Les Inuit du Sud (de NunatuKavut) : contexte historique

Les premiers Inuit du Sud (de la région du NunatuKavut au Labrador) étaient les enfants de femmes inuit et d'hommes qui sont venus d'Europe à compter des années 1760 pour s'installer sur la côte sud et au centre du Labrador afin de travailler dans le commerce de la pêche. Bien que d'importantes questions demeurent sans réponse, la recherche dévoile peu à peu l'histoire des Inuit du Sud.

Territoire des Inuit

Il ne fait maintenant aucun doute que les Inuit du Labrador étaient exposés à des marchandises européennes depuis des siècles. En fait, certains archéologues, dont Lisa Rankin (2009), croient que les premiers Inuit sont arrivés au Labrador au 15e siècle en passant par l'île de Baffin pour chercher des métaux européens qu'ils avaient déjà obtenus indirectement des Norses dans l'est de l'Arctique, ce qui entraîna la création du commerce des fanons. Pendant le Régime français, Joliette en 1694 et Fornel en 1743 ont décrit deux adaptations connexes effectuées par les Inuit : celle des chasseurs de baleine dans le Grand Nord, et celle des chasseurs cueilleurs et commerçants du Sud, qui étaient très mobiles (Kennedy). Des comptes rendus qui décrivent les commerçants inuit montrent qu'un protocole d'échange était déjà établi. Les hommes inuit, menés par des Inuit influents que les Euro Américains appelaient « capitaines », accueillaient les Européens en français et montraient par des gestes que les échanges devaient être effectués sur la rive; habituellement, les femmes et les enfants étaient gardés hors de la vue, en lieu sûr. Les Inuit du Sud échangeaient des fanons provenant du Nord avec une clientèle diverse et en constante évolution d'Euro-Américains; les échanges donnaient parfois lieu à des malentendus et à des actes de violence. De plus, les Inuit du Nord migraient parfois au sud de façon temporaire ou saisonnière.

Les chercheurs ne s'entendent pas sur la limite méridionale du territoire habité par des Inuit. Une édition de 1980 de la revue Études Inuit Studies porte sur cette question. Certains collaborateurs ont soutenu que le nord du Labrador était la véritable patrie des Inuit. Selon eux, aux 17e et 18e siècles, les Inuit migraient chaque année vers le sud pour faire des échanges avec les Européens et ne se sont établis dans le sud du Labrador qu'au 19e siècle. D'autres collaborateurs ont présenté des preuves archéologiques, cartographiques et documentaires qui montrent que des Inuit ont vécu pendant de longues périodes jusque sur la Côte-Nord du Québec.

Les recherches récentes confirment de plus en plus la deuxième hypothèse. L'archéologie, notamment les importantes fouilles menées par Marianne Stopp et ses collègues, a permis de découvrir de nombreux sites datant de la préhistoire et des débuts de l'histoire dans le sud du Labrador. Au moment où nous écrivons ces lignes (en 2012), beaucoup de ces sites sont en cours d'excavation. Rankin et ses étudiants ont excavé plusieurs huttes de terre inuit dans la région de la baie Sandwich, y compris une maison inuit commune similaire à celles qui ont été excavées dans le nord du Labrador. Bien que de nombreuses questions demeurent sans réponse, les archéologues constatent peu de différences entre les sites inuit du nord et du sud du Labrador (Stopp).

Relations entre les Inuit et les Britanniques

Les Inuit étaient habitués à faire affaire avec les Français, mais à la fin de la guerre de Sept Ans en 1763, la Nouvelle France, y compris le Labrador, est devenue un territoire britannique. Les « côtes du Labrador » sont alors passées sous l'autorité du gouverneur de Terre Neuve, qui était à l'époque le commodore Hugh Palliser, qui sera plus tard sir Hugh Palliser. La politique britannique consistait à développer une industrie britannique de pêche migratoire à la morue dans le sud du Labrador, que Palliser appelait la « nouvelle côte de pêche ». Toutefois, la mise en œuvre de ce plan a été compliquée par la présence des Inuit, dont le comportement était imprévisible et parfois hostile. À l'instar des Français avant eux, les Britanniques craignaient les Inuit.

Par conséquent, afin de faciliter le commerce britannique dans le sud du Labrador, le gouverneur Palliser a décidé de tenter de contenir les Inuit dans le Nord. Palliser a recommandé que les Inuit soient déplacés « le plus loin au nord possible » (Whiteley, p. 154) et soient confinés à ce qui était essentiellement des réserves relevant de missionnaires moraves qui souhaitaient christianiser les Inuit (Hiller, p. 83).

Initialement, du moins, la stratégie du confinement échoue. Pendant les dernières décennies du 18e siècle, les missionnaires moraves de Hopedale ont décrit que les Inuit continuaient à se rendre dans le Sud pour effectuer des échanges, puis à remonter vers le Nord, comme ils le faisaient depuis des générations (Rollmann, 2010). Toutefois, à la fin du 18e siècle, les Inuit ne chassaient plus la baleine dans le Nord et n'effectuaient plus de longs trajets le long de la côte. Les Inuit traitaient désormais avec les magasins moraves dans le Nord ou avec des commerçants européens dans le Sud.

Dans leurs chroniques, les Moraves décrivent en détail « leurs Inuit », mais nous en savons beaucoup moins sur les Inuit du Sud. Néanmoins, il est presque certain que dans le sud et le centre du Labrador, les Inuit vivaient près des postes des marchands européens où ils travaillaient et faisaient des échanges commerciaux. Le grand livre de la Slade Company à Battle Harbour (1798; 1810) contient des comptes « indiens » (inuit). Cette liste fait état de peaux de phoque et d'huile de phoque que les Inuit comme Oglucock, Smilmuck et Young Jack échangeaient contre des armes à feu, de la poudre, des peaux de cygne et d'autres produits. Les comptes rendus des missionnaires contiennent des preuves plus probantes. En 1824, lorsque le révérend Thomas Hickson (1825) s'est rendu à l'île Dumpling, il a noté que Philip Beard, le marchand de Dartmouth, employait 100 Européens et quelques Inuit locaux. À Cuff Harbour, dans la « grande baie des Esquimaux » (lac Melville), Hickson a mentionné qu'un marchand, M. Langley [Cox], et plusieurs colons européens vivaient « dans un état de concubinage avec des femmes autochtones depuis de nombreuses années ». [Traduction libre]

Les unions entre Européens et Inuit

Selon ce que nous savons, les premières unions entre des hommes européens et des femmes inuit ont eu lieu au cours des années 1770 et 1780. Une de ces premières unions a été celle de William Phippard, qui avait travaillé pour le marchand de Bristol, Jeremiah Coghlan, qui exploitait des postes entre les baies d'Alexis et de Porcupine. Phippard a quitté Coghlan vers 1776. George Cartwright a inscrit dans son journal que Phippard avait passé l'hiver 1777-1778 au lac Melville, où il avait rencontré et « épousé » une femme inuit nommée Sarah (Campbell; Young). Des unions semblables, qui tenaient essentiellement de la cohabitation, ont été formées, et bon nombre de ces unions seront plus tard officialisées par des membres du clergé de passage. Plus d'un siècle plus tard, en 1894, le révérend F. W. Colley a rencontré « Old Phippard » dans la baie Shoal. Le grand père de ce dernier, « [William] Phippard, avait vécu sur l'île de Wight, avait quitté la maison et était devenu le premier Anglais à s'établir au nord de Battle Harbour. Sa grand mère (la grand mère de Old Phippard) et sa mère étaient esquimaudes » [traduction libre] (Rollmann, 2008, p. 11). Bien que plus personne au Labrador ne porte le nom de famille Phippard, la généalogiste Patricia Way établit un lien entre les Phippard et certaines familles des Inuit du Sud comme les Reeves et les Blake.

En 1824, 326 personnes vivaient au lac Melville, dont 160 Inuit, 60 « demi Esquimaux », 90 colons européens et 16 colons canadiens (Hickson, p. 137). Plus au sud, l'évêque Edward Feild décrira 24 ans plus tard une mosaïque sociale similaire. Le long de la côte sud du Labrador, Feild a observé que les hommes étaient « huit ou neuf fois plus nombreux que les femmes ». Mme Saunders, l'épouse de l'agent de la compagnie C and E Hunt à St. Francis Harbour, était la seule femme anglaise entre Battle Harbour et la baie Sandwich. Feild précise que « presque tous les habitants sont des Amérindiens [c'est à dire des Esquimaux ou des Inuit], des Montagnais [Innus] ou des Métis, et que les enfants sont eux aussi métissés. » Il n'y avait donc pas de régions autochtones et de régions non autochtones, contrairement à ce que le gouvernement provincial tentera de soutenir un siècle plus tard. Feild a écrit que « entre les îles Seal et le premier établissement (Hopedale) occupé par les Moraves, se trouve une ligne côtière de 200 à 300 milles, qui est entrecoupée par de vastes baies profondes (la baie Sandwich et la baie des Esquimaux) et qui est habitée presque exclusivement par des Autochtones » [traduction] (Feild, cité dans Rollmann, 2008, p. 10).

Le mode de vie des Inuit du Sud

Les Inuit du Sud (les enfants de pères européens et de mères inuit), comme les Phippard, ont développé un mode de vie axé sur les saisons. Du printemps à l'automne, les Inuit du Sud chassaient les oiseaux aquatiques et le phoque en migration et pêchaient le saumon et la morue à partir de leurs demeures établies sur des caps et des îles situées le long de la côte extérieure du Labrador. À l'exception des familles qui vivaient dans les établissements « côtiers » permanents comme Black Tickle et Battle Harbour, la plupart des familles passaient l'hiver dans les baies et les anses boisées, où elles s'adonnaient au trappage, à la chasse et à la récolte de produits de la forêt. Les habitudes variaient considérablement d'une localité à l'autre, mais en général, l'économie des Inuit du Sud était entièrement locale et saisonnière. La vie sociale était également dictée par les saisons.

Le modèle d'habitat hivernal axé autour de familles dispersées réduisait les contacts entre les familles. Bien qu'il puisse s'agir d'un cas extrême, Lydia Campbell, qui habitait à Mulligan (au lac Melville), écrit en 1894 que son voisin le plus près habitait à 70 milles de chez elle. Toutefois, pendant l'été, les contacts avec les autres familles des Inuit du Sud et avec des pêcheurs terre neuviens de passage étaient courants dans les plus grands postes côtiers où les Inuit du Sud se réunissaient pour pêcher. Au cours du 19e siècle et du début du 20e siècle, des femmes inuit du Sud ont épousé des Terre-Neuviens, ce qui, avec la maladie, a contribué à la dilution du sang inuit. Malgré tout, en juillet 1860, le géologue de la Caroline du Sud, Oscar Leiber, a décrit ce qu'il a appelé l'établissement « esquimaux » de l'île Spotted. Il y a rencontré une femme inuit qui parlait inuktitut et anglais avec un « accent irlandais » et a rencontré beaucoup d'autres « Métis descendants d'un pêcheur de Terre Neuve qui a épousé une femme esquimaude. » En 1893, M. Elliot Curwen (doctorat), a rencontré « Mme Keith, une Esquimaude, la “femme sage” [chamane ou guérisseuse] des environs » à Domino, et de l'autre côté du passage, sur l'île Spotted, « un certain nombre d'Esquimaux métis qui vivent sur l'île toute l'année » [traduction libre] (Curwen, p. 59-60). Curwen a également rencontré Sam Hallowell, fils d'un Anglais, et son « épouse esquimaude », dont les Inuit du Sud portent aujourd'hui le nom de Holwell et habitent à Cartwright.

Au cours des premières décennies du 20e siècle, les trappeurs inuit ont exploré les terres intérieures pour trapper le long de la Grande Rivière (le fleuve Churchill actuel) et le long de plusieurs rivières se jetant dans la baie Sandwich. Les hommes s'éloignaient à de nombreux kilomètres de leurs familles pour trapper et laissaient à leurs épouses, comme la diariste Elizabeth Goudie, la responsabilité de subvenir aux besoins du ménage et des enfants. L'effondrement des marchés boursiers en 1929 entraîne la chute des prix du poisson et des fourrures, ce qui affaiblit cette économie de subsistance modeste, mais importante. La construction d'une base aérienne à Goose Bay en 1941 et les installations radar le long de la côte permettent à certains Inuit du Sud d'occuper leur premier emploi rémunéré. Au cours des années 1960, la nouvelle province de Terre Neuve ferme de nombreux petits établissements pour regrouper les Inuit du Sud dans des centres comme celui de Cartwright; les administrateurs estimaient que les perspectives d'avenir y étaient meilleures. Ces changements et d'autres comme la mauvaise gestion par Ottawa et la fermeture de la pêche à la morue et de la pêche au saumon ont mis à l'épreuve le lien des Inuit du Sud avec la terre et la mer, sans toutefois le rompre.

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