Goose Bay

L'aéroport canadien de Goose Bay a probablement eu un impact plus grand sur son environnement que toutes les autres bases militaires établies à Terre-Neuve et au Labrador pendant la Deuxième Guerre mondiale.

En moins de deux ans, la région de nature sauvage, isolée et non développée du Labrador, est devenue l'hôte du plus grand aéroport de l'hémisphère occidental. Sa population a augmenté considérablement avec l'arrivée de ceux qui ont afflué à la base dans l'espoir d'y trouver du travail. De nouveaux moyens de transport et de communication – notamment les radios, les avions et les motoneiges – ont modifié les modes de vie traditionnels et contribué à l'ouverture du Labrador sur le reste du monde.

La base de l'Aviation royale canadienne (ARC) à Goose Bay, vers 1943
La base de l'Aviation royale canadienne (ARC) à Goose Bay, vers 1943
En 1943, l'aéroport de Goose Bay était le plus grand de l'hémisphère occidental.
Photographe inconnu. Photographie tirée de Checkmate in the North, de W.C. Carr, Toronto, The MacMillan Company of Canada Limited, 1944. Imprimé.

Cet aéroport impressionnant par sa taille et son étendue a coûté plus cher que toutes les autres bases militaires canadiennes construites à Terre-Neuve et au Labrador. Il a participé de manière très importante à la défense globale de l'Amérique du Nord ainsi qu'au transport de denrées et au convoyage d'avions nécessaires au Royaume-Uni.

Les origines de la base militaire

Lorsque la guerre a éclaté, le Labrador était une région peu connue et sans défense. Il n'y avait pas de routes et l'intérieur du territoire était difficile d'accès. Les gens se déplaçaient à pied, en bateau, en canot ou en traîneaux à chiens. À part le piégeage, la chasse et la pêche, aucune industrie n'était en mesure de soutenir la petite population dispersée et les ressources locales étaient encore inexploitées.

Malgré les circonstances, le Canada et les États-Unis ont vite réalisé l'importance stratégique du Labrador quand la guerre a commencé. Si on les laissait sans défense, ces lacs, rivières et plateaux isolés pourraient se transformer en sites d'atterrissage de choix pour une armée ennemie souhaitant procéder à une invasion aérienne – la façon dont les nazis avaient envahi la Norvège avait servi de leçon aux forces alliées. À l'inverse, un aéroport allié au Labrador serait un atout important. Les avions pourraient faire des patrouilles au large de la côte pour détecter les bateaux ennemis et escorter les convois dans l'Atlantique. La base pourrait aussi servir de poste d'avitaillement pour le convoyage des avions entre les États-Unis et l'Angleterre.

Site de l'aéroport de Goose Bay, vers 1942
Site de l'aéroport de Goose Bay, vers 1942
L'Aviation royale canadienne a construit un aéroport sur ce plateau du Labrador pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Photographe inconnu. Photographie tirée de Checkmate in the North, de W.C. Carr, Toronto, The MacMillan Company of Canada Limited, 1944. Imprimé.

Au printemps 1941, l'Aviation royale canadienne (ARC) a scruté le Labrador dans le but de choisir le site idéal pour sa base. Ce travail d'exploration a été effectué sous la direction de Eric Fry, un employé du ministère des Mines et des Ressources. Quelques semaines seulement après son arrivée, Fry a recommandé un plateau situé dans la région de North West River-Goose Bay. Le relief plat et sablonneux de la région, ainsi que sa situation météorologique pratiquement sans brouillard, faisaient de ce plateau un site idéal. Il était aussi suffisamment large pour accommoder de longues bandes d'atterrissage dans toutes les directions. Après avoir visité les lieux le 15 juillet, l'ARC a approuvé le choix de Fry. Un accord préliminaire a été conclu avec la Commission de gouvernement pour accorder au Canada le droit de construire un aéroport. Un bail en bonne et due forme, qui n'a toutefois pas été signé avant le 10 octobre 1944, a ultérieurement cédé la base militaire au Canada pour une période de 99 ans.

Les travaux de construction à Goose Bay, vers 1941
Les travaux de construction à Goose Bay, vers 1941
La construction de l'aéroport de l'ARC à Goose Bay a débuté en septembre 1941. Environ 3000 ouvriers ont travaillé presque sans relâche et en toutes saisons pour réaliser ce projet. Sur cette photo, des travailleurs construisent un hangar.
Photographe inconnu. Photographie tirée de Checkmate in the North, de W.C. Carr, Toronto, The MacMillan Company of Canada Limited, 1944. Imprimé.

La construction a débuté en septembre 1941 et s'est déroulée rapidement. Les 3000 ouvriers employés pour la première phase du projet ont travaillé presque sans relâche et en toutes saisons. Ils ont passé au bulldozer de larges bandes de forêt d'épinettes, construit des installations de transbordement pour recevoir les ravitaillements et aménagé des pistes temporaires en neige damée. Même si les entrepreneurs disposaient de quatre années pour terminer les travaux, trois pistes mesurant plus de 2000 mètres (6560 pieds) chacune et pouvant recevoir les plus gros avions de l'époque ont été construites en deux mois seulement. Le premier avion militaire a atterri à la base le 9 décembre 1941.

Les impacts sociaux

En tant que premier projet de développement de grande ampleur exécuté dans la région, la base militaire de Goose Bay a eu un impact majeur sur l'ensemble du Labrador. Le transport aérien a permis à la région de s'ouvrir au monde grâce à la main-d'œuvre, à l'équipement et aux approvisionnements qui arrivaient sur les lieux en quelques heures seulement alors qu'il fallait auparavant des jours avec le transport par bateau. Le traîneau à chiens a commencé à être remplacé par la motoneige comme moyen de transport de choix et il était de plus en plus facile de se procurer des appareils de radio.

La base a aussi permis la création d'emplois dont la région avait grandement besoin. Des centaines de personnes sont venues à Goose Bay des autres parties du Labrador pour trouver un emploi stable. En 1942, la collectivité de Happy Valley a été fondée afin de loger les civils qui arrivaient des zones côtières du Labrador. En 1945, la population était de 229 habitants. La petite agglomération voisine de North West River a aussi profité des retombées puisque des ouvriers de l'ARC y ont installé un réseau d'alimentation en eau et un hôpital.

En dépit du fait qu'elle contribuait activement à l'essor économique du Labrador, la base militaire était aussi une menace pour les modes de vie traditionnels. Avant la guerre, de nombreux résidants du Labrador comptaient sur les ressources locales pour assurer leur survie – le piégeage des animaux à fourrure en hiver, la chasse au phoque au printemps et la pêche au saumon ou à la morue en été. Les emplois salariés qui permettaient de travailler sur la base à longueur d'année ont mis fin à ce style de vie. Les trappeurs, par exemple, ont dû s'adapter au fait de devoir rester à un seul endroit et de travailler pour quelqu'un d'autre. L'alimentation traditionnelle a aussi changé et les enfants, tout particulièrement, ont commencé à préférer le macaroni au fromage et le spaghetti en conserve à la viande de gibier.

L'expansion de la base

Lorsque les Américains sont entrés officiellement en guerre en décembre 1941, le trafic aérien a augmenté considérablement à Goose Bay. Il était donc impératif d'agrandir la base. Les travaux ont commencé avec l'asphaltage et l'élargissement des trois pistes, la construction de hangars supplémentaires et l'ouverture de nombreuses routes intercommunales. Les travailleurs ont construit des habitations pour 3000 employés civils et 5000 membres du personnel militaire ainsi que des systèmes de chauffage, des postes de pompage sanitaire, des boulangeries, des buanderies et divers équipements de loisir. À la fin de 1942, une véritable petite ville avait remplacé le site jadis inhabité de Goose Bay.

Même si la base était sous le commandement de l'ARC, les forces aériennes américaines et britanniques ont obtenu la permission d'y stationner des troupes et de construire leurs propres infrastructures. À l'été 1942, les forces aériennes des États-Unis (USAF) ont entrepris la construction de leurs propres installations et, à la fin de l'année, la garnison américaine en poste à Goose Bay comptait déjà 325 personnes.

Les forces aériennes des États-Unis (USAF) à Goose Bay, vers 1942
Les forces aériennes des États-Unis (USAF) à Goose Bay, vers 1942
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les forces aériennes des États-Unis ont aussi installé une base militaire provisoire à Goose Bay.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll - 109, 7.01.30), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Un an plus tard, la base était devenue le plus grand aéroport de l'hémisphère occidental. Elle a facilité le transport d'hommes, de cargaisons et de marchandises classifiées vers la Grande-Bretagne en plus de jouer un rôle majeur dans le convoyage d'avions de combat entre l'Europe et l'Amérique du Nord. En 1944 seulement, Goose Bay a participé au convoyage de plus de 8000 avions vers la Grande-Bretagne.

La fin de la guerre

Immédiatement après la guerre, l'aéroport de Goose Bay a servi au transport du matériel et aussi des troupes qui revenaient au Canada et aux États-Unis pour être démobilisées ou transférées sur d'autres sites. À la fin de 1946, Goose Bay était la seule base de Terre-Neuve et du Labrador qui était encore sous le commandement du Canada. Les forces armées britanniques et américaines ont elles aussi maintenu une présence militaire sur les lieux.

Pendant la guerre froide, l'aéroport de Goose Bay a joué un rôle dans la défense aérienne de l'Amérique du Nord contre une éventuelle attaque soviétique. Il est devenu une partie intégrante du Northeast Air Command en 1950 et les forces aériennes des États-Unis en ont fait une base du Strategic Air Command sept ans plus tard.

En 1972, à la fin du bail de l'USAF, le ministère canadien des Transports a assumé la direction de la base. Le ministère a toutefois accepté de fournir aux Américains des services et des installations jusqu'en juillet 1976. Au mois de septembre de cette année-là, l'USAF a annoncé qu'elle mettait fin à sa collaboration active avec la base de Goose Bay. Elle a fermé officiellement sa base le 1er octobre 1976, ce qui a provoqué une hausse du taux de chômage dans la région. L'économie a repris quelque peu en 1980 quand l'Allemagne de l'Ouest a signé avec le Canada une entente l'autorisant à utiliser Goose Bay comme base d'entraînement pour les vols à basse altitude.

La mission actuelle de la base est de mener des opérations du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) et des Forces armées canadiennes.

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