Le gouvernement avant 1730

Les systèmes juridique et politique ont connu à Terre-Neuve une évolution fort différente de ceux des autres possessions et colonies de la Grande-Bretagne en Amérique du Nord. Bien qu'elle ait été explorée dès le XVIe siècle et colonisée en partie au XVIIe siècle, l'île a dû attendre jusqu'en 1729 avant de se voir dotée des attributs usuels d'un gouvernement colonial, soit un gouverneur et des magistrats civils. L'absence de gouverneur nommé était particulière à Terre-Neuve, mais n'en faisait pas pour autant une terre d'anarchie ou le fief d'amiraux de la pêche despotiques appliquant impitoyablement la loi du bord. Terre-Neuve était régie par un système juridique décentralisé conçu pour répondre aux besoins élémentaires de l'administration de la justice. Combinant des organes et des pratiques à la fois juridiques et populaires, le gouvernement de Terre-Neuve avant 1730 servait expressément les intérêts de l'industrie de la pêche.

Poteau de flagellation
Poteau de flagellation
Ceux qui ne respectent pas la loi et l'autorité sont condamnés au fouet. Il incombe à l'amiral de la pêche de flageller, sur la place publique, le dos des détenus.
Artiste inconnu. Tiré de The Story of Newfoundland, de J. A. Cochrane.(Montreal: Ginn and Company, 1938) 127. Tirage.

La politique britannique

La lenteur qui a caractérisé l'émergence des institutions gouvernementales est en grande partie la conséquence normale de la politique de la Grande-Bretagne envers Terre-Neuve et de la structure de l'industrie de la pêche. Pour l'essentiel, l'île n'était pas tant une colonie de type traditionnel qu'un poste de pêche saisonnière. De plus, vu l'absence d'une population significative de colons, les premiers mouvements populaires en faveur d'un gouvernement local ne sont apparus qu'au premier quart du XVIIIe siècle. Par ailleurs, le gouvernement britannique soutenait les intérêts des marchands et entendait veiller à ce que la pêche à Terre-Neuve demeure essentiellement une entreprise anglaise. Bien sûr, un certain niveau de peuplement permanent était sans doute inévitable, voire nécessaire à la poursuite de la pêche migratoire, mais pas un gouvernement local: les autorités britanniques ont hésité à accorder sa propre législature à Terre-Neuve jusqu'à la veille de l'établissement d'un gouvernement représentatif, en 1832.

Dates historiques

Deux grandes dates définissent la période d'avant 1730 : 1634 et 1699. La première Western Charter, adoptée en 1634, a officialisé le système de droit coutumier qui avait gouverné les activités des pêcheurs du sud-ouest de l'Angleterre. Cette charte instaurait une batterie de règlements sur divers délits, comme le vol et l'ivrognerie, qui perturbaient les activités de pêche; elle instituait officiellement le système d'amiraux de la pêche, auxquels elle conférait le pouvoir de juger tous les litiges et les crimes locaux sauf les infractions majeures, qui devaient être jugés en Angleterre à l'automne, après le retour des navires.

La Loi de 1699, aussi appelée Loi du roi William ou Loi de Terre-Neuve, a constitué le fondement de la constitution de l'île pour tout le siècle subséquent; elle confirmait par une loi du Parlement le pouvoir des amiraux de la pêche en matière d'administration de la justice. Elle autorisait aussi les commandants des navires de la Marine britannique stationnés à Terre-Neuve à agir comme juges d'appel des sentences rendues par les amiraux. En officialisant ainsi le rôle des officiers de marine, la Loi de 1699 assurait la main-mise du gouvernement naval sur Terre-Neuve au XVIIIe siècle.

La dualité des ordres d'autorité

Dans une plus large perspective, l'époque a été marquée par deux processus. En premier lieu, à partir du XVIIe siècle, des systèmes parallèles de gouvernement ont eu cours à Terre-Neuve, conciliant deux ordres d'autorité : les lois et règlements des colonisateurs, et la Charte occidentale pour la pêche. Cette dualité s'est perpétuée au XVIIIe siècle par le clivage entre les commandants de marine et les amiraux de la pêche. Les officiers de marine, en particulier, critiquaient avec vigueur la conduite des amiraux.

En deuxième lieu, avant 1730, un certain nombre de mesures ad hoc ont été adoptées pour combler divers vides juridiques. La plupart de ces mesures n'ont pas été consignées, mais le tribunal établi par les marchands à St. John's en 1723 en a laissé un registre fascinant pour les historiens. On ne saurait comprendre l'histoire du droit et du gouvernement avant 1730 sans tenir compte de la façon dont les institutions officielles et non officielles ont évolué pour protéger les intérêts des armateurs de pêche du sud-ouest de l'Angleterre et répondre aux besoins de ceux qui s'établissaient à Terre-Neuve.

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