La Deuxième Guerre mondiale, 1939-1945

La Deuxième Guerre mondiale représente un événement décisif dans la vie sociale et politique de Terre-Neuve et du Labrador. Les répercussions, tant sur le plan militaire qu'économique, se font promptement sentir, mais les conséquences sociales et politiques s'avèrent plus profondes. La Deuxième Guerre mondiale convertit les habitants aux valeurs de la consommation et à une économie prospère caractéristiques de la croissance en Amérique du Nord. Parallèlement, la guerre fragilise la Grande-Bretagne et met fin à tout espoir de voir se poursuivre le soutien à la Commission de gouvernement. La fin de la guerre en 1945 prépare l'entrée de la nouvelle province de Terre-Neuve et du Labrador dans la Confédération.

La participation de Terre-Neuve et du Labrador

Lorsque la Grande-Bretagne déclare la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939, le dominion de Terre-Neuve et du Labrador est immédiatement entraîné dans le conflit. Les lois Act for the Defence of Newfoundland (1939) et Emergency Powers (Defence) Act (1940) accordent à la Commission de gouvernement de vastes pouvoirs de réglementation sociale et économique afin de soutenir l'effort de guerre. Elle restructure rapidement la milice de Terre-Neuve en Garde nationale, qui devient le Régiment de Terre-Neuve en 1943. La Commission s'épargne aussi les coûts liés à la constitution d'un corps expéditionnaire. Les habitants de Terre-Neuve et du Labrador s'enrôlent plutôt dans les forces canadiennes et britanniques. D'autres contribuent en s'engageant dans la marine marchande qui se révèle cruciale pour les Britanniques et les Alliés dans le conflit européen.

John Parsons, Marine royale, dans les années 1940
John Parsons, Marine royale, dans les années 1940
Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, des milliers de citoyens de Terre-Neuve et du Labrador s'enrôlent dans les armées britanniques et canadiennes.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Greenspond Historical Society.

Les bases aériennes et navales

La situation géostratégique de Terre-Neuve et du Labrador dans l'Atlantique Nord se révèle essentielle pour les Alliés. L'île de Terre-Neuve joue déjà un rôle de premier plan avant la guerre dans le développement des vols transatlantiques, surtout à partir de l'aéroport de Gander et de l'hydrobase de Botwood. Le gouvernement canadien se charge de les défendre et consent plus tard à assumer la construction d'autres bases aériennes à Torbay et Goose Bay. Les bases de Gander et Goose Bay sont indispensables à l'envoi d'avions militaires vers la Grande-Bretagne. Torbay accueille les escadrons de chasse qui protègent les convois à destination de la Grande-Bretagne contre les sous-marins allemands. Des patrouilles de défense anti-allemande s'envolent aussi d'autres bases aériennes. Les navires d'escorte des convois ont pour port d'attache une base navale à St. John's. En 1940, le Canada et les États-Unis établissent une commission permanente mixte de défense de l'hémisphère occidental. Même si les États-Unis maintiennent officiellement leur neutralité au début du conflit, ils louent une base militaire à St. John's, une base aérienne à Stephenville et une base navale et militaire à Argentia. En contrepartie, ils fournissent à la Grande-Bretagne des contre-torpilleurs et du matériel militaire.

La base militaire d'Argentia, 1943
La base militaire d'Argentia, 1943
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les forces américaines construisent une base aéronavale sur la côte nord du havre d'Argentia et une base militaire au sud.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 109 5.01.004), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La construction d'une infrastructure militaire

La construction et l'entretien de cette infrastructure militaire améliorent le climat économique de Terre-Neuve et du Labrador. La construction des bases offre du travail bien rémunéré à des milliers d'habitants. Ces bases font ensuite appel à bon nombre d'hommes et de femmes pour assurer le fonctionnement. Une hausse de la demande de denrées et le rationnement profitent amplement à l'industrie de la pêche. Des problèmes modèrent pourtant l'essor économique que stimulent la présence des militaires et la revitalisation de l'industrie de la pêche. Pendant la guerre, l'inflation et la pénurie de logements sont récurrentes, particulièrement dans les grands centres urbains.

Des travailleurs civils, 1942
Des travailleurs civils, 1942
Ces travailleurs ont participé à la construction de la base de Fort Pepperrell à St. John's.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 109 3.01.17), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Des changements sociaux

La présence d'un important contingent de militaires suscite des problèmes d'ordre social. L'armée prévoit ou appuie l'installation de lieux de divertissement à Gander, St. John's et Goose Bay pour ses troupes. Les civils y sont les bienvenus. L'administration américaine s'inquiète néanmoins de l'incidence des maladies transmises sexuellement et d'autres infections à ses soldats. Sans tenir compte du fait que ce sont peut-être les soldats qui contaminent les femmes qu'ils fréquentent, l'état-major pousse la Commission de gouvernement à lancer des campagnes de santé publique, à prendre des mesures vigoureuses contre les maladies transmises sexuellement et à poursuivre en justice les personnes soupçonnées de prostitution. Ces questions ne doivent pas nuire à la collaboration entre les autorités civiles et militaires. De nombreux citoyens des collectivités avoisinantes côtoient le personnel militaire, que ce soit à titre individuel ou en groupe lors de rencontres sportives. Des clubs sociaux comme le Caribou Hut et la salle des Chevaliers de Colomb à St. John's sont des lieux fréquentés aussi bien par les civils que les soldats. Des amitiés finissent souvent en mariage.

Danse à la base de l'Aviation royale canadienne de Gander, le 3 mars 1945
Danse à la base de l'Aviation royale canadienne de Gander, le 3 mars 1945
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les soldats et les civils se rencontrent lors de diverses activités sociales.
Photographe : I. H. Withers. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-177671), Ottawa, Ontario.

Les soldats canadiens et américains donnent aux habitants un aperçu de l'offre abondante qui règne en Amérique du Nord avec les produits de consommation et les loisirs dont ils disposent. L'économie de guerre permet à la Commission de gouvernement de mieux financer la santé, l'éducation et le logement. Elle investit également dans le transport et d'autres infrastructures publiques. Elle est cependant bien consciente que cette prospérité économique ne résistera pas à la fin de la guerre. En accord avec le gouvernement britannique, elle incite les autorités américaines à maintenir les salaires bas. Elle craint en effet qu'après la guerre le marché du travail ne puisse répondre aux attentes salariales élevées de ceux ayant participé à la construction et au fonctionnement des bases militaires.

De nécessaires changements politiques

La Commission de gouvernement saisit bien que la guerre a ouvert de nouveaux horizons. Les citoyens exigeront des changements dès la fin du conflit. Ceux-ci ont pris part à la lutte contre le fascisme pour sauver la démocratie, mais c'est encore un gouvernement non élu qui est en fonction. La Grande-Bretagne sort diminuée de la guerre. De fait, elle sera incapable de sauvegarder son empire et ses engagements à l'échelle internationale, notamment auprès de la Commission de gouvernement de Terre-Neuve. La guerre propulse les États-Unis à la tête des puissances mondiales et au seuil d'un affrontement avec l'Union soviétique. Ce conflit dégénère en guerre froide dans les années 1950. L'île de Terre-Neuve reste un endroit stratégique pour les Américains, ainsi que le Labrador. Leur présence manifeste bien leur intention de veiller à leurs intérêts en Atlantique Nord. Le Canada constate l'influence qu'exerce son partenaire américain. Les gouvernements canadien et britannique conviennent que pour neutraliser cette hégémonie américaine, il faudrait faire de Terre-Neuve et du Labrador une province canadienne. Les habitants souhaitent ardemment le retour d'un gouvernement responsable, mais bon nombre ne veulent pas revivre les tourments de l'époque d'avant la Commission. La Confédération, et une attitude positive du Canada, leur semblent de loin préférables.

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