Organismes mi'kmaq et revendications territoriales

En 1984, les Mi'kmaq de Conne River sont les premiers Autochtones de Terre-Neuve et du Labrador inscrits au Registre des Indiens aux termes de la Loi sur les Indiens, et ce, à la suite de nombreuses années de négociation. Ils ont dès lors droit aux programmes et aux services prévus par la loi. Trois ans plus tard, Conne River (appelé aussi Miawpukek) reçoit le statut de réserve indienne. En 1987, environ 800 personnes habitaient dans la réserve et approximativement 1700 habitaient à l'extérieur. Les Mi'kmaq de Conne River ont également déposé plusieurs revendications territoriales auprès du gouvernement fédéral. Jusqu'à présent, ce dernier n'a accepté aucune d'entre elles pouvant mener à des négociations en bonne et due forme.

Si l'administration de la collectivité mi'kmaq de Conne River relève de l'organisme Miawpukek Mi'kamawey Mawi'omi, d'autres organismes représentent les Mi'kmaq de l'île depuis les années 1970, entre autres la Federation of Newfoundland Indians (FNI) et la Ktaqamkuk Mi'kmaq Alliance. En 2008, les Mi'kmaq appartenant à la Federation of Newfoundland Indians votent en faveur d'un accord de principe avec le gouvernement fédéral. L'accord finalisé stipule qu'ils se constituent en bande sans assise territoriale en vertu de la Loi sur les Indiens, mais obtiennent en échange le financement nécessaire à des services de santé et d'éducation et à des projets de développement économique.

À l'instar d'autres organismes autochtones de la province, les organismes mi'kmaq se consacrent à la protection des territoires et des ressources, ainsi qu'à l'avancement des institutions, de la culture et des coutumes autochtones. Les regroupements autochtones ne comptent que quelques décennies d'existence. Ils ont souvent été motivés par l'empiètement croissant que subit leur territoire et qui menace leurs traditions culturelles.

Le rôle du gouvernement

Jusqu'au milieu du 18e siècle, Terre-Neuve et le Labrador sont avant tout des stations de pêche saisonnière pour l'Empire britannique. La colonisation s'amorce véritablement avec l'arrivée en grand nombre d'Européens vers le milieu des années 1700. En fait, il faut attendre le début du 19e siècle pour l'instauration d'un régime colonial et l'implantation de communautés religieuses et d'autres institutions. Le Labrador et les régions isolées de l'île, y compris le territoire des Mi'kmaq, restent hors de portée du gouvernement jusqu'au début du 20e siècle. Seuls les groupes religieux, les marchands et les commerçants de fourrures y exerçaient une réelle autorité.

Portrait à l'huile d'une Mi'kmaq, vers 1840-1846
Portrait à l'huile d'une Mi'kmaq, vers 1840-1846
Les contacts entre les Mi'kmaq et le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador sont rares jusque vers la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle.
Artiste inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (C-116272).

Ainsi, jusque vers la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, les contacts entre le peuple mi'kmaq et le gouvernement sont presque inexistants. La colonisation britannique ne suit pas un schéma bien ordonné. Les Autochtones et les Européens ne signent donc aucun traité. Pourtant, sir William MacGregor, le gouverneur de la colonie, octroie des terres aux Mi'kmaq à la baie Saint-Georges, Conne River et peut-être dans la région de la vallée Codroy au début des années 1900. Les colons britanniques ou français font aussi le commerce des fourrures avec les Mi'kmaq, mais la croissance limitée de ces échanges commerciaux n'incite pas le gouvernement à l'adoption d'une loi particulière.

À l'entrée de Terre-Neuve et du Labrador dans la fédération canadienne en 1949, les Conditions de l'union ne mentionnent nullement les peuples autochtones. Aucune disposition ne protège leur territoire ou leur culture. La nouvelle province ne compte ni bandes ni réserves et, en conséquence, les peuples autochtones ne sont pas inscrits au Registre des Indiens. Leurs territoires, leurs ressources et leurs cultures se retrouvent donc à la merci d'intérêts externes sur lesquels ils n'ont aucun pouvoir. Entre autres exemples, l'inondation du territoire de chasse des Mi'kmaq et la destruction de l'habitat du caribou par le gouvernement Smallwood dans le but de construire une centrale hydroélectrique à Bay d'Espoir. À la même époque, le gouvernement présente un nouveau programme scolaire à l'échelle de la province qui participe au rejet par les élèves mi'kmaq de leur héritage et de leur langue. Les enseignants donnent leurs cours en anglais et les manuels scolaires accusent à tort les Mi'kmaq de la mort des Béothuks.

Les organismes mi'kmaq

Dans les années 1970, les Mi'kmaq s'associent à un mouvement national autochtone de revendication des droits des Premières Nations. Ce mouvement résulte en partie de la publication en 1969 d'un document fédéral intitulé La politique indienne du gouvernement du Canada (ou Livre blanc sur la politique indienne), qui suggère l'abrogation de la Loi sur les Indiens. Cette proposition suscite entre les peuples autochtones de nombreux débats et discussions, car elle sonne notamment le glas des traités et des droits territoriaux. Devant ce cri de protestation, le gouvernement finit par retirer le document en 1971.

Comme tous les autres peuples autochtones du Canada, ceux de la province espèrent mieux défendre leurs droits et faire connaître leurs besoins sur la place publique s'ils se regroupent. En 1972, les Mi'kmaq de Conne River élisent un chef et un conseil de bande. Un an plus tard, les Mi'kmaq, les Innus, les Inuit et les Kablunângajuit de la province forment la Native Association of Newfoundland and Labrador, un groupe de coordination. En 1976, les Innus s'en détachent pour constituer la Naskapi Montagnais Innu Association (de nos jours la Innu Nation). De leur côté, les Inuit et les Kablunângajuit la délaissent aussi pour fonder la Labrador Inuit Association.

Un Mi'kmaq non identifié, 1859
Un Mi'kmaq non identifié, 1859
Au début des années 1900, sir William MacGregor, le gouverneur de Terre-Neuve et du Labrador, octroie des terres aux Mi'kmaq à la baie Saint-Georges, Conne River et peut-être dans la région de la vallée Codroy.
Photographe inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-195497).

La Native Association of Newfoundland and Labrador est rebaptisée la Federation of Newfoundland Indians (FNI). Elle est la porte-parole d'environ 10 500 Mi'kmaq non-inscrits qui habitent les régions centrale et occidentale de l'île. En plus de proposer des services financés par le gouvernement à ses membres, elle s'efforce de les faire officiellement reconnaître comme Indiens inscrits au sens de la Loi sur les Indiens. En 2008, les membres du FNI ont approuvé un accord conclu avec le fédéral sur la création d'une bande sans assise territoriale. L'accord parachevé a officialisé le statut d'Indiens inscrits des Mi'kmaq de la Federation of Newfoundland Indians (FNI) et a permis aux membres de se constituer en bande (2011). L'accord ne permettait pas toutefois l'implantation de réserves.

Après des années de négociations avec le gouvernement provincial, les Mi'kmaq de Conne River (ou Miawpukek en langue mi'kmaq) se séparent de l'organisme Federation of Newfoundland Indians (FNI) en 1984 et s'inscrivent à titre de bande en vertu de la Loi sur les Indiens. Ottawa reconnaît également le nom de réserve indienne Samiajij Miawpukek en 1987. Les Mi'kmaq de Miawpukek ont désormais un droit de regard élargi sur l'exploitation de leur territoire et de leurs ressources, de même que sur leur développement économique, les services d'éducation et la culture. Autrefois collectivité défavorisée et minée par un fort taux de chômage, la plupart de ses habitants travaillent maintenant à temps plein ou à temps partiel. Le taux de croissance de cette collectivité est parmi l'un des plus élevés des collectivités de la province.

Un troisième organisme mi'kmaq, la Ktaqamkuk Mi'kmaq Alliance (KMA), voit le jour en 2002. Son objectif consiste à mettre en valeur les intérêts de ses membres sur les plans socio-économique, culturel et éducatif. Cet organisme s'oppose aux efforts de la Federation of Newfoundland Indians qui visent la formation d'une bande sans assise territoriale. Il préfère plutôt une entente favorisant la constitution de réserves. Selon la KMA, cette approche pourrait assurer que tous les Mi'kmac soient sur un même pied d'égalité avec ceux de la réserve Miawpukek de Conne River. Tous les habitants des réserves seraient alors admissibles aux programmes et services offerts par le fédéral.

Les revendications territoriales

Les revendications territoriales présentées aux gouvernements fédéral et provinciaux par les peuples autochtones cherchent à garantir leurs droits sur des terres et des ressources exploitées dans le passé, et qu'ils n'ont jamais cédées à qui que ce soit. La revendication territoriale est un document officiel. Les négociations qui s'y rattachent progressent lentement, et peuvent durer des années voire des décennies. Les groupes qui la soumettent doivent prouver l'appartenance de leurs ancêtres à une collectivité ayant occupé un territoire précis avant l'arrivée des colons européens. Ils doivent aussi confirmer qu'ils ne l'ont jamais légalement cédé aux colons ou aux gouvernements qui se sont succédé. Dès que la revendication territoriale est réglée, les groupes autochtones reçoivent notamment un titre foncier, des droits de pêche et de trappe et une indemnisation.

En 1980, le conseil de bande de Conne River présente au nom de 1400 Mi'kmaq une revendication territoriale sur des terres situées dans les régions centrale et méridionale de l'île de Terre-Neuve. En 1986, les gouvernements fédéral et provincial la rejettent, car il s'agit de prouver hors de tout doute raisonnable que les Mi'kmaq ont vécu sur ce territoire avant la venue des colons européens. Ottawa a prolongé toutefois le financement des recherches à ce sujet, permettant au conseil de bande de poursuivre ses efforts en vue d'une revendication territoriale.

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