Utilisation du territoire par les Innus avant l'arrivée des Européens

À l'arrivée des Européens en Amérique du Nord à la fin du 15e siècle et au début du 16e siècle, les Innus et leurs ancêtres avaient occupé la péninsule Québec-Labrador depuis des millénaires. Comme d'autres groupes indigènes de l'époque préeuropéenne, les ancêtres des Innus formaient un peuple autonome, connaissaient à fond l'environnement naturel et en exploitaient les ressources variées pour assurer leur survie. Nourriture, vêtements, abris, outils, armes, médicaments et autres, ils trouvaient tout dans le monde où ils vivaient. Ainsi, la faune contribuait à les vêtir et à les nourrir, tandis que les arbres leur fournissaient abri et chauffage.

Si nous sommes loin de connaître en détail la vie des Innus de l'époque préeuropéenne, les vestiges archéologiques suggèrent qu'ils vivaient en nomades pour récolter différentes ressources durant leurs saisons d'abondance. Il est probable qu'ils passaient l'hiver à chasser le caribou à l'intérieur des terres, pour ensuite se rendre sur le littoral au printemps et en été pour y pêcher et y chasser le phoque et d'autres mammifères marins.

Certains archéologues croient que les ancêtres immédiats des Innus, regroupés sous l'appellation « peuple de Point Revenge », ont cessé de fréquenter la côte du Labrador après l'arrivée, entre 1250 et 1450, des Autochtones de Thulé (ancêtres des Inuit). Ces derniers subsistaient largement des ressources de la mer, et leur concurrence pourra avoir refoulé les Autochtones de Point Revenge vers l'intérieur de la péninsule Québec-Labrador.

Ancêtres possibles des Innus

On appelle Paléo-Indiens les premiers habitants humains d'Amérique du Nord. Faute de connaître le moment précis où ils y sont parvenus, les archéologues croient qu'ils ont migré de la Sibérie, traversé le détroit de Béring et atterri en Alaska il y a environ 12 000 ans. De là, ils se sont dispersés graduellement sur tout le continent, atteignant la péninsule Québec-Labrador il y a quelque 9000 ans, après la fonte des glaciers qui avaient recouvert ce territoire.

Au fil des siècles, les descendants de ces premiers habitants ont produit une nouvelle tradition, qu'on appelle aujourd'hui « archaïque maritime »; certains archéologues croient que ces Autochtones seraient les ancêtres lointains des Innus contemporains, bien qu'aucune preuve n'existe présentement à cet égard. Il y a entre 7500 ans et 3500 ans, des Autochtones de la tradition archaïque maritime ont vécu sur le littoral du Labrador, y récoltant une large gamme de ressources marines, notamment les phoques, les morses, les poissons et les oiseaux de mer.

Territoires de Terre-Neuve et du Labrador occupés par les Autochtones de la tradition archaïque maritime, il y a entre 5000 et 3500 ans
Territoires occupés par les Autochtones de la tradition archaïque maritime, il y a entre 5000 et 3500 ans
Certains chercheurs croient que les Autochtones de la tradition archaïque maritime étaient les ancêtres lointains des Innus contemporains.
Tiré de J. A. Tuck, Prehistoric Archaeology in Atlantic Canada Since 1975. Canadian Journal of Archaeology, no 6, 1982, p 203. Illustration de Tina Riche.

Les Autochtones de la tradition archaïque maritime chassaient le caribou et d'autres mammifères terrestres pour s'en nourrir; ils en utilisaient aussi la peau, les os et les panaches pour confectionner des vêtements, des outils et d'autres articles. Comme la plupart des autres cultures ayant vécu au Labrador avant l'arrivée des Européens, les Autochtones de la tradition archaïque maritime taillaient des pointes de projectiles et d'autres outils dans du chert de Ramah et diverses autres pierres trouvées localement. Le groupe a disparu des annales archéologiques il y a environ 3500 ans, pour des raisons encore inexpliquées.

Peuples autochtones de la période récente

Diverses autres cultures préeuropéennnes ont vécu au Labrador dans les siècles qui ont suivi la disparition des Autochtones de la tradition archaïque maritime, notamment les « Indiens récents ». Les archéologues ont classifié ce groupe chronologiquement en « peuple de Daniel Rattle », présente au Labrador entre il y a 3000 et 1000 ans, et « peuple de Point Revenge », florissant entre il y a 1000 et 400 ans. Pour nommer ces groupes, ils se sont inspirés des endroits où ils ont trouvé des artefacts qui leur sont associés.

On croit que les peuples de Daniel Rattle et de Point Revenge appartiennent grosso modo au même groupe culturel; cependant, leurs techniques ont assez évolué au fil du temps pour que les chercheurs leur attribuent deux noms distincts. Les Autochtones de Daniel Rattle fabriquaient des pointes de projectiles larges et encochées sur les côtés, tandis que ceux de Point Revenge taillaient des pointes beaucoup plus étroites, encochées aux coins; et les gros bifaces quadrangulaires utilisés par les Autochtones de Daniel Rattle ont été remplacés par des bifaces plus petits et triangulaires chez les gens de Point Revenge. Selon certains, ces derniers seraient les ancêtres directs des Innus contemporains, mais cette assertion reste à être confirmée.

Les Autochtones de Point Revenge étaient d'habiles chasseurs-cueilleurs en étroit contact avec leur environnement, qui savaient où et quand trouver les diverses ressources. Ainsi, ils connaissaient les périodes de migration des phoques et des caribous, les dates de récolte des baies et des plantes comestibles, et les sites de pêche les plus productifs. C'est cette familiarité avec leur habitat naturel qui a permis aux Autochtones de Point Revenge de survivre dans le dur habitat subarctique du Labrador.

Comme les Autochtones de la tradition archaïque maritime, les groupes de Point Revenge se déplaçaient probablement à travers leur territoire pour tirer parti des ressources variées aux périodes où elles étaient le plus abondantes. On croit qu'ils passaient l'automne et l'hiver à chasser le caribou et d'autres mammifères à l'intérieur des terres; au printemps et en été, ils allaient s'installer sur la côte, d'où ils tiraient leur subsistance des poissons, des phoques et d'autres mammifères marins. En récoltant une large gamme de ressources au lieu de se spécialiser sur une ou deux activités, ils pouvaient composer avec les mauvaises années de chasse du caribou ou du phoque.

Les Autochtones de Point Revenge faisaient preuve d'ingéniosité dans leur usage des ressources naturelles. Outre la viande, les animaux leur fournissaient des peaux pour se vêtir et s'abriter, ainsi que des os, des dents et des panaches pour fabriquer des armes, des outils, des bijoux et d'autres articles. Les caribous étaient particulièrement précieux : ils donnaient beaucoup de viande et, avec leurs peaux, les femmes faisaient des manteaux, des pantalons, des capuchons, des mocassins et des jambières; ces peaux étaient aussi utilisées comme toiles de tente.

Manteau innu
Manteau innu
Avant l'arrivée des Européens, les Innues se servaient de peaux de caribou pour fabriquer des manteaux, des pantalons, des capuchons, des mocassins, des jambières et divers autres vêtements. Les peaux étaient aussi utilisées comme toiles de tentes.
Photographie : Tina Riche, ©1997. Modifiée par Lisa Ledrew, 1999.

Les Autochtones de Point Revenge cueillaient aussi la flore pour toutes sortes d'usages. Des arbres, ils tiraient les matériaux de fabrication pour leurs abris, armes, récipients et articles divers et le combustible pour cuisiner et se chauffer. Ils étendaient sans doute aussi des rameaux de conifères sur le sol comme matelas. L'écorce de bouleau était une ressource importante, dont ils faisaient des canoës, des récipients et des bâches pour leurs tentes. Ils auront récolté diverses espèces de plantes pour leurs qualités médicinales; ainsi, l'infusion d'écorce de merisier aurait calmé la toux et les feuilles de renoncule broyées auraient apaisé les maux de tête.

Même si le gros de leur régime était constitué de protéines animales, les Autochtones de Point Revenge cueillaient aussi probablement des baies, comme les bleuets, les framboises, les merises et les baies de sureau, et diverses plantes comestibles comme les feuilles de pissenlits, le lédon du Groenland (appelé également thé du Labrador) et d'autres plantes locales.

Les pierres étaient d'une importance considérable dans la culture de Point Revenge : on s'en servait comme lames et pointes pour les armes, comme ornements rituels, pour travailler le bois et pour fabriquer divers ustensiles. Un type de pierre, le « chert de Ramah », était très prisé par les peuples du Labrador de l'époque préeuropéenne pour la fabrication d'outils et d'armes : relativement friable, cette pierre donne des éclats aux bords tranchants.

Mouvement vers l'intérieur

Au 15e siècle, un autre groupe de chasseurs-cueilleurs préeuropéens était installé sur la côte du Labrador, où il tirait largement sa subsistance des ressources de la mer. Appelés peuple de Thulé, ces gens auraient été les ancêtres immédiats des Inuit du Labrador. Selon les chercheurs, la concurrence avec ce peuple pour les ressources du littoral aura forcé les Autochtones de Point Revenge à passer de plus en plus de temps à l'intérieur de la péninsule Labrador-Québec, où ils pouvaient chasser le caribou et exploiter les ressources marines des baies profondes et des deltas de rivières, ainsi que sur la rive nord du golfe du Saint-Laurent. À l'arrivée des missionnaires au Labrador, au 18e siècle, la culture des Innus était plus orientée vers l'intérieur que celle de leurs ancêtres préeuropéens.

Même si les Innus se sont davantage concentrés sur la chasse au caribou que leurs ancêtres de Point Revenge, les deux peuples avaient beaucoup en commun. Comme leurs prédécesseurs, les Innus étaient un peuple de nomades autonomes dont la survie dépendait d'un cycle d'activités saisonnières : chasse durant les mois d'hiver et récolte des ressources marines au retour du beau temps. Ils étaient habiles à fabriquer des vêtements avec les peaux de caribous, des canoës avec de l'écorce de bouleau et des armes et des outils en pierre et en bois. Ils avaient une connaissance détaillée de l'intérieur du Québec et du Labrador et étaient bien adaptés à leur environnement, qu'ils parcouraient en canoës d'écorce durant l'été et en raquettes et en toboggan durant l'hiver. Comme les autres groupes indigènes de Terre-Neuve et du Labrador au moment de l'arrivée des Européens, les Innus tiraient de leur environnement immédiat tout ce qu'ils mangeaient, portaient, construisaient et utilisaient.

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