Le peuple de Thulé

Les Autochtones de Thulé sont les ancêtres préhistoriques des Inuit qui habitent actuellement le nord du Labrador. (Le nom provient d'une petite collectivité située dans le nord-ouest du Groenland contenant des vestiges archéologiques de cette culture.) Il semble que la culture de Thulé s'est développée il y a environ 1000 ans grâce à un brassage d'idées et peut-être de peuples, de la mer de Béring à la côte nord de l'Alaska. Selon de nombreux archéologues, le réchauffement du climat qui s'est produit il y a environ 1000 ans a permis la formation de chenaux dans la glace de la mer de Beaufort et du golfe d'Amundsen. Les habitants de l'Alaska ont alors pu suivre les baleines boréales qui descendaient vers le sud l'été. La culture de Thulé, nom attribué par les archéologues, se répand rapidement dans l'Arctique canadien, puis graduellement au Groenland et au Labrador.

La technologie du peuple de Thulé

Les Autochtones de la culture de Thulé ont fait preuve d'une grande ingéniosité pour survivre dans l'Arctique. Dans une région où les Européens et leurs descendants étaient incapables de fonctionner sans une aide extérieure, les Autochtones de Thulé se débrouillaient très bien. Ils tirent parti des os, des dents et de la peau des animaux qu'ils ont chassés pour chasser ces mêmes espèces. Ils construisent de gros bateaux, des oumiaks, pour se déplacer et chasser la baleine. Leur charpente est faite de côtes de morse sur lesquelles sont tendues des peaux de morse. Ils utilisent également de petites embarcations monoplaces en peau de phoque pour la chasse à la baleine. Ils transforment le bois de grève en traîneaux à chiens souvent chaussés d'os de baleine en guise en patins. Ils tressent des lanières de peaux de phoque en harnais et sangles. Ils façonnent les os et l'ivoire des mammifères marins en harpons et lances. Ils renforcent leur court et puissant arc avec des cornes de bœuf musqué.

Un harpon en bois en forme de pointe
Un harpon en bois en forme de pointe

Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Cette ingéniosité technique se retrouve aussi dans la fabrication de leurs habitations. En hiver, ils vivent dans des maisons semi-souterraines pourvues d'un plancher en dalles de pierre. La charpente, en côtes et en os de mâchoire de baleine, est recouverte de peaux de morse et de mottes de gazon. L'entrée s'ouvre sur un long tunnel qui s'abaisse en son centre pour emprisonner l'air froid sous le niveau du plancher. À l'intérieur, les familles vivent confortablement sur des plateformes en pierre couvertes de fourrures. Des lampes en stéatite (pierre à savon) alimentées à l'huile de phoque et de baleine éclairent et réchauffent les longues nuits d'hiver. Au printemps, poussés par le dégel du sol et l'accumulation d'eau dans les habitations, ils emménagent dans des tentes en peau qui les abriteront jusqu'à la venue de l'hiver suivant.

À la chasse ou en déplacement, les Autochtones de Thulé construisent des habitations de neige appelées igloos, une autre invention parfaitement adaptée aux conditions arctiques. Ils taillent des blocs de glace à l'aide de couteaux en bois ou en corne spécialement fabriqués pour cette fonction. Ils empilent ensuite les blocs en leur donnant cette forme associée, de nos jours, aux habitations inuites de l'Arctique canadien. La chaleur que dégage la lampe en stéatite vernit, d'une couche de glace, l'intérieur de l'habitation pour l'isoler du froid et du vent.

Lunettes contre la neige, en bois de cerf avec lanière en babiche
Lunettes contre la neige, en bois de cerf avec lanière en babiche

Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Les techniques de chasse

Les techniques de chasse des Autochtones de Thulé sont tout aussi inventives que la construction de leurs habitations. Leur culture repose sur leur capacité à tuer d'énormes baleines boréales qui peuvent atteindre jusqu'à 20 mètres. Ces animaux leur assurent une énorme quantité de nourriture et la possibilité de survivre à un long hiver. Les chasseurs de baleine de Thulé se déplacent dans des oumiaks pouvant transporter environ 20 hommes. Lorsqu'ils repèrent une baleine, ils s'en rapprochent, puis un baleinier enfonce un harpon dans l'animal. Des flotteurs en peau de phoque, attachés au harpon, entravent les mouvements de la baleine qui cherche à plonger pour échapper à ses poursuivants. Lorsqu'elle refait surface, les chasseurs lui plantent d'autres harpons et lances dans le corps pour l'achever.

L'hiver et la glace mettent fin à la chasse à la baleine, mais les chasseurs de phoque ont élaboré des méthodes d'une grande efficacité pour attraper ces animaux. Le chasseur fait un trou dans la glace et dépose sur l'eau une plume ou petit morceau de bois. Si un phoque annelé vient respirer à la surface, l'objet bouge. Le chasseur doit périodiquement enlever la glace qui se forme dans le trou au moyen d'un outil qui ressemble à une raquette. Il attire parfois les phoques en grattant la surface de la glace avec des griffes de phoque. Dès que la présence d'un phoque est signalée, il enfonce son harpon (une version réduite du harpon à baleine) et remonte l'animal sur la glace. Souvent, le chasseur colmate la blessure avec un tampon en ivoire qui a pour rôle d'arrêter l'épanchement du sang, un aliment très nutritif.

Pendant qu'il chasse le phoque, le chasseur doit garder sa chaleur et ses pieds bien au sec. Des pieds mouillés peuvent entraîner des engelures aux orteils, et potentiellement la gangrène et la mort. Les femmes autochtones sont donc obligatoirement des couturières émérites et la survie des chasseurs et de leur collectivité en dépendent. Les bottes sont confectionnées avec des peaux de phoque étanches. Les femmes suturent la peau en points très serrés et fins avec pour fil de la babiche. (La babiche, ou tendon, provient du dos de caribous.) Elles percent d'abord la peau avec une alène en os pour la coudre ensuite avec une fine aiguille en os. S'il faut imperméabiliser le vêtement, les femmes cousent en double deux morceaux de peau superposés. Lorsque la babiche est mouillée, elle gonfle et obture les trous de l'alène. Les jambières et les parkas sont faits de peau de caribou. Ses poils sont creux et remplis d'air, ce qui en fait un excellent isolant. Les vêtements en peau de caribou sont raffinés, très chauds et légers comparativement aux lourds vêtements de laine des Européens venus explorer l'Arctique.

Les moyens de transport

Évidemment, les moyens de transport des Autochtones de Thulé sont eux aussi adaptés à l'Arctique. Par temps froid, les autochtones utilisent le traîneau à chiens. Ils fabriquent ce véhicule, à la fois robuste et léger, avec du bois de grève. Les patins sont en os de baleine. Les conducteurs versent souvent de l'eau sur les patins pour en augmenter l'effet de glisse. L'eau gelant immédiatement, les patins deviennent aussi lisses que du téflon. L'oumiak est l'embarcation de prédilection pour transporter un grand nombre de personnes, ainsi que les biens et les chiens. Le chasseur ou le voyageur solitaire se déplace en kayak, une embarcation légère en peau de phoque, une autre invention caractéristique des habitants de l'Arctique. La personne prend place dans le kayak et arrime au bateau une sorte de « tablier » autour de sa taille pour éviter que le bateau s'emplisse d'eau. Propulsée par une pagaie double, cette embarcation est plus rapide et facile à manœuvrer que les embarcations européennes de même type.

L'emplacement géographique

Telles sont les techniques qu'ont apportées les Autochtones de la culture archéologique de Thulé au Labrador il y a 750 ans. Bien entendu, les vestiges archéologiques les plus anciens de la culture de Thulé sont situés à l'extrémité nord du Labrador, entre autres aux îles Killiniq (appelé autrefois Killenek) et Staffe. C'est ici que l'archéologue William Fitzhugh du Smithsonian Institution a découvert les plus anciens vestiges archéologiques du Labrador associés à ce peuple. Entre 1250 et 1450 de notre ère, des Autochtones de Thulé, dont les ancêtres ont probablement habité l'île de Baffin, fondent trois villages. C'est de là qu'ils partent chasser le morse, le phoque et les oiseaux. Ces petits campements comptent environ 25 à 35 personnes qui semblent y vivre durant les derniers mois de l'hiver et au printemps. Les habitants de l'île Staffe construisent deux types d'habitation : la première est rectangulaire et peu profonde mesurant en moyenne 4 mètres sur 5 mètres et la deuxième, plus profonde, mesure en moyenne 5 mètres sur 6 mètres. Les habitations de plus grande dimension comportent une entrée pavée, des montants de pierre à l'intérieur pour soutenir le toit, un sol dallé et, à l'arrière, des surfaces de couchage. Des fouilles ont permis de découvrir les traces d'une cuisine et des fragments de couteau ulu (qu'utilisaient exclusivement les femmes) dans la partie est d'une habitation. Les archéologues en ont déduit que cette partie de l'habitation était réservée aux femmes. Dans la partie ouest, ils ont trouvé des couteaux de dépeçage et des pointes de harpons et de lances. Cette partie semblait donc réservée aux hommes.

Couteau ulu avec poignée en ivoire et lame en ardoise
Couteau ulu avec poignée en ivoire et lame en ardoise

Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

En 1989, les archéologues du Smithsonian Institution ont découvert les restes de ce qui pourrait être un kashim, ou maison communale, sur l'île Staffe. De forme ovale et dépourvue d'une surface de couchage, des bancs en pierre s'alignent plutôt le long des murs. S'appuyant sur les annales des missionnaires moraves, venus au Labrador vers la fin du 18e siècle, l'ethnologue du Musée canadien de l'histoire, J. Garth Taylor, a retrouvé des vestiges d'un kashim inuit et de son utilisation. Les habitants de la collectivité se réunissaient dans ces bâtiments communaux pour chanter, danser et accomplir des rites cruciaux à la survie du groupe. Ces découvertes effectuées à l'île Staffe nous donnent un aperçu de la vie sociale et spirituelle des premiers Inuit du Labrador.

Principaux emplacements du peuple de Thulé-Inuit au Labrador, vers 1250-1550
Principaux emplacements du peuple de Thulé-Inuit au Labrador, vers 1250-1550
Illustration de Tina Riche et Duleepa Wijayawardhana, © 1998.

L'île Staffe constitue le point de départ de l'occupation du Labrador par le peuple de Thulé. Aux environs de 1500 de notre ère, ils avaient progressé jusqu'à la baie de Saglek. Probablement vers 1550 de notre ère, les Inuit du Labrador, leur nom véritable depuis cette époque, s'établissent dans la région Nain-Hopedale. Peu de temps après, ils atteignent Red Bay, lieu de pêche basque. Ils espèrent y trouver de nombreux objets en fer. L'archéologue James Tuck de la Memorial University a déclaré y avoir découvert des pointes en ardoise, un pendentif en stéatite et des os de phoque utilisés dans un jeu inuit. Déjà à cette époque, s'amorçaient des relations complexes entre les Inuit et les Européens.

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