Les répercussions des activités des non-Autochtones sur les Innus

Le colonialisme et la fédération canadienne ont bouleversé la culture et la société innues, et modifié leur territoire. Arrivés dans les années 1800, les missionnaires chrétiens suppriment progressivement les croyances religieuses du peuple innu. Pour leur part, les commerçants européens poussent les Innus à se consacrer entièrement au piégeage d'animaux à fourrure. Ces derniers finissent donc par compter sur les postes de traite pour la nourriture et le ravitaillement. Le conflit frontalier du Labrador aggrave la situation. En effet, en 1927, la frontière qui sépare le Labrador du Québec fractionne pratiquement en deux le territoire des Innus.

Procession d'Innus catholiques, 1863
Procession d'Innus catholiques, 1863
Dans les années 1800, les missionnaires catholiques suppriment progressivement les croyances religieuses des Innus.
Dessin de W. G. R. Hind, chromolithographie de Hanhard. Tiré de Explorations in the Interior of the Labrador Peninsula, de Henry Youle Hind, vol. 1, Longman, Green, Longman, Roberts, and Green, Londres, 1863, p. 335.

Après l'entrée de la province dans la Confédération, les deux ordres de gouvernement fondent les villages innus de Sheshatshiu et Utshimassit (Davis Inlet). Cette mesure limite considérablement le mode de vie nomade des Innus. À la même époque, le territoire des Innus subit les assauts du développement industriel. Il y a notamment l'inondation de larges parcelles de leur territoire avec l'aménagement du cours supérieur du fleuve Churchill et la construction de la centrale hydroélectrique, les vols à basse altitude des pilotes de l'armée de l'air à l'entraînement qui affectent le gibier de leur territoire de chasse, et la découverte de gisements de nickel rentables à Voisey's Bay en 1994.

Désireux de protéger leur culture et leurs ressources des périls extérieurs, les Innus du Labrador mettent sur pied, en 1976, l'organisme Naskapi Montagnais Innu Association (devenu depuis la Innu Nation). En 2002, cet organisme réussit à obtenir du gouvernement fédéral le statut d'Indien inscrit pour les Innus du Labrador. Ils ont ainsi droit aux services et programmes offerts aux Premières Nations du Canada.

Après la prise de contact avec les Européens

Dès le début du 16e siècle, Terre-Neuve et le Labrador sont des campements de pêche migratoire (saisonnière) pour les Européens. Pourtant, leur présence a peu d'influence sur la culture et la société innues. C'est plutôt la présence des missionnaires chrétiens et des commerçants de fourrure qui s'installent au 19e siècle dans le nord du Labrador qui influe sur la société innue. Les familles innues sont encore principalement nomades. Durant les mois plus froids, elles chassent le caribou, le loup, le lagopède et d'autre gibier dans l'arrière-pays qui chevauche le Québec et le Labrador. Elles fréquentent ensuite les régions côtières pour y pêcher le poisson et chasser le phoque et les oiseaux de mer. Le caribou est vital pour les Innus. Il les nourrit, les habille et représente une source d'objets divers. Surtout, il est au cœur de leurs croyances spirituelles et de leurs rites.

Poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson à Davis Inlet, 1896
Poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson à Davis Inlet, 1896
La présence des Européens influe très peu sur la société innue jusqu'à l'arrivée dans le nord du Labrador au 19e siècle des commerçants de fourrure comme ceux de la Compagnie de la Baie d'Hudson, et des missionnaires chrétiens.
Photographie de A. P. Low. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-038207).

Au cours des années 1800, les interactions grandissantes entre les missionnaires catholiques, les commerçants de fourrure européens et les Innus transforment leurs pratiques religieuses et leurs habitudes de chasse. Les commerçants parviennent à convaincre de nombreux Innus de privilégier le piégeage des animaux à fourrure plutôt que la chasse au caribou. En échange de leurs prises, les trappeurs innus reçoivent, aux postes de traite entre autres, du ravitaillement, de la nourriture et des outils. Toutefois, avec l'abandon de la chasse et l'accent sur le piégeage à temps plein, bon nombre d'entre eux ne peuvent désormais plus survivre sans les produits venus d'Europe.

Les missionnaires catholiques débarquent aux postes de traite implantés dans les régions centrale et septentrionale du Labrador vers la fin du 19e siècle. Ils y rencontrent alors les Innus dont ils combattent ensuite leur religion, le chamanisme. Ils s'acharnent à éradiquer leurs rites, y compris les danses du tambour qui, selon eux, sont diaboliques. L'Église exerce son ascendant sur plusieurs facettes de la culture innue. Ainsi, ce sont les prêtres qui s'attribuent le droit de donner un nom aux enfants plutôt que les aînés comme le veut la coutume. Les prêtres leur distribuent également de la nourriture et des vêtements à l'européenne. Ils enseignent aux enfants innus et consolident donc leur emprise sur les jeunes générations.

Au 20e siècle

Au début des années 1900, un grand nombre de trappeurs et de chasseurs blancs et Inuit du Sud (du NunatuKavut) envahissent la région centrale du Labrador et le territoire des Innus, attirés par la hausse du prix des fourrures. D'autres trappeurs empiètent carrément sur leur territoire déjà moins abondant en gibier. Les chasseurs innus parviennent difficilement à piéger un nombre suffisant d'animaux à fourrure et à tuer assez de caribous pour faire vivre convenablement leurs familles. De plus, les étrangers s'appuient sur la règle du piégeage privé pour interdire aux Innus l'accès à leurs propres terrains de chasse.

Une Innue non identifiée avec des enfants, vers 1930
Une Innue non identifiée avec des enfants, vers 1930
L'Église catholique exerce son ascendant sur plusieurs facettes de la culture innue aux 19e et 20e siècles. Les missionnaires combattent la religion des Innus, le chamanisme, en tentant d'éradiquer en grande partie leurs rites, y compris les danses du tambour qui, selon eux, sont diaboliques.
Photographie de Fred C. Sears. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-148587).

Leur situation dépérit pendant la Grande Crise lorsque le prix des fourrures chute. Une baisse marquée de la population de caribous dans les années 1930 amplifie leur détresse. Incapables de subvenir à leurs besoins par les moyens traditionnels, talonnés par la faim et la pauvreté, la majorité doit faire appel au gouvernement, à l'Église et à des organismes de bienfaisance. Lourdement tributaires de l'aide gouvernementale, les Innus renoncent à leur vie de nomades et demeurent près des établissements où s'activent missionnaires et fonctionnaires.

L'entrée de Terre-Neuve et du Labrador dans la fédération canadienne en 1949 ébranle encore les fondements de la culture et de la société innues. La nouvelle province ne possède aucun organisme consacré aux affaires autochtones, ni réserves, ni traités territoriaux avec les Innus, les Inuit, les Mi'kmaq et les Inuit du Sud. Si la province conserve la responsabilité des affaires autochtones après son union avec le Canada, les services fournis aux Autochtones du Labrador sont dorénavant subventionnés par le fédéral. Pendant les années 1960, une tranche de ce financement permet d'ailleurs au gouvernement provincial de construire des habitations et des écoles à Sheshatshiu et à Davis Inlet. Des administrateurs gouvernementaux menacent ensuite les parents qui n'envoient pas leurs enfants à l'école de les priver de leurs allocations. La plupart des familles innues n'ont d'autre choix que de délaisser la tente et le nomadisme pour ces habitations fraîchement construites.

Pour les habitants de ces collectivités, le programme scolaire néglige la culture innue et s'attarde trop aux valeurs de la société nord-américaine. Les manuels scolaires en langue anglaise constituent un obstacle pour les élèves qui peinent à comprendre les leçons. En conséquence, le taux de décrochage monte en flèche. Bien des jeunes Innus, mis à l'écart de leur propre culture et sans attaches avec la société blanche, ne sont pas prêts à intégrer le marché du travail ou à revenir au mode de vie traditionnelle de leurs parents et de leurs grands-parents.

Les avancées tant militaires qu'industrielles réalisées au cours de la deuxième moitié du 20e siècle continuent de modifier les structures de la société innue et son territoire. L'aménagement du cours supérieur du fleuve Churchill rendu nécessaire par la construction d'une centrale hydroélectrique conduit à l'inondation d'une superficie de plus de 1300 km² dans la zone centrale du Labrador, c'est-à-dire la majorité du territoire de chasse, des aires de campement et des cimetières innus. Aucun document officiel n'indique de pourparlers entre le gouvernement et les Innus avant l'érection de ce barrage ni de proposition d'indemnisation après l'inondation de leur territoire.

Des Innus fabriquant des embarcations, vers 1920
Des Innus fabriquant des embarcations, vers 1920
Les avancées tant militaires qu'industrielles réalisées au 20e siècle transformeront la société innue et son territoire.
Photo de Fred C. Sears. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-148593).

Pendant les années 1980 et 1990, les Innus protestent contre des vols à basse altitude des pilotes de l'armée de l'air à l'entraînement au-dessus de leur territoire de chasse. En 1994, la découverte de riches gisements de nickel à Voisey's Bay met une fois de plus en danger leur territoire et leurs ressources. Parmi la population innue, certains rejettent l'exploitation minière tandis que d'autres exigent un pourcentage des recettes. De nos jours, la minière canadienne Inco Ltd. verse à la Innu Nation des redevances sur le nickel extrait de la mine de Voisey's Bay.

Tous ces bouleversements ont abouti à l'abandon des activités traditionnelles et à un éloignement de leur territoire. Pour plusieurs, c'est la perte d'une autonomie et d'une forme d'autodétermination qui autrefois caractérisaient leur vie. L'abus d'alcool et de drogue est un problème récurrent. Dans les années 1990, le taux de suicide à Davis Inlet est parmi les plus importants au monde. De fait, la collectivité fait les manchettes internationales en 1993 à la suite d'un reportage sur six enfants innus qui inhalaient des vapeurs d'essence pour se droguer.

Cette année-là, les habitants de Davis Inlet votent en faveur d'une relocalisation. Le gouvernement fédéral accepte plus tard d'en défrayer les coûts. Entre décembre 2002 et juillet 2003, environ 680 personnes quittent Davis Inlet et emménagent dans la nouvelle collectivité de Natuashish, située à 15 km à l'ouest de Davis Inlet et à 295 km au nord de Happy Valley-Goose Bay. En février 2008, les citoyens de Natuashish votent aussi l'interdiction d'alcool dans la réserve et rendent donc illégal la possession, la vente ou l'achat d'alcool.

La Innu Nation

Les Innus du Labrador mettent sur pied en 1976 la Naskapi Montagnais Innu Association (NMIA), rebaptisé la Innu Nation en 1990, dont le mandat consiste à défendre leurs droits, leurs ressources et leur culture. L'organisme dépose une revendication territoriale auprès du fédéral en 1977. Les négociations se poursuivent. La Innu Nation attend une indemnisation pour les terrains de chasse, les cimetières et les ressources submergés par la construction de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls. Il négocie aussi avec la province et la société Newfoundland and Labrador Hydro une participation en capital dans l'aménagement du cours inférieur du fleuve Churchill.

En 2002, grâce aux efforts déployés par la Innu Nation, le gouvernement fédéral accorde le statut d'Indien inscrit aux Innus du Labrador. Ils ont ainsi droit aux différents programmes et services offerts aux Premières Nations du Canada. En 2003 et en 2006 respectivement, le fédéral déclare terres de réserve les collectivités de Natuashish et de Sheshatshiu. En 2008, la Innu Nation compte 2200 membres innus au Labrador.

English version