Le grand feu de St. John's de 1892

Vers la fin de l'après-midi du 8 juillet 1892, une pipe ou une allumette tombée dans un tas de foin met le feu à une écurie de St. John's. Ce début d'incendie, qui aurait pu être facilement maîtrisable, s'est rapidement propagé en raison du temps sec, de la déplorable organisation des services d'incendie et d'une planification urbaine déficiente. En quelques heures, le feu rase la presque totalité de la ville. Il jette à la rue 11 000 personnes et occasionne des dégâts matériels atteignant 13 millions de dollars.

St. John's après l'incendie de 1892
St. John's après l'incendie de 1892
Vue de St. John's à partir de la rue Duckworth Est, après le grand feu de 1892.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 05.01.005), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La destruction de la capitale et noyau commercial de Terre-Neuve et du Labrador entraîne un ralentissement économique brutal. Dans les mois qui suivent, la ville est en pleine reconstruction. Les coûts des travaux s'élèvent à plus de 300 000 $ pour le gouvernement. Un comité de secours local distribue des vêtements, de la nourriture et d'autres biens essentiels aux personnes qui sont sans logis. L'arrivée massive d'aide étrangère permet à la ville de recouvrer les pertes subies. Ce grand feu oblige le gouvernement à réorganiser les services d'incendie de la ville, à fournir aux pompiers du matériel de meilleure qualité et à améliorer leur formation.

Le début de l'incendie

Vers 17 h le vendredi 8 juillet 1892, les pompiers de la caserne centrale de St. John's sont informés qu'un feu s'est déclaré dans une écurie en haut de Carter's Hill, là où se rencontrent les chemins Freshwater et Pennywell, non loin du centre de la ville. Le bâtiment appartient à Timothy Brine. Les pompiers arrivent sur les lieux 30 minutes plus tard, mais une pénurie d'eau les empêche de contenir les flammes. Situé à quelques mètres à peine de l'écurie, le réservoir d'eau de 113 650 litres est en effet presque à sec, les pompiers ayant oublié de le remplir après avoir terminé leurs plus récents exercices.

Des bâtiments en ruine après le grand feu de 1892
Des bâtiments en ruine après le grand feu de 1892
Des bâtiments non identifiés de St. John's détruits par le feu.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 05.01.008), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La faible pression de l'eau met également hors service les bornes d'incendie. Plus tôt, ce matin-là, le président du conseil municipal, Thomas Mitchell, avait donné l'ordre de fermer l'approvisionnement en eau de la ville pour la pose de nouvelles canalisations, et ce, sans en avertir les autres membres du conseil ni consulter l'ingénieur municipal. Les employés de la ville l'avaient bien rétabli à 15 h, mais à 17 h la pression n'était pas suffisante pour faire circuler l'eau dans les conduites installées dans les hauteurs de la ville, notamment là où s'est déclenché le feu.

Le temps sec et les vents forts aggravent la situation. Le mois précédant l'incendie, aucune goutte de pluie n'est tombée sur la ville et de fortes températures sont atteintes. Des feux de forêt ont éclaté dans la campagne environnante. En ville, le bois de nombreuses habitations est desséché. Le vent violent qui souffle ce 8 juillet attise les flammes et dissémine étincelles et braises sur les toits. Les pompiers sont incapables d'établir des pare-feu en démolissant des bâtiments, car ils ont laissé leurs haches à la caserne.

La progression de l'incendie

De la ferme de Timothy Brine, le feu dévale Carter's Hill et suit le chemin Freshwater avant de se ramifier à l'intersection du chemin Harvey et de Long's Hill. Sa vitesse de propagation effraie les citadins. À 18 h, ils entreposent déjà leurs objets de valeur dans la cathédrale anglicane, l'église méthodiste de la rue Gower, et tout autre bâtiment en pierre ou en brique susceptible, selon eux, de résister aux flammes. À mesure qu'il avance vers le centre-ville, le feu ne laisse debout que les murs de ces édifices. La cathédrale anglicane est dans un tel état de désolation que sa restauration prendra plus de 10 ans.

Ce qu'il reste de la cathédrale anglicane en 1892
Ce qu'il reste de la cathédrale anglicane en 1892
Les dégâts à la cathédrale anglicane sont si importants que sa restauration prendra plus de 10 ans.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 05.01.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

À 20 h, l'incendie englobe le centre-ville et provoque panique et chaos. Des pillards saccagent plusieurs commerces et habitations le long des rues Water et Duckworth. Les habitants des étages supérieurs fuient, emportant tout ce qu'ils peuvent. Les navires amarrés au port prennent le large pour éviter de devenir la proie des flammes qui dévorent rapidement les quais et le matériel.

Les ruines des commerces de la rue Water en 1892
Les ruines des commerces de la rue Water en 1892
Des bâtiments ravagés par le feu du côté sud de la rue Water.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 05.01.011), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

L'incendie fait rage toute la nuit et ne s'éteint qu'au petit matin vers 5 h 30. De nombreux citoyens se réfugient dans le parc Bannerman ou sur le terrain de la cathédrale catholique, l'un des rares édifices que le feu n'a pas réduit en cendres. À l'aube du 9 juillet, plus des deux tiers de la ville de St. John's sont anéantis. Onze mille personnes se retrouvent sans logis. Une bonne partie d'entre elles ont tout perdu et possèdent pour tout bien les vêtements qu'elles portent. En 12 heures seulement, le feu a tué 3 personnes et produit des dommages matériels se chiffrant à 13 millions de dollars. Cependant, l'assurance des immobilisations ne dépasse pas 4,8 millions de dollars.

Les secours aux sinistrés et la réponse du gouvernement

Le gouvernement vient promptement à la rescousse des victimes. Des abris temporaires sont érigés dans le parc Bannerman, la gare ferroviaire, sur les rives du lac Quidi Vidi et à d'autres endroits appropriés. Le 11 juillet, le juge en chef Frederick Carter met également sur pied un comité de secours afin de coordonner l'intervention auprès des sinistrés. Ce comité distribue non seulement de la nourriture, des vêtements et d'autres biens de première nécessité, mais fournit aussi de l'emploi ou une formation aux personnes ayant perdu leur gagne-pain en raison de l'incendie. Il ouvre une « école de métiers » pour les femmes en chômage qui y apprennent à tricoter ou à filer la laine. Il paye les frais de voyage des femmes désireuses de travailler au Canada et aux États-Unis. Il remplace aussi les outils que les ouvriers de la construction ont perdus dans l'incendie s'ils en font la demande.

Le Canada, la Grande-Bretagne et les États-Unis font parvenir des dons importants. En vacances en Angleterre au moment du sinistre, le gouverneur de Terre-Neuve et du Labrador, T. N. O'Brien, recueille auprès de la population des dons totalisant 113,705 $. Le gouvernement britannique verse également 72 000 $. Des expatriés installés à Boston au Massachusetts lancent une fructueuse campagne de financement et remettent au comité la somme de 16 000 $. Le Canada est le premier pays étranger à envoyer du secours. Le samedi 9 juillet, le navire HMS Blake quitte le port de Halifax en route pour St. John's transportant à son bord une grosse cargaison de tentes, de denrées alimentaires et d'autres articles. Dans les jours et les semaines qui suivent, il continue à ravitailler la ville, en plus de d'offrir un montant de 20 000 $.

À la fin d'août, le gouvernement et le conseil municipal de St. John's conviennent d'un plan de reconstruction. Le gouvernement exige l'élargissement d'une bonne partie des rues du centre-ville. Il les veut aussi plus droites, mais renonce au quadrillage, car il faudrait prolonger les délais et y consacrer un investissement substantiel. À la fin de 1895, les coûts de reconstruction s'élèvent à 370 786 $.

Le centre-ville de St. John's le 8 août 1892
Le centre-ville de St. John's le 8 août 1892
Cette photographie du centre-ville et du port est prise en regardant vers l'ouest, à partir de la rue Temperance, un mois après le grand incendie.
Photographe : S. H. Parsons. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 05.01.007), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le grand feu de 1892 pousse le gouvernement à procéder à une réorganisation des services d'incendie de la ville. Avant cette catastrophe, les corps de pompiers fonctionnent sur une base bénévole. À la fin de 1895, le gouvernement a embauché 22 pompiers qui seront rémunérés, et construit trois nouvelles casernes. Il met également en place un corps de police et de pompiers mixte qui relève de l'inspecteur général de la force constabulaire de Terre-Neuve. Cette mesure tient compte des recommandations du juge D. W. Prowse qui a reçu du gouvernement le mandat d'enquêter sur l'incendie. Dans le rapport qu'il présente en 1892, le juge Prowse constate de graves lacunes dans la gestion des services d'incendie. Il propose d'en déléguer la responsabilité à une autre entité. « Si nous continuons de confier la gestion des services d'incendie aux mêmes parties, nous méritons de passer au feu », déclare-t-il.

English version

Vidéo: Le grand feu de Saint-Jean de 1892 (en anglais seulement)