Utilisation du territoire par les Inuit avant l'arrivée des Européens

Avant l'arrivée des Européens au tournant des 15e et 16e siècles, les Inuit exploitaient à fond les ressources naturelles du Labrador. Leur culture était largement orientée vers la mer. Les mammifères marins, les poissons et les oiseaux de mer, en plus d'être d'importantes sources de nourriture, fournissaient de l'huile combustible, ainsi que des peaux, des os, des dents et des défenses, matériaux dont ils faisaient des vêtements, des abris, des armes, des outils et divers autres objets usuels. Le caribou et une variété de mammifères terrestres étaient aussi des éléments vitaux pour la survie des Inuit, comme l'étaient les arbres, les pierres, les plantes comestibles et les autres ressources de leur territoire.

Sites fréquentés par le peuple de Thulé
Sites fréquentés par le peuple de Thulé
Ces ancêtres des Inuit modernes se sont d'abord installés dans les régions les plus au nord du Labrador, notamment sur les îles de Killiniq (auparavant Killinek) et Staffe; à la fin du 16e siècle, ils avaient descendu la côte jusqu'au sud de Nain. Les archéologues ont exhumé des vestiges de leurs villages à Saglek, Nain, Hebron, Okak, dans la baie de Seven Islands et sur l'île Home.
Illustration : Tina Riche et Duleepa Wijayawardhana, ©1998.

Les Inuit vivaient une vie nomade, utilisant diverses formes de véhicules pour récolter les ressources au gré de leurs saisons d'abondance. Durant la belle saison, ils se déplaçaient en kayaks et en oumiaks, des embarcations couvertes de peaux; l'hiver, ils se faisaient tirer par des chiens sur des traîneaux (appelés cométiques). Ils affûtaient la pierre, l'os et l'ivoire en lames de harpons et pour d'autres armes avec lesquelles ils chassaient les créatures marines et terrestres. Selon la saison et leur type d'activité, les Inuit vivaient dans des huttes semi-enterrées, des tentes ou des iglous. Les peaux d'animaux leur servaient de toiles pour couvrir leurs abris, ainsi que de matériel pour la confection de bottes, de jambières, de parkas, de mitaines et d'autres vêtements.

Les Inuit à l'époque préeuropéenne

On appelle « préhistoire » la période qui précède l'usage de l'écriture. Elle a duré plus ou moins longtemps selon les cultures : ainsi, à Terre-Neuve et au Labrador, elle n'a pris fin qu'à l'arrivée des Européens, vers l'an 1500. En ce sens, la préhistoire est suivie de la période dite « historique », sur laquelle nous disposons de témoignages écrits décrivant les cultures humaines. On utilise souvent différentes expressions pour désigner les périodes préhistorique (appelé « préeuropéenne » de nos jours) et historique d'une culture. Ainsi, on appelle « Inuit » le peuple qui relève de la période historique et « peuple de Thulé » leurs ancêtres, qui vivaient à l'époque préeuropéenne. Selon l'archéologue James A. Tuck, ces distinctions « sont en réalité des points fixés arbitrairement dans le temps pour faciliter les communications et les échanges. » (Tuck, p. 110)

Même si la culture de Thulé fait référence à une région du Groenland où les archéologues en ont découvert les premiers vestiges, ses représentants venaient en réalité d'Alaska et avaient migré dans l'Arctique canadien il y a un millénaire. De là, ils se sont dispersés vers l'est jusqu'au Groenland et vers le sud jusqu'au Labrador, qu'ils ont atteint entre 1250 et 1450. Ils se sont d'abord installés dans les régions les plus au nord du Labrador, comme les îles de Killiniq et Staffe. À la fin du 16e siècle, ils avaient descendu la côte jusqu'au sud de Nain. Les documents archéologiques nous apprennent qu'ils fréquentaient surtout les régions côtières, et s'étaient établis à divers endroits comme Saglek, Nain, Hebron, Okak, la baie Seven Islands et l'île Home.

Ressources alimentaires

Le peuple de Thulé tirait de la mer une bonne part de leurs aliments. Les mammifères marins comme les baleines, les phoques et les morses étaient des ressources précieuses : en plus de leur viande abondante, ils fournissaient des peaux, de l'huile, des défenses et des os. Les chasseurs tuaient ces animaux au moyen de harpons plus ou moins longs à pointes affûtées en os, en ivoire et en pierre. Parfois, ils chassaient les mammifères marins sur la rive ou à travers la glace; ils les poursuivaient aussi en petits kayaks monoplaces ou en oumiaks, embarcations capables de porter 20 chasseurs. Pour fabriquer ces bateaux, les Autochtones de Thulé tendaient des peaux d'animaux sur des armatures de bois, des vertèbres de morse ou d'autres os.

Inuit dans un kayak, vers 1885
Inuit dans un kayak, vers 1885
Les Autochtones de Thulé et les Inuit se déplaçaient en kayaks monoplaces ou en oumiaks, embarcations capables de porter jusqu'à 20 personnes. Pour fabriquer ces bateaux, ils tendaient des peaux d'animaux sur des armatures de bois ou de vertèbres de morse et d'autres os.
Aquarelle de D. Smith. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (C-150267).

Les poissons et les oiseaux de mer étaient aussi d'importants éléments de leur régime. Les Autochtones de Thulé chassaient les oiseaux marins en hiver et au début du printemps, et pêchaient l'omble, la truite, la morue, le saumon et d'autres espèces en saison. Ils se servaient de fanons de baleines pour fabriquer des lignes à pêche et des collets à oiseaux, et immergeaient des barrages de pierre dans les rivières et les ruisseaux pour piéger le poisson qu'ils capturaient avec des lances.

Les Autochtones de Thulé se déplaçaient aussi dans les terres intérieures pour tirer parti des ressources animales et végétales. Les caribous étaient très précieux, une seule bête leur fournissant beaucoup de viande, ainsi que la fourrure, les os et les panaches dont ils faisaient vêtements, kayaks, armes et autres articles d'usage courant. La chasse au caribou avait lieu à la fin de l'été et au début de l'automne, après la saison de broutage, lorsque ces cervidés étaient bien gras et que leur fourrure avaient l'épaisseur idéale pour fabriquer des vêtements d'hiver. Les Autochtones de Thulé poussaient de petits groupes de caribous à se jeter dans des lacs ou des rivières, et les achevaient à l'arc ou à la lance.

Durant les périodes de disette où les mammifères marins, les poissons et les caribous étaient rares, les Autochtones de Thulé s'en remettaient aux renards, aux moules et à d'autres sources de protéines. Des plantes et des petits fruits constituaient aussi une faible proportion de leur régime. Comme la plupart des ressources n'étaient disponibles qu'en saison, ils plaçaient souvent des caches de viande de baleine, de phoque et de caribou sous des pierres en été et en automne, les réservant pour la fin de l'hiver et les périodes de famine.

Abris et vêtements

Ces ancêtres des Inuit vivaient dans diverses formes d'abris selon la saison et le type d'activités qu'ils pratiquaient, en se servant de matériaux recueillis dans leur environnement. En été, ils construisaient des tentes coniques, à l'armature de perches de bois couverte de terre et de peaux de phoque, de caribou ou d'autres animaux arrimées au sol par de grosses pierres.

Durant les mois plus froids, les Autochtones de Thulé creusaient des huttes semi-souterraines surmontées d'une armature de perches ou d'os de baleine couverte de terre et de peaux d'animaux. Ils posaient de grandes pierres comme couvre-sol et dormaient sur des fourrures. Ils y pénétraient par un long tunnel en U, qui gardait la chaleur à l'intérieur et le froid au dehors. Pour éclairer et chauffer ces huttes, ils faisaient brûler de l'huile de mammifères marins dans des lampes en stéatite.

L'iglou était un autre type d'habitation utilisé en hiver. Les Autochtones de Thulé construisaient ces abris de neige quand ils étaient en transit ou durant leurs expéditions de chasse. Avec des couteaux en os, ils taillaient de gros blocs de neige qu'ils empilaient les uns sur les autres en spirale pour former un abri en dôme.

Les femmes du peuple de Thulé confectionnaient toutes sortes de vêtements avec des peaux d'animaux cousues de tendons de caribou. Même si les peaux de toutes sortes de créatures pouvaient convenir, depuis celles des mammifères et des oiseaux jusqu'à celles des poissons, les peaux de phoque et de caribou étaient les plus prisées. Imperméable, le cuir de phoque était idéal pour les bottes, tandis que celui du caribou était excellent pour la confection de jambières et de manteaux. En hiver, les Autochtones de Thulé portaient deux couches de vêtements : celle du dessous avait la fourrure tournée vers l'intérieur, formant des poches de chaleur contre la peau, tandis que celle du dessus avait la fourrure vers l'extérieur, offrant une protection additionnelle contre les éléments.

Les Autochtones de Thulé fabriquaient toutes sortes d'autres articles à partir des matériaux qu'ils trouvaient dans leur habitat. Leurs traîneaux à chiens en bois avaient des patins en os de baleine et des harnais de cuir de phoque, et leurs kayaks et oumiaks étaient faits de peaux d'animaux tendues sur des armatures en bois ou en os. Bois, ramures, os, ivoire et diverses pierres leur servaient à tailler leurs harpons, leurs lances et d'autres armes, et à fabriquer une grande variété d'outils et d'ustensiles : marmites en stéatite, couteaux en ardoise, lunettes de neige en ramure de caribou et jouets en bois ou en os. Le peuple de Thulé était innovateur et autonome, expert en chasse et en cueillette, en construction d'abris, en confection de vêtements et en fabrication d'une vaste gamme d'articles à partir des matériaux recueillis dans l'environnement physique.

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