Débat du Conseil législatif de Terre-Neuve 21 avril 19041
Hon. M. Knowling2 – Il me fait grand plaisir de soumettre à la discussion la correspondance associée aux pêches au large de la Côte française et aux affaires connexes. Ce dossier est à l'étude depuis un certain temps, et la presse et tout un chacun ont des opinions fort tranchées sur ses mérites. Comme je l'ai déclaré à une session antérieure, certaines des informations dans la presse étaient exactes, et d'autres étaient vraies en partie, mais pas entièrement. Certains députés, peut-être, m'ont blâmé pour ma discrétion sur ce sujet, et pour ne pas avoir fourni toute l'information demandée, et je crains qu'on considère ma réserve comme un manque de courtoisie; mais je crois que M. Greene n'aurait pas agi autrement s'il avait été à ma place. Il aurait pu le faire de manière plus diplomatique, tirant parti de sa longue expérience des coutumes parlementaires, mais il n'aurait quand même jamais divulgué une information confiée sous le sceau de la confidentialité. En raison de difficultés liées à cette correspondance, il aurait été imprudent pour le Gouvernement de rendre publique l'information obtenue alors, et j'ai de ce fait jugé opportun de n'en rien révéler jusqu'à ce que le gouvernement ait toutes les informations en main, que chaque élément ait été éclairci et que les documents ne laissent aucun doute quant aux mérites de l'entente.
Ce Ttraité est l'aboutissement d'un rêve de longue date. Il a été l'ambition d'un Premier ministre après l'autre presque depuis l'instauration du gouvernement responsable; les délégations en Grande-Bretagne se sont succédé sur cette question; des élections ont été disputées sur le sujet; depuis un temps immémorial, il a été exploité à des fins politiques. Je ne saurais compter combien de fois il a été mentionné dans les discours des Gouverneurs à l'ouverture de la Législature, mais il a certainement été évoqué à maintes reprises. Et pourtant, jusqu'à maintenant, tous ces efforts ont été stériles, et la prétendue « Côte française » ou « Côte du traité » a connu les mêmes difficultés au gré des quatre-vingt à cent dernières années. Mais l'Entente tout juste signée qui, j'en suis convaincu, sera acclamée avec allégresse d'un bout à l'autre du pays, a réglé une fois pour toutes les difficultés qui existaient. Et les avantages qui découleront de cette Entente ne seront pas limités à la Côte ouest. La baie de la Trinité, la baie de la Conception, la baie Bonavista et la baie Green vont toutes profiter de ce traité. Rares étaient les saisons où des équipages pêchant sur cette Côte française ne voyaient pas leurs filets saisis, détruits dans bien des cas, ruinant leur sortie et les réduisant à la misère l'hiver suivant. Et il a été impossible d'octroyer un titre de propriété sur la Côte ouest sans devoir y insérer la clause odieuse « Sous réserve des droits liés au Traité avec la France. » Cette clause n'est désormais plus nécessaire, puisque les habitants de Terre-Neuve seront les seuls propriétaires et occupants de la côte ouest, comme des côtes nord et nord-est, dès maintenant et à jamais. Encore une fois, s'il se révélait nécessaire de construire un quai ou une conserverie de homards sur la côte ouest, on ne savait jamais à quel moment un navire de guerre français allait survenir et forcer un arrêt de ces opérations. De tels ennuis ne se reproduiront plus.
Un point important du nouveau Traité semble avoir beaucoup impressionné certains secteurs de la presse : la référence à l'arrêt de la pêche le 20 octobre. Ce point a été réglé par le gouvernement impérial. Or, cette clause n'affecte nullement nos pêcheurs, qui conservent le droit de pêcher jusqu'à la fin de l'année ainsi qu'une partie de l'hiver, et aucun des privilèges qu'ils détenaient ne leur sera retiré. Au contraire, ces privilèges seront maintenus, en sus des nouveaux privilèges qu'ils acquièrent. Jusqu'à présent, les Français avaient toujours exercé le droit de bâtir des hangars et de sécher leur poisson à terre. En vertu du nouveau Traité, il est clair qu'ils n'auront plus cette liberté, et n'auront en fait qu'un droit de pêche concurrente, qui ne les autorise pas à faire sécher leur morue sur la côte.
Il n'est pas dans mes intentions, pas plus que je n'y suis préparé, de décrire la nouvelle entente dans autant de détail que le feront probablement les Messieurs qui suivent les affaires politiques de notre colonie depuis bien plus longtemps que moi. Je réalise pleinement l'importance de la correspondance que j'ai déposée, tant et si bien que je dois m'avouer incapable de lui faire justice. À cet égard, je me sens comme un peintre qui conçoit un tableau et qui, après avoir colligé toutes ses idées et s'être assis devant son chevalet, est si submergé par la splendeur de sa vision qu'il se trouve incapable d'entamer sa toile. À la place, je rendrai ici hommage au travail inestimable de notre excellent Gouverneur vers l'atteinte de cette nouvelle entente, car je suis convaincu que la position de Son Excellence et ses rapports étroits avec le Home Office, qu'il a exploités si habilement pour le bien de notre colonie, ont largement contribué à l'atteinte d'un accord qui pose des difficultés sans nom depuis tant d'années. Cet accord est aussi le fruit d'une somme prodigieuse d'attention et de labeur de la part du Premier ministre, le Très Hon. Sir Robert Bond. Je suis convaincu qu'aucun Premier ministre dans notre histoire n'a consacré autant de temps et de réflexion que notre Premier ministre actuel à vérifier que rien de ce Traité ne devienne une source de problèmes et de distraction pour la Colonie. Il y en aura toujours qui disputeront les mérites de ce Traité, mais je crois que la majorité des citoyens, et tous ceux qui l'évalueront d'un œil désintéressé et patriotique, seront heureux de l'acclamer. Pour cette mesure débattue depuis tant d'années, si l'on ne peut dire qu'il n'y a pas eu de sang versé (je comprends qu'il y en a eu un peu), une fortune a été dépensée en délégations. La principale perte découlant de l'adoption de ce Traité sera celle d'une « doléance ». Il nous faudra chercher un peu pour en trouver une nouvelle; la doléance liée à la Côte française est disparue, et Terre-Neuve sera entièrement sous le contrôle du gouvernement de Terre-Neuve, du nord au sud et d'est en ouest. Je m'en voudrais de terminer cette allocution sans rendre hommage à Sir Robert Bond, qui a déployé tant d'efforts pour l'atteinte de ce fabuleux résultat et à qui notre pays sera à jamais redevable. Le Premier ministre a consacré une somme de temps et d'énergie incroyable à ce dossier, et ne s'est déclaré satisfait qu'après en avoir éliminé tout ce qui n'était pas dans le meilleur intérêt de ses concitoyens.
Après ces quelques observations, permettez-moi de déposer cette correspondance sur la table de la Chambre, et de vous en lire l'extrait suivant, qui me paraît en mesure de dissiper certaines des méprises que d'aucuns semblent entretenir sur le travail du gouvernement :
« AU GOUVERNEUR, »
« Terre-Neuve »
(Reçu à 19 h 30, le 19 avril 1904).
« Cette Convention a pour résultat de préserver les droits actuels des pêcheurs britanniques et de leur accorder en outre ce dont ils avaient été privés dans le passé, soit des droits égaux de pêcher durant l'été. Rien ne leur interdit de pêcher en hiver, leur liberté de pêcher après le 20 octobre restant inchangée, et le gouvernement de Sa Majesté n'acceptera en aucun cas que la Convention puisse être interprétée comme une enfreinte à cette liberté. »
Hon. M. Bishop3 – Étant donnée l'importance primordiale de la question de la Côte française et l'anxiété causée par la récente conclusion d'un Traité entre la Grande-Bretagne et la France, je crois que le dépôt de la correspondance et des détails de l'Entente par mon collègue, porte-parole du gouvernement, ne saurait être laissé sans commentaire durant la présente session. J'aurais cependant préféré que certains des députés plus âgés et expérimentés expriment leur avis sur le sujet. Si le résultat des présentes négociations avait été aussi satisfaisant que l'a affirmé M. Knowling, chaque député de la Chambre serait ravi et disposé à accorder au Premier ministre et au gouvernement tout le crédit et tous les éloges qu'ils méritent. J'aimerais toutefois, en reconnaissance des travaux et des progrès accomplis vers une entente sur cette affaire par les précédents Premiers ministres de Terre-Neuve, marquer ma dissidence envers les propos de mon ami, qui réserve exclusivement ses louanges aux personnes visées par les présentes négociations. Les Premiers ministres passés ont beaucoup accompli, et l'agitation des gouvernements précédents nous a peu à peu rapprochés d'une entente. En outre, je veux rappeler à M. Knowling que Messieurs Kent, Hoyles, Carter et les Premiers ministres qui leur ont succédé ont tous et en tout temps exclu toute partisannerie de cette question, et je récuse son affirmation que cette question ait fait l'objet de contestations à des élections.
Quant à la disposition de la Convention lue par le député, j'espère que nos voisins les Français l'interpréteront de la même manière que le gouvernement britannique, et qu'il n'y aura pas d'ingérence avec notre pêche à la morue après le 20 octobre, ou avec notre pêche du hareng en hiver. Je ne vois pas l'utilité de cette mention du 20 octobre, vu que les Français ne sont alors plus sur la côte.
Je suis heureux que les dispositions de la Convention débarrassent l'octroi de droits sur les ressources minérales et aquatiques sur la Côte française de sa clause la plus odieuse, « Sous réserve des droits liés au Traité avec la France », condition qui a nui à nos activités dans cette région. Cette restriction y empêchait tout particulièrement le développement par des promoteurs étrangers. Ceci dit, je ne vois pas en quoi cet accord mettra fin pour de bon aux conflits entre les pêcheurs français et britanniques. Il reste toutefois probable que l'exercice conjoint de leurs droits de pêcher produise dans l'avenir moins de friction, moins de heurts, dans la mesure où il n'est dorénavant plus permis aux Français de faire sécher leurs prises sur la côte. Cette concession devrait se révéler un grand soulagement par rapport aux conditions courantes, même si elle ne constitue pas la meilleure solution à cette difficulté. La seule solution vraiment satisfaisante aurait consisté en un abandon complet des pêcheries sur ce littoral par les Français : cela, et cela seul, règlera cette question de façon satisfaisante. Je souhaite que les éléments odieux et pénibles de la question de la Côte française aient enfin été éliminés lorsque nous étudierons en détail le texte de la Convention, mais je dois avouer que j'éprouve encore des doutes considérables à cet égard.
Hon. M. Greene4 demande au leader du gouvernement s'il entend déposer durant la présente session un projet de loi pour ratifier le nouveau traité.
Hon. M. Harvey5 – Bien que je ne sois qu'un néophyte à la Chambre, j'espère qu'on ne m'accusera pas de présomption si j'ajoute quelques mots aux félicitations qui, devant l'importance de l'annonce qui vient d'être faite, reviennent à Sir Robert Bond et à son Gouvernement. Je ferai cependant preuve de modestie. Je ne prétendrai pas que l'accord sur la question de la Côte française est directement attribuable à la nomination fort critiquée de quatre nouveaux députés. Cette entente semble se révéler aussi satisfaisante que l'on puisse espérer, et ceux qui l'ont atteinte, notamment notre Premier ministre, Sir Robert Bond, méritent les plus sincères félicitations. Sans toutefois diminuer de quelque façon le fabuleux travail accompli par ce dernier, il y a lieu de mentionner que la présente entente marque l'apogée de l'administration de notre présent Gouverneur. Le fait que le Gouverneur ait eu cette affaire très à cœur et se soit révélé un puissant allié dans l'aboutissement des négociations à la satisfaction de notre Colonie est sans nul doute reconnu à sa juste valeur, et il faut aussi convenir que le départ prochain du présent représentant de la Couronne est regrettable (…).
Hon. M. Knowling - En réponse à M. Bishop, la première lettre reçue du secrétaire d'État aux Colonies se lisait comme suit :-
« Le débat sur la question de la pêche par les Français sur la base d'un accord en matière d'appâts et de primes s'étant révélée stérile et sans résultat, les conseillers de Sa Majesté proposent de l'abandonner et de proposer au gouvernement de la France un projet d'entente qui mette fin aux privilèges des pêcheurs français quant au débarquement et au séchage de leur poisson sur les côtes de Terre-Neuve, mais qui leur laisse un droit de pêche concurrent, dont la réglementation et l'application seront conformes aux articles 14 à 38 de la Convention de 1881 sur la pêche en mer du Nord, ainsi qu'à la Convention de 1897, qui régit aussi la pêche en mer du Nord. »
Il s'agissait d'une partie de l'entente. En réponse à M. Greene, je ne suis pas en mesure de confirmer qu'il est prévu de soumettre cette question à la Chambre comme un projet de loi durant la présente session, mais je crois que c'est probable.
Hon. M. Baird6 – Je n'avais pas l'intention de prendre la parole, mais étant donné que je suis l'un des députés les plus âgés de la Chambre, sans en être toutefois le doyen, et que j'ai été très associé à la Côte française durant les quinze à vingt dernières années, on m'autorisera peut-être à ajouter quelques mots. Alors que j'appuie sans réserve tous les éloges offerts par les orateurs précédents au gouvernement actuel, au Premier ministre et à Son Excellence le Gouverneur, je crois qu'il est juste de ne pas oublier le passé, et les grands efforts consacrés à cette même question par d'autres hommes qui nous ont « quittés pour un monde meilleur ». Je me souviens de l'époque où nos pêcheurs ne pouvaient pas s'établir sur la Côte française, et des Premiers ministres passés qui ont fait de leur mieux pour remédier aux problèmes le long de cette côte. Il n'y a pas si longtemps, j'ai croisé à Londres un de ces Premiers ministres, qui m'a confié qu'il n'y avait pas au Foreign Office de question plus « enterrée » que celle de la Côte française; volume sur volume de correspondance y ont été envoyés, qui ont sûrement requis beaucoup de temps et d'attention de la part de représentants de notre colonie, et ces gens méritent assurément leur part d'éloges. Je m'abstiendrai d'en dire davantage. J'espère que cette question qui a fait l'objet de tant de débats est enfin réglée, mais je crois qu'il serait utile que lecture soit faite de cette correspondance à tous les députés pour qu'ils aient une meilleure idée de ce dont ils parlent.
Hon. M. Knowling – Il est proposé de faire imprimer cette correspondance et de la remettre aux députés.
Hon. M. Greene – D'ici à ce que j'aie connaissance du contenu du Traité et de la correspondance, je m'en voudrais d'avancer une opinion; toutefois, lorsque la correspondance sera imprimée, je compte bien profiter d'une occasion avant la levée de la Chambre, que ce soit au moment du dépôt d'un projet de loi ou d'une motion de libre discussion sur la question, pour exprimer mon opinion sur l'entente. Alors, si le texte de l'entente confirme les dires du leader du gouvernement, je ne serai pas le dernier à offrir mes louanges à Sir Robert Bond et à son parti.
Hon. M. Anderson,7 – À titre d'un des députés les plus novices de la Chambre, je crois que cette occasion solennelle mérite une observation ou deux. Il a certes été très gratifiant pour les députés plus jeunes d'avoir eu la chance de siéger à l'Assemblée en cette année où la célèbre question de la Côte française aura été réglée. Je suis tout à fait d'accord avec l'Hon. M. Baird pour dire qu'il ne faut pas oublier ceux qui nous ont quittés, et qui ont lutté avec acharnement pour préparer le terrain à cet accord, car c'est bien grâce à leurs rappels constants au Home Office, suivis de ceux du Premier ministre actuel, Sir Robert Bond, que la présente entente a enfin été conclue. Il n'y a en effet que quelques années que notre Hampden local, mon ami M. Baird, a harcelé l'Amirauté avec ses ennuis sur le littoral, et je suis convaincu que cet Hon. Gentleman rendrait hommage au Premier ministre et à son gouvernement pour avoir conclu une entente qui éliminera désormais tout litige sur cette côte.
Hon. M. Knowling – Je crois qu'il serait sage de faire imprimer cette correspondance et de la distribuer aux députés avant la prochaine séance.
À 16 h 30, sur une motion de M. Knowling, la Chambre ajourne ses travaux jusqu'à lundi.
1. Extrait de l'Evening Telegram, 28 et 29 avril 1904.
Retour
2. George Knowling (1841-1923). Homme d'affaires. Leader du gouvernement au Conseil législatif et membre du Conseil exécutif.
Retour
3. Robert K. Bishop (1853-1930). Homme d'affaires.
Retour
4. Daniel J. Greene (1850-1911). Avocat. A servi brièvement comme Premier ministre Libéral en 1894-1895.
Retour
5. John Harvey (1865-1920). Homme d'affaires.
Retour
6. James Baird (1828-1915). Homme d'affaires. En 1890, le commodore de l'escadre britannique a forcé la fermeture d'une conserverie de homard de la baie St. George dans laquelle Baird avait des intérêts. Baird a intenté des poursuites contre l'amiral Baldwin Walker pour violation du droit de propriété et a obtenu des dommages financiers.
Retour
7. John Anderson (1855-1930). Homme d'affaires.
Retour