Botwood

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le port plutôt tranquille de Botwood est devenu une base de défense côtière canadienne très militarisée. Sa situation stratégique dans l'Atlantique Nord, ainsi que sa station hydroaérienne déjà existante, ont fait de ce lieu un point de départ idéal pour les vols transatlantiques. Pendant la guerre, cette collectivité a accueilli des milliers de soldats ainsi que de nombreux dignitaires et personnages célèbres tels que le premier ministre de la Grande-Bretagne Winston Churchill et l'humoriste américain Bob Hope.

Des membres du personnel de l'Aviation royale canadienne (ARC), Botwood
Des membres du personnel de l'Aviation royale canadienne (ARC), Botwood, 1943
A. Earl Godfrey, vice-maréchal de l'air, fait l'inspection des membres du personnel de l'ARC postés à Botwood, en septembre 1943.
Photographe inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada. (PA-114774).

Avant même que Botwood ne devienne un centre d'activités militaires très animé, un bateau ennemi a été capturé dans son port. Quand la guerre a éclaté le 3 septembre 1939, le cargo allemand Christoph V. Doornum était amarré dans le port de Botwood pour prendre un chargement de concentré de minerai provenant de la mine de Buchans. Incapable de quitter le port à cause d'une défaillance technique, le navire a été saisi vers 11 heures du matin par la police de Terre-Neuve et des résidants de la collectivité. Les 25 membres d'équipage ont été conduits dans un camp de prisonniers de guerre de St. John's tandis que le cargo a été envoyé à Halifax. Cet incident est considéré comme le premier acte de guerre survenu en Amérique du Nord au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

Au cours des mois suivants, Botwood a été témoin d'une activité militaire accrue alors que des soldats canadiens sont arrivés par centaines pour défendre la base aérienne et construire des batteries côtières, des bunkers à munitions et de nombreuses autres infrastructures.

L'aviation royale canadienne à Botwood

L'aménagement d'une base de l'Aviation royale canadienne (ARC) à Botwood découle d'un accord conclu en 1935 entre le Canada, l'Angleterre et l'Irlande dans le but de développer les services aériens commerciaux transatlantiques. Botwood a été choisi comme terminus occidental pour les hydravions à cause de son port abrité en eaux profondes qui était en grande partie libre de glace de juin à novembre. Cette collectivité était aussi située sur la route orthodromique, c'est-à-dire la route aérienne la plus courte entre Londres et New York.

La construction de l'aéroport de Botwood a commencé au printemps 1936 et s'est terminée l'année suivante. Le complexe militaire comprenait un bureau administratif, de l'espace de stockage pour le carburant, des bâtiments d'entretien, une cafétéria, des logements et une salle d'attente pour les passagers. On a aussi procédé à l'installation d'équipement technique destiné à la navigation aérienne, dont des balises directionnelles, des émetteurs radio de haute fréquence et de fréquence moyenne, ainsi que de l'équipement météorologique. L'aéroport restait ouvert de mai à la mi-novembre, mais la présence de glace dans le port imposait sa fermeture en hiver.

Quand la guerre a éclaté en 1939, les forces alliées ont réalisé l'urgence de protéger ces installations. Si l'aéroport de Botwood venait à tomber aux mains des nazis, les défenses occidentales seraient sérieusement affaiblies puisque les Allemands l'utiliseraient comme point d'entrée en Amérique du Nord. Toutefois, si cette base aérienne demeurait sous le contrôle des forces alliées, elle s'avérerait un atout important puisque sa situation géographique à l'est permettait aux vols de reconnaissance de se rendre 725 kilomètres (450 miles) plus loin dans l'Atlantique que ce que les bases canadiennes les plus proches pouvaient faire à partir de la Nouvelle-Écosse.

Conscient du fait que Terre-Neuve serait incapable de défendre convenablement l'aéroport sans aide extérieure, la Commission de gouvernement a fait parvenir un télégramme à la Grande-Bretagne le 15 septembre afin de proposer que le contrôle des installations soit cédé à l'ARC pendant toute la durée du conflit. Londres a d'abord refusé, car le gouvernement britannique ne voulait pas perdre le contrôle de l'aéroport après la guerre, mais elle a finalement accepté la proposition au printemps 1940 après que les forces nazies eurent gagné du terrain en Europe.

L'arrivée du régiment Black Watch à Botwood, en 1940
L'arrivée du régiment Black Watch à Botwood, en 1940
Le régiment d'infanterie Black Watch est arrivé à Botwood à bord du HMCS Ottawa le 22 juin 1940. Sa mission était de défendre la collectivité et sa base aérienne en cas d'attaque.
Photographe inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada. (PA-104040).

Des forces terrestres et des aéronefs canadiens sont arrivés à Botwood à la fin de juin, dont 852 hommes du Black Watch (un régiment d'infanterie de la Première réserve de l'armée canadienne). Environ la moitié d'entre eux ont été envoyés à Gander. Les principales missions de l'ARC à Botwood consistaient à patrouiller le secteur occidental de l'Atlantique, à surveiller les ennemis à l'aide de systèmes de détection lointaine, à défendre Botwood en cas d'attaque et à soutenir les services de transport par hydravions pendant toute la durée de la guerre. L'armée avait pour mission de protéger la base aérienne de Botwood et d'assurer son bon fonctionnement.

La base

En août 1940, l'ARC a décidé d'agrandir les infrastructures en prévision d'une augmentation du nombre de troupes et du trafic aérien qui allaient bientôt passer par Botwood. Les ouvriers ont reçu l'ordre de construire une grande cale de béton et deux hangars pour hydravions et de créer aussi plus d'espace de stationnement. Ils ont également entrepris la construction d'un hôpital, de casernes, d'entrepôts, d'ateliers de réparation, de réfectoires, d'un réservoir d'eau et de diverses autres installations.

Pour mieux défendre la base contre d'éventuelles attaques, l'armée canadienne a construit deux batteries à proximité de Phillips Head et de Wiseman's Cove. Surplombant la baie des Exploits, ces batteries devaient empêcher les bateaux ennemis de pénétrer dans le port. Des casernes temporaires, réfectoires, entrepôts et bâtiments pour abriter les générateurs ont aussi été construits sur le site.

La batterie d'artillerie construite à Phillips Head offrait un champ de vision exceptionnel. Elle comprenait une tour d'observation de trois étages et un passage souterrain de 213 mètre (700 pieds) qui reliait 11 salles remplies de munitions, de documents secrets et de ravitaillement. Le poste était complètement entouré d'une clôture en fil barbelé et équipé de canalisations devant servir à inonder les lieux en cas d'invasion ennemie. Des pièges ont aussi été placés le long du passage souterrain et deux issues de secours dissimulées ont été créées.

Faire le guet à Botwood, 1940
Faire le guet à Botwood, 1940
Soldat d'infanterie (non identifié) du Black Watch affecté comme mitrailleur sur un site de défense de la côte de Botwood en 1940.
Photographe inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-104038).

Un grand filet de camouflage en acier a aussi été submergé secrètement à l'entrée du port de Botwood. Son rôle était d'empêcher les sous-marins d'entrer dans le port et de protéger la région contre les torpilles. Tout près, à Killick Island, on a creusé des caveaux d'entreposage souterrains pour stocker des munitions et construit une chaussée menant à la base aérienne.

À l'été 1941, un escadron de bombardiers patrouilleurs bimoteurs a été affecté à la lutte anti-sous-marine à Botwood pour l'escorte des convois dans l'Atlantique Nord. Au moment de la fermeture de la base pour la saison hivernale, 27 officiers de l'ARC et 383 soldats étaient postés à Botwood. Un an plus tard, 46 officiers et 456 soldats se trouvaient à la base. Il s'agissait là d'un changement majeur pour cette collectivité qui ne comptait qu'environ 1000 habitants au début de la guerre.

En plus de devoir s'accommoder d'une présence militaire de plus en plus imposante, les résidants de Botwood ont dû s'adapter à de nombreux autres changements inhérents à la guerre. Les aliments de base – dont le sucre, le thé, la farine et la viande de bœuf – étaient peu abondants et seuls les coupons de rationnement émis par le gouvernement permettaient de s'en procurer. Les périodes de couvre-feu (black-out) étaient fréquentes et pouvaient durer jusqu'à une semaine lorsque les civils et les soldats se préparaient à l'éventualité d'un raid aérien. Afin d'agrandir la base, l'ARC s'est approprié les maisons de plusieurs résidants. Le fardeau à la fois émotionnel et financier vécu par ceux qui étaient forcés d'abandonner leurs demeures était immense malgré l'indemnisation qui leur était versée. En revanche, la présence militaire canadienne a aussi créé beaucoup d'emplois pour les résidants locaux – en 1942, par exemple, 86 civils travaillaient à la base militaire.

L'après-guerre

De 1940 à 1945, environ 10 000 soldats sont passés par Botwood. À la fin du conflit, les troupes canadiennes sont rentrées chez elles. Tous les bâtiments militaires ont été vendus, démantelés ou relocalisés. L'hôpital de 100 lits a été vendu à la Commission de gouvernement en 1946 pour la somme de 1 $ et a servi de pavillon hospitalier jusqu'à sa fermeture en 1989.

L'artillerie lourde a été retirée de Wiseman's Cove et de Phillips Head, mais les plateformes sont toujours présentes dans cette dernière collectivité. Les munitions et marchandises inutilisées ont été sorties des entrepôts et le filet submergé à l'entrée du port a été enlevé. Les services commerciaux d'hydravion ont cessé en 1945, à l'époque où les avions long-courrier à roulage terrestre ont commencé à dominer le marché. La base aérienne et le poste d'artillerie de Phillips Head sont aujourd'hui des sites historiques.

English version