Harmon Field, Stephenville
L'aménagement d'une base aérienne américaine à Stephenville pendant la Deuxième Guerre mondiale a rapidement transformé le paisible village agricole de Stephenville, majoritairement francophone, en une ville de garnison prospère constituée principalement d'anglophones.
Ce changement a apporté la prospérité mais aussi son lot d'épreuves alors que plus de 200 personnes ont été expropriées – parfois pour être relocalisées dans des milieux insalubres et surpeuplés. Parallèlement, les nombreuses occasions d'emploi générées par la construction de la base avaient pour effet de revigorer l'économie de la région.
En vertu de l'accord anglo-américain concernant les bases cédées à bail, les États-Unis avaient obtenu en 1940 le droit de construire la base aérienne de Stephenville. Un comité représentant l'armée américaine et le personnel des forces navales est arrivé à Terre-Neuve le 20 septembre dans le but d'explorer les différents sites pouvant convenir à la construction de la base. Après avoir remarqué que les conditions de vol étaient excellentes sur la côte ouest de l'île, les membres du comité ont recommandé que la base soit construite près de Stephenville afin d'avoir des avions disponibles dans les provinces maritimes jusqu'à l'est de Terre-Neuve.
En 1941, la base aérienne, qui allait s'étendre ultimement sur 8159 acres, n'était à l'origine qu'une parcelle de terrain relativement petite de 865 acres séparée du reste de Stephenville par le cours d'eau Blanche Brook.
La relocalisation des propriétaires terriens
Environ 40 familles vivaient sur ce territoire qui avait été partagé en fermes. Le gouvernement de Terre-Neuve avait d'abord planifié de relocaliser les propriétaires terriens sur des terres agricoles de West Bay, dans la péninsule de Port-au-Port, mais les résidants ont plutôt décidé d'accepter une compensation monétaire en échange de leurs terres et de leur relocalisation à Stephenville.
Une équipe d'ingénieurs américains est arrivée en avril 1941 afin d'évaluer chaque propriété et de déterminer la somme que les résidants pourraient obtenir en guise d'indemnisation.
Les terrains expropriés de Stephenville n'ont pas rapporté autant que ceux qui ont été expropriés dans les autres endroits où des bases militaires devaient également être construites. Les terres cultivées de Stephenville étaient évaluées à environ 250 $ l'acre tandis que les prix en vigueur à Argentia et à St. John's étaient respectivement 300 à 400 $ l'acre environ. Pour justifier cette différence, les administrateurs gouvernementaux ont prétexté que la présence américaine était plus favorable aux résidants de Stephenville qu'elle ne l'était ailleurs sur l'île. Certains historiens laissent toutefois entendre que les distances géographiques et culturelles séparant les résidants francophones de Stephenville du gouvernement anglophone basé à St. John's ont contribué à réduire les accords d'indemnisation.
Quoi qu'il en soit, les représentants du gouvernement ont rapporté que dès le mois de mai 1941, toutes les familles concernées avaient été relocalisées sans soulever beaucoup d'objections.
Au cours des mois suivants, le paysage de Stephenville a changé de façon brusque et radicale alors que des centaines d'acres de terres agricoles, dont plusieurs avaient été léguées de génération en génération, ont cédé la place à la piste d'atterrissage militaire et aux bâtiments réservés aux activités connexes.
Les débuts de la construction
Le projet de construction à Stephenville a commencé en 1941, à la mi-mars. Les tout premiers plans prévoyaient des habitations pour 250 troupes. En 1942, ces plans ont été revus afin d'accommoder 2800 troupes et d'aménager un terrain d'aviation permanent. Ce projet comprenait la construction de trois pistes à surface bétonnée mesurant 46 mètres (150 pieds) de largeur et de 1525 à 1830 mètres (5000 à 6000 pieds) de longueur.
La construction de la base a vite attiré des travailleurs des villages voisins. Plus de 1500 Terre-Neuviens ont trouvé rapidement du travail comme ferblantiers, tôliers, manœuvres en construction et charpentiers. La population de Stephenville, qui était d'environ 1000 âmes en 1935, a grimpé en flèche pour atteindre plus de 7000 habitants en 1942.
Connue jusque-là sous le nom de Stephenville Air Base, le site a été nommé officiellement Harmon Field le 23 juin 1941 en honneur du capitaine Ernest Emery Harmon, un pionnier de l'histoire de l'aviation militaire américaine qui avait servi au sein du United States Army Air Corps pendant la Première Guerre mondiale.
Au cours des deux années suivantes, la base a connu d'autres périodes de croissance. Elle est passée de 677 acres en 1942 à 5938 acres en 1943. Cette expansion a entraîné la création de nouveaux emplois dans la région, mais des résidants ont dû être relocalisés plus d'une fois. En 1945, les États-Unis avaient payé plus de 800 000 $ en guise d'indemnisation aux quelque 220 propriétaires terriens de Stephenville qui avaient été expropriés.
Cette situation a entraîné l'installation d'habitations précaires souvent surpeuplées et insalubres à proximité de la base. Lors d'une période particulièrement difficile, en 1943, les inspecteurs de la santé publique ont été horrifiés de découvrir que même l'eau de puits du village avait été contaminée par les eaux usées. Cette année-là, l'expansion de la base militaire a amené la démolition de ces habitations, ce qui a provoqué une fois de plus la relocalisation des résidants.
La mise en service de Harmon Field en 1942
La base militaire de Stephenville n'était pas encore en service lorsque les Américains ont déclaré la guerre au Japon le 7 décembre 1941, mais dès le début de 1942, elle pouvait accommoder les appareils forcés d'effectuer un atterrissage d'urgence. Au mois d'août 1943, Harmon Field était en mesure d'accueillir le trafic aérien plus dense.
La situation stratégique de Stephenville dans la région de l'Atlantique Nord, associée à ses conditions de vol quasi idéales, ont fait de Harmon Field une escale d'avitaillement cruciale pour les avions qui transportaient du personnel et des approvisionnements entre l'Amérique du Nord et l'Europe (et vice versa). De 1942 à 1944, la base militaire hébergeait aussi trois bombardiers B-17 qui patrouillaient l'Atlantique pour détecter les sous-marins allemands U-Boots. Au milieu de l'année 1943, 17 unités militaires américaines et plus de 4000 soldats américains étaient affectés à la base.
En septembre 1943, le commandant de la base de Terre-Neuve a remis le contrôle de la base de Harmon Field au Commandement du transport aérien et lui a confié la mission d'entretenir tous les avions servant à transporter les troupes et l'équipement entre l'Amérique du Nord et l'Europe. Au cours des dix années suivantes, la base a servi d'escale importante pour les vols transatlantiques.
La fin de la Deuxième Guerre mondiale a amené une activité encore plus grande à Harmon Field alors que les troupes américaines rentraient d'Europe. Tandis que les aéroports d'Argentia, de Gander et de Goose Bay servaient à accueillir les avions américains et canadiens qui rentraient d'Europe, Harmon Field avait reçu la mission de s'occuper du personnel et du ravitaillement en attente d'avions pour rentrer à la maison.
Pendant cette période de quatre ans qui s'est étalée entre le début de la construction de la base et la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Stephenville, un village agricole jadis inconnu, a été transformé en aéroport de niveau international. Pendant les périodes les plus occupées, environ 30 000 troupes ont foulé son sol chaque année.
La United States Air Force a continué d'utiliser Harmon Field comme site de défense aérienne pour l'Amérique du Nord jusqu'à sa fermeture en 1966. Quand les Américains ont quitté la base, toutes ses installations, dont environ 400 bâtiments, ont été converties à des fins civiles.