à celui de Churchill Falls. Plutôt qu'un seul grand barrage, c'est un ensemble de plus petits barrages et digues qui agrandissent le bassin hydrographique existant et dirigent les eaux vers un chenal. Le plan prévoit la dérivation de la rivière Grey vers la rivière Salmon, puis le détournement de cette dernière vers la rivière Northwest Brook, nécessitant de creuser davantage son lit. La centrale est construite sur la rive occidentale de la rivière Northwest Brook.

Le barrage nord à Bay d'Espoir, s.d.
Le barrage nord à Bay d'Espoir, s.d.
La légende au dos de la photo indique “Bay d'Espoir North dam, homogeneous earth fill, vol. – 1,622,000 cubic yards; height 130 ft.” [Le barrage nord de Bay d'Espoir; remblaiement uni, capacité de 1 622 000 verges cube; hauteur de 130 pi (40 m).]
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 075, 5.05.127), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le débit de la rivière Salmon alimente les trois générateurs de 75 MW de la centrale dont la production totalise 225 MW. Lors de la phase I, la mise en activité de la centrale, prévue pour le 1er mars 1967, est retardée. L'inauguration par le premier ministre Smallwood a plutôt lieu le 15 août 1967. En général, les travaux se sont déroulés sans accroc et dans les délais prévus. En 1965 pourtant, les travailleurs non syndiqués ont exigé de meilleures conditions salariales et une modification des modalités de quarts de travail. La direction réagit alors promptement pour calmer la situation. Une entente entre les deux camps est effectivement signée le 30 octobre de la même année.

En plus de tirer avantage de l'érection de la centrale, la région bénéficie aussi de la mise en place d'une infrastructure assurant le bon déroulement des travaux telle la construction d'un nouveau quai, d'un aéroport et d'une route entre Bay d'Espoir et Bishop's Falls. S'y ajoutent 837 km de lignes de transport d'électricité à haute tension, d'est en ouest, reliant St. John's, Bay d'Espoir, Grand Falls, Corner Brook et Stephenville. Cette épine dorsale du réseau électrique de Bay d'Espoir facilite une distribution plus régulière des charges électriques dans toute la province. Ce réseau est crucial dans l'électrification des zones rurales.

Le barrage Rockfield à Bay d'Espoir, s.d.
Le barrage Rockfield à Bay d'Espoir, s.d.
La légende au dos de la photo indique “Bay d'Espoir Salmon Rivers Rockfield Dam 130 feet.” [Barrage Rockfield, 130 pi (40 m) sur la rivière Salmon, à Bay d'Espoir]
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 075, 5.05.128), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La phase II

La phase I devait répondre aux besoins en électricité de la province jusqu'en 1978 au moins. Toutefois, dès 1969, un dynamisme économique impose déjà une hausse de la production d'électricité avec l'essor continu du secteur industriel, une conjoncture impossible avant la construction de la centrale de Bay d'Espoir. De nouvelles activités industrielles s'implantent dans la province. Une usine de production de phosphore, Electric Reduction Company of Canada, s'installe à Long Harbour dans la baie Placentia. Un chantier maritime et une usine de transformation de poisson voient le jour à Marystown. Une fabrique de carton doublure s'établit à Stephenville et une raffinerie de pétrole à Come By Chance.

En mai 1966, la Commission d'énergie lance la phase II dont les coûts sont évalués à 80 millions de dollars. Cette phase exige la dérivation des rivières Victoria et White Bear vers le bassin hydrographique des rivières Salmon et Grey et la construction de nouvelles lignes de transport d'électricité. Les travaux commencent à l'été 1966 et se terminent en avril 1970. Trois nouveaux générateurs, semblables à ceux de la phase I, entrent en action. La production d'électricité de la centrale de Bay d'Espoir augmente à 450 MW. La réalisation du projet de centrale hydroélectrique de Bay d'Espoir permet au gouvernement provincial de coordonner sa démarche en matière d'aménagement hydroélectrique à venir. Responsable de la distribution d'électricité dans la province, la société Newfoundland Light and Power peut désormais offrir les mêmes tarifs à ses clientèles urbaine et rurale. Elle peut aussi proposer des mesures incitatives susceptibles de favoriser l'établissement de nouvelles entreprises dans la province. En 1980, 80 employés travaillaient à temps plein à la centrale de Bay d'Espoir. Sa production en hausse atteignait 600 MW.

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