Discours électoraux, 1869


Extraits d'un discours de C. F. Bennett à Plaisance. Archives du Colonial Office, série 194, vol. 178 (CO 194/178), Public Record Office (Londres)

(Bennett, chef de file du parti anti-confédéré, était candidat pour la circonscription de Placentia-St. Mary's.)

MES AMIS -

Je suis ici aujourd'hui pour jeter un peu d'éclairage sur la CONFÉDÉRATION, puisque bon nombre d'entre vous m'ont posé la même question : qu'est-ce que ça signifie? Eh bien, en résumé, ça consiste à céder la capacité de vous gouverner vous-mêmes par le biais de vos propres représentants (...) et à transférer les pouvoirs de législation et de taxation, sans restriction, aux habitants du Canada.

Les hommes qui préconisent cette mesure absurde sont des avocats, et quelques autres qui siègent au présent gouvernement, leurs subordonnés, les membres de la presse corrompue et ceux qui sont en quête de pouvoir. Ceux qui y sont opposés sont vous-mêmes, et à quelques exceptions près, les marchands, les petits commerçants, les négociants, les mécaniciens et même certains qui ont élu ces misérables. (...)

Les confédérés, ces hypocrites, vous allèchent à grands cris avec leurs « importations gratuites de porc, de beurre, de farine, etc. » N'est-ce pas eux qui, il y a deux ans, ont taxé les aliments des pauvres jadis importés hors-taxes? Ce sont les confédérés, ces avocats et autres parasites qui forment le gouvernement actuel, qui essaient maintenant par leurs menteries d'amener les électeurs à les reconduire à la Législature, afin de pouvoir continuer de s'engraisser avec les taxes qu'ils prélèvent sans pitié sur votre rude labeur et qui sont la cause (...) de votre pauvreté et de votre misère. (...) Ce sont ces mêmes Confédérés qui ont taxé le sel, les lignes, la ficelle, les hameçons et tous les agrès nécessaires à la pêche. (...) Ces Messieurs veulent maintenant vous convaincre que tout cela vous serait fourni hors-taxes par le régime canadien… C'est un mensonge éhonté! Oui, la farine et les vêtements plus onéreux du Canada vous arriveront hors-taxes; mais la farine, le porc, le beurre et les autres aliments importés d'Amérique à meilleur prix, comme les vêtements et les produits manufacturés importés d'Angleterre et d'ailleurs à meilleur prix seront eux lourdement taxés pour vous inciter à acheter à prix fort les produits rustres du Canada. Or, qu'est-ce que le Canada a fait pour Terre-Neuve pour avoir droit à ce privilège?

Les confédérés passent sous silence les sinécures qu'ils s'attendent à recevoir, avec de beaux bureaux, pour le restant de leurs jours. (...)

Si les électeurs, et tout spécialement ceux qui sont nés ici, sont portés à penser qu'eux-mêmes et leurs semblables sont une race dégénérée, si dépourvue de gens assez doués et honnêtes pour gérer leurs affaires publiques qu'ils préfèrent les confier à des étrangers, ne feraient-il pas mieux, je vous le demande, de rentrer dans leur vieille patrie généreuse, la Grande-Bretagne, nous laissant ce joyau précieux que le ROI WILLIAM, (...) à leur demande, leur a accordé, soit la liberté d'un gouvernement autonome – au lieu de se déshonorer (...) en vendant ce joyau, eux-mêmes et leurs enfants, à cette monstruosité chétive, impraticable et méprisable du Dominion du Canada, qui ne convoite votre alliance que pour la richesse qu'il peut en tirer. (...)

« Pas de conscription pour les jeunes hommes! » prétendent ces hypocrites. Mais quelle conscription avons-nous jamais eue à Terre-Neuve, je vous le demande? Aucune, jamais, et nous n'en avons jamais eu besoin. (...) Mais ces poltrons de confédérés voient venir l'élection avec leurs larmes de crocodile : « Pas de conscription pour les jeunes hommes! », alors qu'ils savent fort bien qu'en vertu des lois du Canada tous les Terre-Neuviens de 18 à 60 ans seraient contraints au service militaire, soit comme volontaires, soit dans la Milice, ou assujettis à la conscription dans les forces armées régulières et envoyés au Canada ou ailleurs dans le monde, au goût du Ministre de la Guerre du Canada. (...) Je me demande ce que les mères, les épouses et les compagnes de nos hommes pensent de tout cela. (...)

Ces mêmes fonctionnaires bien gras, les confédérés, tentent de duper le peuple en prétendant que sa situation « ne pourrait être pire qu'elle ne l'est maintenant! » Allez-vous les croire? Ne serait-il pas pire de perdre à jamais tout contrôle sur ses propres taxes? (...) Ne devrait-on pas contester que notre population soit taxée à trente shillings par personne (...) et ne reçoive en retour que quatre shillings par personne. Aucune autre Colonie (...) ne possède de meilleures sources de richesse que nous, avec nos vastes pêcheries, nos minerais, nos terres et même notre bois d'œuvre. Les gens de Terre-Neuve sont-ils insensibles à ces faits? Peuvent-ils être si indifférents à leurs propres intérêts, à leurs compétences en droit et en finances, pour permettre que leurs revenus (...) soient transférés au Canada, et que ce dernier ne leur donne en retour que 4 shillings par personne sur 30, se réservant 26 shillings (...) pour construire ses routes, ses canaux et ses fortifications, pour défrayer les dépenses de son armée, de sa marine et de sa flotte de guerre, et pour payer les intérêts sur son énorme dette? Ne serons-nous pas en pire condition lorsque le Canada prélèvera une taxe sur nos exportations, une taxe foncière, un impôt sur le revenu, une taxe sur nos profits commerciaux, et conservera en outre le pouvoir de nous taxer, aux termes de la Loi, « PAR TOUT MOYEN ET SYSTÈME D'IMPOSITION À SA DISPOSITION ». Ne serons-nous pas en pire condition, étant ainsi taxés par le Dominion, quand nos quatre shillings par personne se révèleront insuffisants pour soutenir notre propre système (...) et pour subvenir aux besoins de nos pauvres (...) et financer notre éducation, la construction et la réparation de nos routes, notre police, nos percepteurs d'impôts et ainsi de suite, si nous sommes forcés de combler ce déficit en taxant nos biens fonciers? (...) Encore une fois je vous demande, ne serons-nous pas en pire condition? Que pouvez-vous répondre à cela? (...)

Que valent 37 500 livres sterling par an, en devises canadiennes dépréciées, pour l'ensemble de nos terres, de nos mines, de nos minéraux et de nos autres biens publics? (…)

Les habitants de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick (…) geignent sous le fardeau des hausses de taxes et la tyrannie du Canada, comme chacun de leurs citoyens peut en témoigner. Les Français du Bas-Canada sont mécontents, tandis que l'Île-du-Prince-Édouard a choisi avec raison de s'abstenir. (…) Quelle force et quels avantages apporteraient l'union à Terre-Neuve? Aucune retombée positive ne nous a été offerte ou suggérée, excepté quelques chimères vagues et utopiques. (...)

Oubliant le sang britannique qui coule dans vos veines, les confédérés vous disent : le gouvernement britannique va vous imposer la Confédération, que vous la vouliez ou non… Je vous assure que le gouvernement britannique ne fera rien de tel. (...)

Les Anglais qui favorisent l'union sont les grands argentiers de Londres; (...) et ces gens veulent de meilleures garanties du Canada en raison de sa dette considérable envers eux. (...) Voilà pourquoi la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, après une abominable campagne de pots-de-vin, de chicanes et de corruption, ont été forcés par leurs Parlements d'adhérer à l'Union, contre la volonté de leurs populations. (...)

(...) Méfiez-vous de ces faux-frères à langue de serpent qui ont accepté les pots-de-vin que le Canada, par le biais de ses laquais, leur a offerts – servez-vous de vos propres cerveaux – reconnaissez vos intérêts et ceux de vos jeunes familles, et laissez votre bon sens vous protéger de ces traîtres qui vous mèneraient par le bout du nez comme des veaux au sacrifice ou des ânes sous un fardeau oppressif et insupportable.


II

Discours électoral de Frederic Carter, octobre 1869. Extrait de The Newfoundlander, 5 novembre 1869

(Carter était chef du parti confédéré et candidat dans la circonscription de Burin)

Aux électeurs indépendants de la circonscription de Burin.

Étant bien connu dans votre importante circonscription, comme le sont mes convictions politiques partout au pays, j'ai d'abord pensé qu'il serait superflu de vous ennuyer avec un discours. Toutefois, face aux terribles mensonges répandus par mes adversaires, j'ai cru bon de dissiper tout effet qu'ils pourraient avoir, faute d'informations factuelles, sur certains points liés au vaste thème de notre union avec le Dominion du Canada, qui fascine présentement tous les grands esprits du pays.

Il y a quatre ans, quand vous m'avez fait l'honneur, de concert avec M. Evans, votre député blanchi sous le harnais, de m'élire pour vous représenter à l'Assemblée, nous nous sommes tous deux déclarés en faveur de cette union, aux bonnes conditions. (...)

J'ai promis à la population qu'elle serait appelée à prendre la décision ultime sur cette question, et cette assurance a été tenue sacrée, même s'il sied à mes ennemis de me prêter constamment l'intention de la violer. Je ne vous ai pas trompés là-dessus, ni ne le ferai sur quoi que ce soit.

On vous raconte que, dans le cadre de cette union, nous nous séparerons du gouvernement de la Reine et que cela ne profitera qu'à quelques personnes. Or, le principe fondamental de la Loi impériale de 1867 (...) est une « union fédérative en un Dominion assujetti à la Couronne du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, doté d'une constitution similaire en principe à celle du Royaume-Uni. »

N'y a-t-il pas là une garantie probante que nous resterons toujours à l'ombre du vieux drapeau, dotés de tous les droits, libertés et privilèges des sujets britanniques, mille fois plus précieux pour nous que ce nous procurerait l'annexion aux États-Unis, ce rêve de nombre d'anti-confédérés aux visées chaque jour plus évidentes.

Afin de vous rassurer sur les opinions du gouvernement de la Reine, je vous soumets des extraits de deux dépêches (...) [Suivent des extraits de dépêches du Colonial Office exprimant le souhait que Terre-Neuve se joigne au Canada.]

Ces messages devraient suffire à convaincre quiconque préconise l'union que nous faisons notre part, à titre de sujets loyaux, pour accéder aux désirs de notre Gracieuse Majesté et que, si nous nous opposons à ces désirs, nous nous exposons forcément à perdre les avantages que nous possédons et à tomber en disgrâce.

Jusqu'à récemment, le principe était admis, et tout reposait sur les conditions. Lorsque celles-ci ont été entérinées par l'Assemblée et le Conseil, même les plus ardents antis ont convenu que, grosso modo, si le gouvernement du Dominion les acceptait, nous ne pourrions plus hésiter. Or, au-delà des attentes de la plupart, nous avons réussi. (...)

On ne saurait nier que les conditions obtenues sont fort avantageuses, mais il demeure que, par pur égoïsme, nos adversaires veulent avoir le gouvernement à leur main; et, après un peu de tripotage, notamment cette subvention infâme, ces redevances et autres, ainsi que l'anarchie et la confusion qu'ils créeront dans le pays, ils prétendent qu'ils se soumettront à la Reine en tant que loyaux sujets! Il devrait être clair pour tout homme d'intelligence moyenne, et nul n'est besoin d'une « lumière transcendante », pour nous révéler qui sera aux commandes si nos adversaires réussissent, quand nous constatons que ces hommes qui ont été imposés aux circonscriptions n'ont pas même une journée d'expérience politique. La clique de St. John's a choisi, puis retiré, des candidats pour s'opposer à vos vieux députés fidèles et expérimentés. Ils ne savent même pas encore qui seront leurs candidats, mais ils semblent croire que n'importe lequel de leurs protégés sera assez bon pour Burin, et que vous vous plierez à leurs injonctions! Je suis convaincu que vous saurez apprécier ce genre d'insulte à sa juste valeur. Vous pouvez être certains qu'ils ont assez de sens politique pour la grosse concession d'un million d'acres du district de Burin, y compris l‘essentiel des districts de Placentia et de Fortune Bay, mines et minerais compris, que M. Bennett s'est octroyée illégalement quand il était au pouvoir, et pour la remise des redevances sur la mine de Tilt Cove, à 2,5 pour cent du produit brut, payable l'an prochain et garantie par les conditions avec le Dominion pour nos besoins locaux.

Je ne suis pas ici pour défendre le gouvernement, ce que je pourrais faire aisément, contre l'attaque fausse et gratuite de M. Bennett dans un discours rédigé et imprimé à St. John's, mais qu'on dit avoir été prononcé à Placentia, et qui a été distribué dans votre district. Il s'agit du discours de nos ennemis, signé par M. Bennett, et cela suffit abondamment pour comprendre qu'il veut que ses gens fassent ses basses œuvres au gouvernement, à la place du parti présentement au pouvoir. Il n'a pas beaucoup d'affection pour les avocats, car ils ont découvert la faille dans sa grosse allocation. Je ne m'abaisserai pas à imiter ses insultes, et je déplore qu'un homme que j'étais disposé à respecter soit allé si loin avec ses récentes associations pour perdre l'estime de ses amis de longue date, et ce, pour des motifs si transparents aux yeux de tous.

Comme tous les citoyens de la colonie, vous devez comprendre que notre union avec les autres provinces devra être précédée d'un débat devant la Législature et que toute erreur éventuelle dans ses dispositions serait modifiée à cette étape.

Il n'y a rien de louche dans ma présente défense de l'union. Je n'ai aucune intention de quitter la Colonie, et le Dominion ne peut m'offrir de meilleur poste que celui que j'occupe à l'heure actuelle. (...)

(...) Entre-temps, laissez-moi de vous rappeler, puisque j'en ai le droit et que je crois sincèrement que c'est la vérité, que si nous adhérons au Dominion tel que proposé, les taxes seront fortement réduites, les matériaux de pêche et de construction de bateaux seront exempts de droits, comme le seront les biens essentiels, le Dominion ne lèvera pas d'impôts sur les terrains ou les propriétés, les habitants conserveront leur privilège de coupe du bois, nous recevrons davantage que nous avons jamais eu, et pourrions même rêver d'avoir, pour les travaux publics et des communications efficaces par navires à vapeur; aucune loi sur la milice ne nous forcera ou ne forcera nos fils à quitter notre bonne vieille île, pas plus qu'il n'y aura de conscription, comme le prétendent à tort nos adversaires, ni de droit de phare; nous profiterons du libre-échange et du commerce avec toutes les Provinces, de la réciprocité avec les États-Unis à des conditions équitables (...) et de capitaux pour exploiter nos mines et minerais; il n'y aura aucun droit d'exportation sur le poisson et l'huile (une politique reconnue par les chefs de file des Antis), le crédit public sera mieux protégé (...) et nos dames, qui nous abandonnent à pleins bateaux, auront des emplois rémunérateurs.

(…) Nos adversaires prétendent que nous vendons la Colonie, mais nous ne faisons que ce qu'ont fait les États-Unis une fois indépendants, cela même qui en a fait une grande puissance. Ce que nous proposons ne saurait se comparer à l'union entre l'Irlande et l'Angleterre et quiconque le prétend démontre son ignorance ou sa rouerie. Ce que la Reine désire, c'est fusionner les intérêts Britanniques de l'Atlantique au Pacifique. (...) Nos marchands locaux nous appuient – au moins ceux qui vivent dans le pays qui a fait leur richesse. L'intelligence et la loyauté du pays sont de notre côté, et je suis entièrement convaincu que le district de Burin accordera sa confiance aux députés sortants en les réélisant (...)

F.B.T. CARTER

St. John's, le 20 octobre 1869

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