Les Paléoesquimaux

La désignation Paléoesquimau (paléo signifiant ancien) s'applique aux peuples de l'Arctique précédant les Autochtones de la culture de Thulé. Ces derniers sont les ancêtres des Inuit qui vivent actuellement dans le Grand Nord canadien. Les Paléoesquimaux sont peut-être de lointains parents de peuples habitant dans l'Arctique d'aujourd'hui, mais ils n'en sont pas les ancêtres directs.

La culture paléoesquimau culture semble originaire de l'Alaska et remonte à un peu plus de 4000 ans. Les Paléoesquimaux parvenus jusqu'à l'Extrême-Arctique appartiennent probablement au groupe Independence I, du nom du fjord situé dans le nord-est du Groenland, lieu de découverte des premiers artefacts.

À Terre-Neuve-et-Labrador, de nombreux archéologues scindent en deux la préhistoire du Paléoesquimau : la période ancienne qui s'échelonne entre 3800 ans et 2200 ans avant le présent, et la période récente, qui s'amorce vers 2500 ans avant le présent et prend fin entre 1000 ans et 500 ans avant le présent. Même si la période ancienne chevauche quelque peu la période récente, les archéologues ne s'entendent pas sur l'influence exercée par la plus ancienne sur la plus récente.

Les Paléoesquimaux anciens

C'est dans la baie Saglek, au nord du Labrador, qu'ont été découverts les plus anciens artefacts de la province. Ils datent d'environ 3800 ans. L'archéologue terre-neuvien James Tuck soutient que la culture des Paléoesquimaux anciens, désignée telle au Labrador, possède beaucoup de points communs avec celle du groupe Independence I du Groenland et de l'Extrême-Arctique. Leurs outils très caractéristiques étaient fabriqués dans le chert, à l'éclat très brillant. (Les premiers archéologues les ont classés dans la tradition arctique des petits outils. Cette caractérisation n'est plus guère utilisée.)

Des artefacts du groupe Independence 1
Des artefacts du groupe Independence 1
Baie de Saglek, Labrador.
Avec la permission de James A. Tuck, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Parmi les outils qu'ils utilisent : des harpons parés de petites pointes en pierre, souvent dentelée (comme les couteaux de cuisine modernes), des petites pointes de projectiles qui sont probablement des pointes de flèches et des grattoirs servant à séparer la graisse de la peau, des petits couteaux en pierre et des burins.Ces derniers sont des outils fins en pierre permettant de faire des encoches dans des os et du bois. Les petites herminettes déterrées dans les sites archéologiques paléoesquimaux laissent supposer que ce peuple travaillait le bois. Les Paléoesquimaux anciens se servaient également de lamelles. On en retrouve abondamment dans les sites archéologiques paléoesquimaux. Les lamelles, petites et acérées, sont des éclats de pierre dont l'équivalent de nos jours serait un couteau de poche à lames jetables ou une lame de rasoir.

Des archéologues du Smithsonian Institution ont repéré différents types d'habitation des Paléoesquimaux anciens dans la région nord du Labrador. L'une de ces habitations est une maison de forme bilobée probablement autrefois recouverte de peaux tendues sur une charpente en bois ou en os de morse. Le sol de ces habitations était pavé de pierres plates. Elles comportaient aussi un foyer fait de dalles de pierre verticales enfoncées dans le sol et placé au milieu de la structure. L'entrée, clairement identifiée, était située au centre loin des aires de sommeil.

Ces archéologues ont constaté avec étonnement que les Paléoesquimaux anciens préféraient installer leur campement dans des endroits protégés et quelque peu éloignés du littoral nordique du Labrador, plutôt que dans les îles périphériques et sur les promontoires, là où les oiseaux et les mammifères marins étaient sans doute plus abondants. Il semble qu'ils chassaient le phoque dans les régions côtières au printemps et s'aventuraient dans les baies l'été pour pêcher et chasser le caribou et les oiseaux. À l'automne, en route vers le sud, ils auraient à l'évidence chassé le phoque du Groenland. L'hiver, ils choisissaient des endroits abrités du vent qui leur permettaient de chasser le caribou égaré et de vivre des stocks de nourritures accumulés.

Occupation de Terre-Neuve-et-Labrador par les Paléoesquimaux vers 3500 ans à 2000 ans avant le présent.
Occupation de Terre-Neuve-et-Labrador par les Paléoesquimaux vers 3500 ans à 2000 ans avant le présent.
Cette carte montre les principaux sites archéologiques actuels.
Adaptation de l'illustration par Tina Riche, 1997. Avec la permission de James. A. Tuck, « Prehistoric Archaeology in Atlantic Canada since 1975 » Canadian Journal of Archaeology no 6, 1982, p. 203.

Entre 3500 ans et 3000 ans avant le présent, la population de Paléoesquimaux anciens du Labrador connaît une décroissance démographique. La présence des Autochtones de l'Archaïque maritime n'y serait pas étrangère. Toutefois, à cette époque, des Paléoesquimaux habitent le nord du Labrador et l'île de Terre-Neuve. Les archéologues les appellent souvent Prédorsétiens. Pourtant, on retrouve peu de sites archéologiques de cette période au Labrador. Ils sont plus nombreux dans l'Arctique, particulièrement dans sa région orientale. La population de la période prédorsétienne de l'Arctique semble, du moins, plus importante que celle de leurs ancêtres d'Independence I. Peut-être pouvaient-ils compter sur des moyens techniques supérieurs tels qu'un harpon détachable, très redoutable et beaucoup plus efficace que les modèles plus primitifs. Cet instrument garantissait sans doute une meilleure chasse et un approvisionnement abondant, favorisant ainsi la croissance démographique.

Artefacts prédorsétiens
Artefacts prédorsétiens
Cow Head, Terre-Neuve.
Avec la permission de James A. Tuck, Memorial University of Newfoundland, St. John's, N.-T.-L.

Vers 3000 ans avant le présent, des vestiges semblent indiquer que Terre-Neuve et le Labrador ont vécu une explosion démographique ayant peut-être pour origine l'émergence d'une nouvelle culture baptisée culture Groswater, du nom de la baie Groswater située sur la côte centrale du Labrador. Plusieurs des outils dont se servaient les Autochtones de cette culture ressemblent suffisamment à ceux des Paléoesquimaux anciens pour que nous puissions rationnellement y voir une filiation. L'effondrement de la culture de l'Archaïque maritime sur l'île de Terre-Neuve vers 3200 ans avant le présent pourrait expliquer en partie le succès de la culture Groswater. Cependant, vers 2200 ans avant le présent, c'est au tour de cette culture à disparaître de l'île. Peu après, les Autochtones de la culture Groswater sont rapidement introuvables au Labrador. La débâcle de cette population n'est pas inattendue dans la préhistoire de Terre-Neuve. Comme dans tous les autres cas d'extinction, celle de la culture Groswater est peut-être survenue en raison d'une pénurie de gibier pendant plusieurs années, avec pour conséquence la disparition des bandes locales.

Artefacts de Groswater
Artefacts de Groswater
Red Bay, Labrador.

Avec la permission de James A. Tuck, Memorial University of Newfoundland, St. John's, N.-T.-L.

Les Paléoesquimaux récents

L'arrivée de Paléoesquimaux récents se produit quelques siècles plus tard. Les archéologues la nomment culture du Dorset. Elle voit le jour dans la région du bassin Foxe entre l'embouchure de la baie d'Hudson et l'île de Baffin. Cette culture est plus développée que celle des Paléoesquimaux anciens. Les Autochtones de la période du Dorset utilisent des lampes et des récipients en stéatite (Ils ne dépendent donc pas du bois. Ils font brûler de l'huile de phoque pour se chauffer et s'éclairer.) Des artefacts montrent qu'ils fabriquaient eux aussi des traîneaux, mais tirés peut-être par des hommes plutôt que par des chiens, ainsi que des embarcations ressemblant à des kayaks. Dans les sites archéologiques du Dorset, les archéologues ont découvert des couteaux servant à découper des blocs de neige. On peut donc penser qu'ils savaient construire des habitations en neige communément appelées igloos. Ces indices laissent croire que leurs activités étaient davantage tournées vers la mer que celles des Paléoesquimaux qui les ont précédés. Cette supposition repose sur les emplacements des sites archéologiques dont un grand nombre sont situés sur des promontoires et des îles périphériques.

Artefacts de la culture du Dorset à Terre-Neuve
Artefacts de la culture du Dorset à Terre-Neuve

Avec la permission de James A. Tuck, Memorial University of Newfoundland, St. John's, N.-T.-L.

De nombreux sites, comme celui de Port au Choix, mis à jour par l'archéologue Priscilla Renouf de Memorial University, sont vastes et dénotent une longue occupation. Elle y a déterré une quantité considérable d'os de phoque du Groenland. Cet endroit était donc un emplacement privilégié pour la chasse au phoque. Leurs techniques de chasse très avancées pourraient expliquer la présence de si nombreux sites sur l'île de Terre-Neuve. D'ailleurs, c'est probablement le peuple autochtone dont la démographie a été la plus importante sur cette île.

Il y a 1200 ans, la culture du Dorset disparaît de l'île, puis du nord du Labrador entre 1000 et 500 ans. De fait, les Autochtones de la culture du Dorset disparaissent complètement du Groenland et de l'Arctique canadien. Peut-être les Autochtones de la culture de Thulé, ancêtres des Inuits modernes, ont-ils déplacé la plupart d'entre eux (du moins ceux n'habitant pas sur l'île de Terre-Neuve). Peut-être aussi certains membres de la population du Dorset vivant dans l'Arctique se sont-ils assimilés au peuple de Thulé, quoique rien ne prouve vraiment cette hypothèse. D'autres facteurs entrent probablement en jeu dans la disparition de la culture du Dorset à Terre-Neuve, par exemple une rareté de phoques du Groenland et de caribous.

La culture du Dorset de la période récente se distingue par une multitude de sculptures. Bon nombre d'entre elles sont extraordinairement réalistes et d'une grande puissance d'évocation. Les artistes de la culture du Dorset de l'Arctique ont sculpté des ours, des poissons, des oiseaux, des visages dans l'ivoire, l'os et le bois. Leur style était tout à fait remarquable et inédit dans cette région. Au Labrador, le matériau privilégié était la stéatite. Le musée de Terre-Neuve possède une très belle collection de figures humaines, d'ours blancs et d'oiseaux, ainsi qu'un crâne humain, et bien d'autres objets inspirés des mondes naturel et surnaturel. D'après certains archéologues, cette prolifération artistique était peut-être une réponse à la menace que faisait peser sur eux l'invasion des Autochtones de Thulé, un moyen de se démarquer ou encore le signe d'un peuple cherchant, dans le monde des esprits, des solutions à des problèmes concrets.

Oursons en stéatite provenant du nord du Labrador
Oursons en stéatite provenant du nord du Labrador

Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

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