Les désastres de 1892 à 1929

Quelques-uns des plus terribles et mémorables désastres à survenir à Terre-Neuve-et-Labrador se sont produits à l'époque du gouvernement responsable. Le grand feu de 1892 rase la presque totalité de la ville de St. John's en 12 heures et jette sur le pavé 11 000 personnes. Pendant une chasse au phoque en 1914, 251 hommes sont morts noyés ou gelés à la suite de deux tragédies impliquant les bateaux SS Newfoundland et SS Southern Cross. En 1918, une souche particulièrement virulente de la grippe fait rage dans le pays et emporte plus de 600 personnes. Elle décime le village inuit d'Okak. Enfin, en 1929, un tsunami frappe la péninsule de Burin. Cette catastrophe naturelle fait 28 victimes et des milliers de sans-abris.

St. John's après le grand feu de 1892
St. John's après le grand feu de 1892
Le grand feu de 1892 détruit presque complètement St. John's en 12 heures et laisse sans foyer 11 000 personnes. Ce désastre pousse le gouvernement à réorganiser les services d'incendie de la ville.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 5.01.010), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Certaines de ces calamités ont pour origine un phénomène environnemental tel un tsunami. D'autres résultent de l'inattention ou de l'erreur humaine et donnent souvent lieu à des amendements législatifs. Le grand feu de 1892 et la chasse au phoque funeste de 1914 ont suscité l'intervention du gouvernement. Dans le premier cas, celui-ci procède à la réorganisation des services d'incendie de St. John's. Dans le deuxième, il modifie la réglementation sur la chasse au phoque. Quelle que soit la cause de ces événements, c'est la société terre-neuvienne qui paie un lourd tribut aussi bien économique que social. La plupart des collectivités s'adaptent et s'en remettent, mais d'autres comme Okak sont rayées de la carte.

Le grand feu de 1892

Vers 17 h le 8 juillet 1892, un petit feu se déclare dans une écurie de St. John's au carrefour des chemins Freshwater et Pennywell. Les pompiers sont sur les lieux dans les 30 minutes qui suivent, mais sont incapables d'éteindre les flammes en raison d'une pénurie d'eau. En effet, plus tôt dans la journée, la ville a fermé l'approvisionnement en eau afin de faciliter la pose de nouvelles canalisations. La trop faible pression de l'eau n'alimente pas les bornes d'incendie. Un réservoir d'eau situé tout près est également à sec parce que les pompiers ne l'ont pas rempli après avoir terminé leurs plus récents exercices.

Le temps est très sec et de forts vents participent à la propagation du feu. Depuis un mois, il n'est pas tombé une seule goutte de pluie et la température élevée a desséché les habitations en bois et les toits de bardeaux. La violence des vents en ce 8 juillet attise le feu et dissémine les braises d'un toit à l'autre. À 20 h, l'incendie s'attaque au centre-ville. Il continue ses ravages jusqu'au lendemain matin 5 h 30. À l'aube du 9 juillet, la dévastation englobe plus des deux tiers de la ville et 11 000 personnes sont jetées à la rue.

Bâtiments en ruines au centre-ville de St. John's, 1892
Bâtiments en ruines au centre-ville de St. John's, 1892
Les débris de l'édifice Athenaeum et d'une partie de la banque Union au centre-ville de St. John's après le grand feu de 1892.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 5.01.004), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Dès la fin de l'incendie, le gouvernement fait construire des abris provisoires au parc Bannerman, à la gare ferroviaire et à d'autres emplacements appropriés. Un comité de secours distribue des denrées, des vêtements et autres biens de première nécessité aux sinistrés. Ses membres aident aussi les personnes ayant perdu leur emploi en raison de l'incendie à se trouver du travail.

Cette tragédie force le gouvernement à réorganiser les services d'incendie de la ville. En 1895, une loi met en place un corps mixte de pompiers et de police. La responsabilité des services d'incendie revient alors à l'inspecteur général de la force constabulaire de Terre-Neuve et non plus au conseil municipal.

La désastreuse chasse au phoque de 1914

Deux drames surviennent en 1914 pendant une chasse au phoque. Le gouvernement y répond par des modifications à la réglementation la régissant. Vers la fin de mars ou au début d'avril, le navire-phoquier SS Southern Cross, en provenance du golfe du Saint-Laurent, fait naufrage sur le chemin du retour. Le capitaine et les 172 hommes d'équipage périssent. C'est le plus grand nombre de morts dans toute l'histoire de la chasse au phoque de Terre-Neuve-et-Labrador.

Parallèlement, une autre tragédie se déroule plus au nord. Elle coûte la vie à 78 autres hommes. Entre le 31 mars et le 2 avril, 132 chasseurs de phoques débarquent du navire SS Newfoundland et, piégés par un blizzard, sont forcés de passer 53 heures sur des glaces flottantes dans l'Atlantique Nord. Plus des deux tiers meurent avant l'arrivée des secours. De graves engelures condamnent plusieurs des survivants à l'amputation d'au moins un membre.

Un blessé, le 4 avril 1914
Un blessé, le 4 avril 1914
Le personnel médical débarque du SS Bellaventure un survivant du Newfoundland, Ralph Mouland, après la désastreuse chasse au phoque de 1914.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 115 16.04.047), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les photos des blessés et des morts et les récits qui s'y rapportent font le tour du pays et influent considérablement sur l'état d'esprit de la population envers la chasse au phoque. En 1914, le gouvernement met sur pied une commission d'enquête. Les membres de la commission ne portent pas d'accusations au criminel, mais les résultats de l'enquête montrent bien que les conditions de travail des chasseurs les mettent inutilement en danger sur la glace et en mer. Le gouvernement tient compte des recommandations de la commission et adopte une nouvelle loi en 1916. Celle-ci stipule que les armateurs et les capitaines de navire doivent assurer la sécurité de l'équipage.

La grippe espagnole

L'épidémie de grippe espagnole qui submerge la planète en 1918 et 1919 fauche au moins 20 millions de personnes, dont plus de 600 dans le pays. Elle ravage particulièrement le Labrador, car les ressources médicales y sont rares. En quelques semaines, le virus tue environ un tiers de la population inuit et décime complètement le village d'Okak situé plus au nord.

Okak, Labrador, vers 1902
Okak, Labrador, vers 1902
En 1918, la grippe espagnole décime complètement le village inuit d'Okak
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 345 1.01.018), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les nombreux ports d'entrée du pays le laissent exposé à la propagation de cette infection venue de l'extérieur. C'est le 30 septembre 1918 à St. John's que l'épidémie se manifeste pour la première fois. Un navire à vapeur se présente au port avec à son bord trois membres d'équipage déjà infectés. Le diagnostic d'un médecin, le 5 octobre, expédie à l'hôpital deux citoyens atteints. Quelques semaines suffisent à la dissémination du virus dans toute l'île de Terre-Neuve. Ce dernier laisse dans son sillage 232 morts et frappe un nombre plus imposant encore de personnes.

Au début de novembre, les caboteurs SS Sagona et SS Harmony quittent le port de St. John's en direction de différents ports du Labrador. Malgré un taux de transmission très élevé et la prévalence de l'infection à St. John's, des responsables gouvernementaux ne limitent pas vraiment la circulation des navires dans le port. Lorsque ces deux caboteurs arrivent au Labrador, ils amènent avec eux des passagers ou des membres d'équipage contaminés par le virus. La grippe se disperse rapidement dans tous les villages côtiers et tue des centaines de personnes en quelques semaines à peine.

Le tsunami de la péninsule de Burin

Le 18 novembre 1929 vers 17 h, un tremblement de terre secoue les Grands Bancs. Des sismographes lointains enregistrent ce séisme d'une magnitude de 7,2 à l'échelle de Richter. Il donne naissance à un tsunami qui déferle vers la péninsule de Burin. Même si les habitants ont bien ressenti des secousses dans le sol, l'île ne dispose pas d'un séismographe ou de marégraphes pour les avertir du danger qui les guette.

Vers 19 h 30, d'immenses vagues d'une hauteur de 1 à 8 m s'écrasent sur la côte à la vitesse de 40 km à l'heure. Le choc pulvérise des bâtiments et arrache les habitations de leurs fondations. Ces vagues emportent goélettes et navires. Elles fracassent les quais et les vigneaux, et tous les bâtiments qui bordent le littoral de la péninsule. Le tsunami fait 28 victimes. Des centaines d'habitants se retrouvent sans foyer. C'est l'événement le plus dévastateur associé à un séisme de l'histoire canadienne.

Les effets du tsunami, novembre 1929
Les effets du tsunami, novembre 1929
Un tsunami frappe la péninsule de Burin le 18 novembre 1929. On compte 28 victimes.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (MF 334.1.01), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le principal fil télégraphique de la péninsule ayant été démoli au cours d'une tempête précédente, les habitants ne peuvent demander de l'aide. Le reste de l'île est informé du désastre le 21 novembre seulement lorsque le SS Portia, faisant escale au village, lance un appel radio pour obtenir du secours. Le gouvernement envoie immédiatement un navire transportant des fournitures médicales, des denrées, des couvertures et autres biens nécessaires. La population de l'île donne généreusement et la collecte atteint 250 000 $ en quelques semaines. Pourtant, cette aide d'urgence ne parvient pas à contrecarrer les effets de la Crise économique qui s'amorce en 1929 et freine jusque dans les années 1940 le rétablissement de nombreuses collectivités.

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