Ça ne fait aucun doute : les « Bows » l'emportent!
Extrait des archives de The Gazette décembre 1995.
Avant 1832, Terre-Neuve était gouverné par des administrateurs non élus, ordinairement des gouverneurs de la marine nommés par le Parlement britannique. Les premières décennies du 19e siècle avaient donné lieu à des troubles croissants dans l'île, qui réclamait un gouvernement représentatif comme c'était le cas dans d'autres colonies d'Amérique du Nord. Cette lutte était menée par le Dr William Carson, un médecin né en Écosse, et par Patrick Morris, un commerçant d'origine irlandaise, qui vivaient tous deux depuis plusieurs années à St. John's. Au moyen de discours publics, de pamphlets, de lettres ouvertes et de pétitions au Parlement britannique, ils avaient amené les habitants de Terre-Neuve à appuyer cette cause. En janvier 1832, un comité de résidants de la colonie s'est rendu à Londres pour réclamer l'établissement d‘une assemblée élue. Leur démarche a été couronnée de succès : un projet de loi visant à approuver une assemblée représentative pour Terre-Neuve a été adopté par le Parlement britannique durant l'été 1832.

Les efforts de lobbying des représentants de Terre-Neuve et de leurs partisans en Grande-Bretagne ne sont pas passés inaperçus à Londres. Divers articles pour et contre l'idée ont paru dans la presse locale. Un caricaturiste anglais de renom, qui signait ses dessins des lettres HB, s'est intéressé à cette affaire.
HB était le pseudonyme de John Doyle (1797-1868), un natif de Dublin qui avait une formation de miniaturiste et de portraitiste. Incapable de gagner sa subsistance dans sa spécialité, même après son déménagement à Londres, il s'est intéressé à la lithographie, d'où il est passé aux séries de caricatures qui l'ont rendu célèbre. Entre 1829 et 1851, il a produit plus de 900 dessins, représentant d'ordinaire les politiciens anglais les plus importants de l'époque, notamment Wellington, Disraeli, O'Connell et Melbourne. Ses œuvres étaient grandement appréciées tant pour « leur excellente ressemblance et leur trait de plume agréablement satirique ». Ses caricatures ont été imprimées en dépliants grand format et plus de 600 d'entre elles sont conservées dans la salle des estampes du British Museum.
Doyle a choisi la nouvelle Assemblée législative de Terre-Neuve comme thème d'une de ses caricatures, qu'il a intitulée Nouvelle Assemblée Législative de Terre-Neuve. (Le Président Met la Question aux Voix.) Elle illustre une réunion de l'Assemblée législative, avec son Président qui porte une perruque poudrée et une cape noire, et ses députés des deux côtés. Toutefois, ils ne sont pas représentés comme des humains… mais comme des chiens de Terre-Neuve! Le Président met aux voix la question: « Que ceux qui sont de cet avis disent Bow! Et ceux qui sont contre, Wow! Les Bows! l'emportent. » On a longtemps cru que cette caricature avait été publiée dans Punch, mais ce magazine n'a commencé à être publié qu'en 1841 et on ne le trouve pas dans ses pages. En fait, le dessin a été imprimé dans un dépliant grand format par Meifred Lemercier and Co., de Leicester Square, et publié par Thomas McLean, de 26 Haymarket, à Londres, le 20 mars 1832. Il porte l'inscription HB Sketches No. 187.
Durant des années, on a supposé que le dessin se moquait de l'Assemblée législative de Terre-Neuve après son ouverture, étant donné que, durant les premières années, les débats y étaient houleux et souvent acrimonieux, si bien qu'on pouvait en décrire les membres comme une meute de chiens turbulents. Cependant, il semblerait que personne n'a relevé la date de sa publication pour la comparer aux dates associées à l'établissement de la première Assemblée législative à Terre-Neuve. Le projet de loi accordant l'Assemblée à la colonie n'ayant été adopté par le Parlement britannique qu'à l'été 1832, ses premiers députés n'ont été élus qu'en novembre 1832, de sorte qu'elle n'a entamé ses travaux que le 1er janvier 1833. Par conséquent, la caritcature de Doyle, publiée le 30 mars 1832, n'était pas descriptive, mais hypothétique, autrement dit une prédiction de sa part et un commentaire révélateur sur l'opinion publique en Grande-Bretagne à l'égard de Terre-Neuve.
Il y quelques années, Albert Decker (nom de scène), un comédien de New York, a acheté un exemplaire de cette caricature dans une librairie d'occasion et en a fait cadeau à son frère, le Dr Robert Ecke, qui avait travaillé à l'hôpital de Twillingate durant les années 1930 et 1940. Le Dr Ecke l'a offerte à sa vieille amie Grace Sparkes, de St. John's, qui avait été membre du conseil d'administration de l'Université Memorial. Saisissant sa valeur historique pour Terre-Neuve, Sparkes a réalisé que l'université était l'endroit approprié où conserver le document; en novembre 1980, elle a donc fait la présentation officielle à son président, M. O. Morgan. On l'a ensuite déposée à Archives and Special Collections, où elle est conservée en témoignage des traditions qui persistent toujours, 160 ans plus tard, à l'Assemblée législative de Terre-Neuve.
Table des matières d'Archives and Special Collections (en anglais)