Le gouvernement Wells (1989-1996)

Les batailles constitutionnelles et les compressions budgétaires importantes ont marqué le gouvernement libéral dirigé par Clyde Wells d’avril 1989 à janvier 1996. Peu après son entrée en fonction, l’opposition acharnée de Wells à l’Accord du lac Meech a mis ses relations à rude épreuve avec le gouvernement fédéral et celui du Québec, mais cela lui a tout de même valu d’être célébré par le Canada anglais et sa province natale. Il a été désigné par plusieurs comme une figure centrale de l’échec ultime de l’Accord du lac Meech.

Clyde Wells, 1993
Clyde Wells en 1993
Clyde Wells a été premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador du 20 avril 1989 au 26 janvier 1996.
Avec la permission du magazine The Newfoundland Herald. Photographie tirée du Newfoundland Herald, vol. 48, no 18 (St. John's: The Newfoundland Herald, ©1993)

Les difficultés économiques ont ensuite nui à la popularité de Wells à Terre-Neuve-et-Labrador. L’effondrement de la pêche à la morue, le déficit assez considérable et la diminution du financement fédéral ont poussé le gouvernement à adopter une série de budgets austères. Le gel des salaires et les licenciements à grande échelle lui ont valu des critiques acerbes de la part des syndicats et de la fonction publique, mais ces mesures ont toutefois permis de réduire les dépenses publiques en période de difficultés économiques. Néanmoins, les taux de chômage sont demeurés élevés pendant les deux mandats de Wells tandis que les revenus des particuliers étaient inférieurs à la moyenne nationale.

Le gouvernement Wells a également dû faire face à d’autres sujets épineux dont la réforme de l’éducation, le développement rural, la fusion forcée de petites collectivités avec St. John’s et une tentative ratée de privatiser Newfoundland and Labrador Hydro.

Le retour de la gouvernance libérale

Le 20 avril 1989, l’élection du gouvernement libéral dirigé par Clyde Wells a mis fin à 17 années de gouvernance par le Parti progressiste-conservateur. Les tories n’avaient pas réussi à faire baisser les taux de chômage élevés et à acquérir un plus grand contrôle sur la gestion des pêches. Le coûteux fiasco des serres hydroponiques Sprung et la démission de Brian Peckford comme premier ministre en mars 1989 avaient contribué à affaiblir davantage le parti. La population était prête pour un changement, et ce, avant que le nouveau chef conservateur Tom Rideout annonce des élections anticipées un mois plus tard.

Le Parti libéral a proposé une solution de rechange énergique. Wells était un avocat d’entreprise respecté et, de 1966 à 1968, il a été ministre au sein du gouvernement de Joseph Smallwood. En 1968, son collègue John Crosbie et lui ont reçu l’appui de la population en renonçant à leurs portefeuilles afin de protester contre la décision du premier ministre Smallwood d’accorder au financier américain John Shaheen un prêt de 5 millions de dollars lié à son projet de raffinerie de pétrole à Come By Chance. En 1987, Wells a fait son retour dans l’arène politique en tant que chef libéral et sa popularité a continué de croître pendant que celle de Peckford déclinait.

John Crosbie, 1966
John Crosbie, en 1966
Clyde Wells et John Crosbie ont été ministres dans les années 1960. Ils ont reçu l’appui de la population en renonçant à leurs portefeuilles afin de protester contre la décision du premier ministre Smallwood d’accorder au financier américain John Shaheen un prêt de 5 millions de dollars lié à son projet de raffinerie de pétrole à Come By Chance.
Photographie de Garland Studio. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection J.R. Smallwood 075, 5.05.354), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John’s, T.-N.-L.

Wells a introduit son propre style de leadership à la Chambre d’assemblée. Intellectuel, réfléchi et doté de principes, il avait une personnalité qui tranchait clairement avec celle plus combative et fougueuse de Peckford. Pendant que les Conservateurs se battaient pour obtenir une plus grande indépendance vis-à-vis du gouvernement fédéral, Wells, un vrai fédéraliste, souhaitait renforcer les liens de la province avec Ottawa. Il croyait que le pays serait mieux servi par un gouvernement central fort qui traiterait toutes les provinces sur un pied d’égalité. Lors de l’élection générale de 1989, les libéraux ont remporté 31 sièges et les tories 21.

L'Accord du lac Meech

Wells a attiré l’attention de tout le pays dès le début de son mandat en s’opposant à l’Accord du lac Meech. Négocié par les 10 premiers ministres provinciaux et le premier ministre fédéral Brian Mulroney le 30 avril 1987, l’Accord proposait de réformer la Constitution canadienne en reconnaissant le Québec comme société distincte et en garantissant des pouvoirs plus importants aux provinces dans des domaines tels que la nomination des juges à la Cour suprême, l’immigration et les éventuels changements constitutionnels. La date butoir pour la ratification de l’Accord par toutes les assemblées législatives provinciales et le Parlement fédéral avait été fixée au 23 juin 1990. La législature de Terre-Neuve l’avait ratifié dès le 7 juillet 1987.

L’Accord n’avait pas été un enjeu électoral, mais ce sujet a dominé la première année du mandat de Wells comme premier ministre. Il s’était opposé vigoureusement à cet Accord en tant que chef de l’opposition et, le 25 mai 1989, il a annoncé dans son discours du Trône qu’il demanderait à la Chambre d’assemblée d'annuler l’approbation de la province à l’entente. Il prétendait que l’Accord désavantagerait les provinces les plus pauvres en limitant les dépenses fédérales et rendrait la réforme du Sénat et les futurs amendements constitutionnels pratiquement impossibles. Fier défenseur du principe d’égalité de toutes les provinces, Wells estimait que l’Accord accorderait un statut particulier au Québec.

Ses opinions lui ont valu des louanges de la part du Canada anglais, mais de sévères critiques du Québec et de Brian Mulroney. Wells a rejeté l’argument voulant que le rejet de l’Accord ranimerait le mouvement séparatiste au Québec en disant qu’il ne servait qu’à attiser la peur. L’Accord s’est finalement soldé par un échec puisqu’à l’issue de la date butoir les assemblées législatives du Manitoba et de Terre-Neuve ne l’avaient pas encore ratifié.

Les difficultés économiques

À Terre-Neuve-et-Labrador, l’intérêt pour le débat constitutionnel a vite été éclipsé par de sérieuses difficultés économiques. Après des décennies de pêche intensive effectuée par des flottes canadiennes et étrangères, les stocks de morue du Nord se sont effondrés. Le gouvernement fédéral a imposé un moratoire le 2 juillet 1992. Cette fermeture a mis environ 30 000 personnes de la région au chômage et a mis fin à un mode de vie qui s’était transmis de génération en génération dans de nombreux villages côtiers.

Ottawa a mis sur pied un programme d’indemnisation destiné aux pêcheurs et aux travailleurs d’usine sans emploi, mais Wells, dont les relations avec le gouvernement fédéral demeuraient tendues après l’échec de l’Accord du lac Meech, n’a pas été impliqué dans le processus de planification. Le Programme d’adaptation et de redressement de la pêche de la morue du Nord (PARPMN) versait aux travailleurs concernés de 225 à 406 $ par semaine et exigeait qu’ils suivent une formation qui leur permettrait de travailler dans d’autres secteurs d’activité. En 1994, ce programme a été remplacé par la Stratégie du poisson de fond de l’Atlantique (LSPA), un autre programme de soutien qui leur versait de 211 à 382 $ par semaine. Le gouvernement fédéral souhaitait que la LSPA reste en vigueur jusqu’en 1999, mais elle avait déjà épuisé sa caisse de 1,9 milliard de dollars en mai 1988.

Fish plant workers, 1991
Des travailleurs dans une usine de transformation du poisson, en 1991
Le moratoire sur la pêche à la morue de 1992 a mis au chômage environ 30 000 pêcheurs et travailleurs d’usine de Terre-Neuve-et-Labrador.
Avec la permission de Scott Woodman, ©1991.

Ces deux programmes ont connu un succès mitigé. Des critiques ont prétendu que les pêcheurs ne recevaient pas une compensation suffisante et qu’ils étaient mal préparés pour travailler dans d’autres domaines. L’émigration affectait les zones rurales, car on y trouvait peu d’industries et d’entreprises capables d’embaucher ceux qui avaient perdu leur emploi. Des milliers de personnes ont déménagé dans les centres urbains ou quitté la province pour trouver du travail. Statistique Canada rapporte que la population rurale de Terre-Neuve-et-Labrador est passé de 264 023 à 216 734 entre 1991 et 2001.

L’économie était également en difficulté dans d’autres secteurs. La dette provinciale était de 5,2 milliards de dollars en 1990, soit l’une des plus élevées par habitant au pays. De plus, le gouvernement fédéral amorçait une période de restriction budgétaire et de réduction des paiements de transfert aux provinces. Jusqu’au début des années 1990, les fonds fédéraux et l’industrie de la pêche à la morue étaient au cœur de l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador. Pour compenser, la province a coupé radicalement dans les dépenses publiques.

Des mesures précoces prévoyaient la réduction du nombre de ministères gouvernementaux de 18 à 12 et le démantèlement du Bureau d’ombudsman (qui bénéficiait d’un budget de 238 000 $), créé à l’époque du gouvernement Moores. Les réductions les plus importantes, présentées dans le budget de mars 1991, ont entraîné le licenciement de 1300 fonctionnaires permanents et de 700 autres à temps partiel, l’abolition de 500 postes vacants ainsi qu’une réduction de 10 % du nombre de cadres d’administration et de direction. Un gel de salaire d’une durée d’un an a aussi été imposé aux fonctionnaires.

Ces mesures ont rendu les chefs syndicaux furieux puisqu’elles annulaient les augmentations de salaires négociées précédemment pour l’année fiscale 1991-1992, ainsi qu’un programme d’équité salariale dans le secteur des soins de santé. Le budget a également coupé de 37 millions de dollars les fonds gouvernementaux destinés aux soins de santé et à divers services. Les syndicats ont contesté vigoureusement ces mesures lors d’une campagne appelée « Clyde a menti », mais ils n’ont pas réussi à empêcher le gouvernement de prolonger le gel des salaires d’une autre année dans son budget de mars 1992.

Wells a aussi été accaparé par d’autres problèmes au cours de son premier mandat comme premier ministre. Il a respecté une promesse électorale de 1989 visant à redynamiser l’aménagement rural en créant la Commission de relance économique peu après son entrée en fonction. Dirigée par J.D. House, ex-président de la Commission d’enquête sur l’emploi et le chômage, la Commission avait pour mandat de diversifier l’économie provinciale afin qu’elle soit moins subordonnée aux ressources primaires et aux paiements de transfert fédéraux. Sa mission consistait à créer un secteur privé solide grâce à de petites entreprises pouvant embaucher des travailleurs dans toutes les régions de la province. Le travail de la Commission de relance économique a toutefois été ralenti par les restrictions économiques du début des années 1990 ainsi que par la résistance de la bureaucratie en place. Incapable d’obtenir des résultats favorables à court terme, la Commission a été démantelée peu après la démission de Wells en 1996.

Wells était aussi un partisan des fusions de collectivités, mais il a dû faire face à l’opposition des banlieues de Mount Pearl, Goulds et Wedgewood Park lorsqu’il a proposé leur fusion avec la capitale en 1989. Malgré l’importante résistance de ces trois collectivités, seule Mount Pearl a pu conserver son autonomie. En 1991, la province a adopté le projet de loi 50 afin de forcer la fusion de Goulds et Wedgewood Park avec St. John’s.

Un deuxième mandat

Lors de l’élection générale de 1993, après avoir centré sa campagne sur l’austérité fiscale, Wells a été réélu avec une majorité encore plus importante. Ce mandat fort visant à maintenir les restrictions économiques lui a donné carte blanche pour multiplier les compressions. En 1995, le gouvernement a aboli 445 emplois et réduit de 30 millions de dollars le financement réservé aux soins de santé, aux services sociaux, à l’éducation, aux municipalités et à d’autres secteurs, mais il a néanmoins présenté le premier budget équilibré de l’histoire de la province.

L’une des mesures de réduction de coûts adoptées par Wells a suscité un débat vif au début de son deuxième mandat. En 1994, il a annoncé son intention de privatiser la société publique Newfoundland and Labrador Hydro en prétextant que cette transaction permettrait d’effacer 1,2 milliard de dollars de la dette provinciale tout en augmentant l’efficacité de l’entreprise. La population s’est fortement opposée à ce projet en faisant des manifestations et des pétitions en plus de faire parvenir des douzaines de lettres aux journaux locaux. Les opposants ont souligné le fait que cette société publique n’avait jamais cessé de rapporter des profits au cours des décennies précédentes et que la privatisation entraînerait une hausse des tarifs d’électricité.

Le Parti progressiste-conservateur a comparé ce projet à l’entente désastreuse de Churchill Falls signée en 1969 par le gouvernement Smallwood, laquelle confirme la vente d’électricité à bas prix à Hydro-Québec jusqu’en 2041. Walter Noel, député libéral à la Chambre d’assemblée, a aussi accusé Wells de ne pas tenir compte des objections de la population. « Le premier ministre a bâti sa réputation nationale et provinciale en grande partie grâce à la façon dont il s’est occupé du problème constitutionnel et de son écoute attentive envers la population, a-t-il confié à des journalistes.  Mais la plupart des gens ont senti qu'il a négocié différemment avec Hydro et ils ne reconnaissaient plus le Clyde Wells pour qui ils avaient tant de respect. » [Traduction libre] (Cox, « Wells » A4).

Cette controverse a nui à la réputation de Wells auprès des électeurs et sa cote d’approbation est passée de 71 % en avril 1991 à 52 % en novembre 1994. Plus tard au cours du mois de novembre, la province a mis son projet de privatisation sur la glace pour finalement l'abandonner pour de bon en 1995.

En 1995, le débat public s’est tourné vers la réforme de l’éducation alors que le gouvernement Wells tentait de remplacer le système scolaire confessionnel traditionnel par un système d’éducation laïque moins coûteux. Ce changement ferait passer le nombre de conseils scolaires de 27 à 10 et entraînerait la fermeture de plus d’une centaine d’écoles, ce qui se traduirait en des économies de quelque 30 millions de dollars par année. Le référendum provincial du 5 septembre 1995 a révélé que la majorité de électeurs (54,4 %) étaient en faveur de la réforme, mais la réforme a été bloquée en 1997 lorsque l’Église catholique, les Assemblées pentecôtistes et 29 parents ont contesté avec succès cette nouvelle désignation devant la Cour suprême de Terre-Neuve. La réforme de l’éducation n’a donc été entreprise qu’avec l’arrivée au pouvoir du libéral Brian Tobin.

Wells a annoncé ses intentions de quitter la politique en décembre 1995 et il a démissionné de son poste de premier ministre le 26 janvier 1996. « L’anonymat est une chose formidable, a-t-il déclaré au magazine Maclean’s. Je suis heureux de retourner à ce mode de vie. » (DeMont p. 12). Il a prédit que la province connaîtrait deux autres années de difficultés économiques avant d’amorcer une période de croissance grâce au pétrole, à l’exploitation minière au Labrador et à l’industrie foisonnante des pêches. Wells est retourné à sa pratique juridique et, en 1998, il a été nommé juge à la Cour suprême de Terre-Neuve (Cour d’appel). Il a occupé le poste de juge en chef de 1999 à 2009 et a pris sa retraite en 2012.

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