L'histoire des Inuit après les contacts avec les Européens

Les premiers contacts entre les Inuit du Labrador et les Européens ne sont pas documentés dans les annales. Les explorateurs, les pêcheurs et les baleiniers ayant visité le Labrador dans la première moitié du 16e siècle n'ont fait aucune mention de personnes pouvant être identifiées à coup sûr comme des Inuit. Cependant, au tournant du siècle, il est fait mention de rencontres entre des Inuit et des Européens qui, pour la plupart, étaient d'une nature hostile. Cette période a été marquée de faits violents comme le massacre de deux membres de l'expédition de l'explorateur John Knight, tués par des Inuit lorsqu'ils ont mis pied à terre sur la côte centrale du Labrador en 1606.

Premiers contacts avec les Européens

La plupart des altercations sanglantes de cette période ont eu lieu dans la partie sud du Labrador, où étaient concentrés les postes français et espagnols de pêche saisonnière. Comme ces lieux étaient abandonnés durant la longue saison d'hiver, les Inuit s'y sont rendus et ont récupéré aisément des embarcations et de l'équipement, y compris des clous de fer, après avoir mis le feu aux postes de pêche. Lorsque les pêcheurs européens sont revenus au Labrador l'été suivant, ils ont pris leur revanche en attaquant tous les Inuit qui s'approchaient d'eux.

En dépit des actes de violence et des représailles qui ont marqué les premiers contacts entre les Inuit du Labrador et les Européens, les écrits indiquent qu'il y a eu certains rapports de commerce pacifiques vers la fin du 17e siècle. Par exemple, lorsque les explorateurs Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseilliers se sont rendus de la Nouvelle-France à la baie d'Hudson en 1683, ils ont acheté des peaux de phoque des Inuit qu'ils ont rencontrés dans la région de Nain-Okak. De même, lorsque Louis Jolliet a exploré la côte du Labrador jusqu'à Zoar au nord, près de Nain, en 1964, il a acheté des phoques et de l'huile animale de plusieurs Inuit. À cette époque, les Inuit possédaient un grand nombre d'articles de fabrication européenne, dont des embarcations en bois avec des voiles et des grappins, des tonneaux, des coffres de marin, des vis, des clous, des couteaux et divers vêtements de fabrication européenne. Certains de ces biens européens étaient d'origine espagnole, mais Jolliet ignorait s'ils étaient le fruit du commerce ou du pillage. Il pensait que les Inuit n'avaient pas encore d'échanges commerciaux réguliers, mais qu'ils faisaient uniquement du commerce avec les bateaux de pêche lorsque l'occasion se présentait.

Les relations commerciales entre les Inuit du Labrador et les baleiniers néerlandais, qui fréquentaient les eaux du Groenland durant les mois d'été, peuvent avoir commencé à peu près à cette date. En 1773, lorsque de tels contacts étaient une tradition établie, les baleiniers qui voulaient tirer profit d'échanges avec le Labrador étaient encouragés de terminer leur voyage au Groenland avant de traverser au Labrador pour y faire des échanges avec les Inuit de cette côte. Si les Inuit n'y étaient pas encore arrivés, les capitaines devaient les attendre « parce que l'expérience leur avait enseigné que les Inuit reviennent toujours du nord vers le sud à un moment donné ».

Au début du 18e siècle, l'activité française s'est accrue dans la région sud-est du Labrador en raison de la croissance rapide de la pêche côtière (sédentaire) au phoque et à la morue. La pêche au phoque était faite par des concessionnaires canadiens qui s'approvisionnaient auprès de marchands du Québec et qui gardaient leurs postes ouverts toute l'année. La pêche à la morue était effectuée par des navires qui arrivaient de France chaque année en juin et qui retournaient outre-mer en septembre. Même si les hostilités ont été fréquentes pendant plusieurs décennies, les pêcheurs de phoque et de morue se livraient de façon sporadique au commerce avec des groupes d'Inuit qui, pendant l'été, faisaient des excursions dans le détroit de Belle Isle et jusque dans la région nord de Terre-Neuve, où ils s'aventuraient aussi loin au sud qu'à Port au Choix.

D'après les annales, la plupart des Inuit qui fréquentaient les postes et les ports de pêche de la région sud du Labrador durant cette période étaient des visiteurs d'été qui retournaient à leurs quartiers d'hiver, dans le nord. Ainsi, en 1705, Augustin le Gardeur de Courtemanche, qui avait obtenu une concession et qui détenait le titre de commandant du Labrador, a écrit dans son rapport sur la « côte inuit » que les Inuit demeuraient à Kesesakiou (à l'inlet Hamilton). Le même rapport suggère qu'un certain nombre d'Inuit avaient, quelques années plus tôt, passé l'hiver dans la baie d'Haha sur le littoral nord du golfe du Saint-Laurent, ce qui laisse supposer que leur habitation d'hiver temporaire aurait pu se trouver parfois à l'ouest du détroit de Belle Isle.

Les relations commerciales sont devenues encore plus régulières après l'année 1743, lorsque Louis Fornel a exploré l'inlet Hamilton et qu'il y a laissé deux hommes pour établir un poste de traite à North West River. À cette époque, les fanons, ces lames cornées qui garnissent la mâchoire des baleines boréales [aussi appelées baleine du Groenland] et qu'on pouvait se procurer auprès des Inuit, étaient utilisés en Europe dans la fabrication de brosses et de corsets et se vendaient à prix élevé sur le marché mondial. Les stocks de fanons provenaient pour la plupart de la région nord du Labrador et ils étaient transportés jusqu'à l'inlet Hamilton par des intermédiaires inuit, qui avaient déjà créé un patois de commerce pour traiter avec les pêcheurs français dans la région du sud du Labrador. L'une des phrases entendues le plus souvent était « troquo balena » du français « troquons des fanons de baleine ». Bien qu'une communication rudimentaire fût désormais possible, les Français restaient prudents. On disait qu'ils faisaient des échanges commerciaux avec une garde de plusieurs hommes armés, et dès que ces séances étaient terminées, les Français prenaient congé des Inuit.

Relations commerciales perturbées

Les relations commerciales entre Européens et Inuit ont été temporairement perturbés en 1793 lorsque le Labrador est devenu une possession britannique et que les Français n'ont plus été autorisés sur la côte. Cette perturbation était due en partie à l'inexpérience des Britanniques et des Américains qui avaient tenté de s'emparer du lucratif commerce des fanons. Le gouverneur de Terre-Neuve, sir Hugh Palliser, a tenté en 1765 de mettre fin aux hostilités en négociant un accord de paix avec certains des Inuit. Même si la trêve de Palliser n'a pas permis d'éliminer immédiatement les malentendus et les altercations sanglantes, elle a pavé la voie à l'expansion de l'activité européenne et à la croissance des îlots de peuplement le long de la côte du Labrador. Les colons européens étaient concentrés surtout dans la région sud de l'inlet Hamilton, où ils étaient visités fréquemment par des Inuit en déplacement, dont les habitations permanentes se trouvaient plus au nord. À cette période, la population inuit de la côte en entier était de quelque 1 500 personnes.

Poste missionnaire de Hebron (Labrador), vers 1860
Poste missionnaire de Hebron (Labrador), vers 1860

Avec la permission de Hans Rollmann. Tiré d'une reproduction lithographique de Leopold Kraatz (Berlin). Dessin original de l'évêque morave Levin Theodor Reichel (1812-1878).

L'église morave

Au début de la période britannique, les changements les plus importants qu'a connus la culture inuit sont attribuables à la présence des missionnaires moraves, qui étaient les premiers non-Autochtones à s'installer au nord de l'inlet Hamilton lorsqu'ils ont établi un poste à Nain, en 1771. Lorsqu'ils sont arrivés au Labrador, les Moraves – membres d'une secte protestante créée en Europe en 1457 –, avaient déjà été actifs dans d'autres pays, notamment au Groenland, où ils avaient appris la langue inuit. Leurs opérations au Labrador ont pris de l'ampleur avec la fondation d'Okak (1776), de Hopedale (1782), de Hebron (1830), de Zoar (1865), de Ramah (1871), de Makkovik (1895) et de Killinek (1904). Même si la principale préoccupation des premiers Moraves était de propager le christianisme, ils étaient engagés dans divers aspects de la vie inuit autres que la religion. Pour les Inuit, qui dépendaient désormais d'une grande variété de biens européens, le poste de commerce des Moraves était un aspect extrêmement important de la mission. En maintenant des échanges commerciaux réguliers avec les Inuit, les Moraves espéraient que leur mission devienne le plus possible autosuffisante, tout en permettant aux Inuit de réduire le nombre de voyages nécessaires pour se rendre chez des commerçants européens dans la région sud du Labrador.

Bâtiment de la mission morave à un poste abandonné de Hebron
Bâtiment de la mission morave à un poste abandonné de Hebron
Reproduit avec l'autorisation de James Hiller, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Photographie © 1961.

L'isolement relatif des postes de mission moraves a pris fin dans les années 1860, lorsque les pêcheurs de morue de Terre-Neuve sont devenus très nombreux à fréquenter la côte nord du Labrador. Un écrivain ayant visité le Labrador deux fois au 19e siècle estimait que de 1 000 à 1 200 bateaux transportant quelque 30 000 pêcheurs arrivaient sur la côte du Labrador du mois de juin jusqu'au début du mois d'octobre. Ces « pêcheurs itinérants » [qui vivaient et pêchaient à bord des bateaux] faisaient fréquemment des échanges avec les Inuit à leurs camps de pêche d'été, loin de la mission, et les Inuit se procuraient de nouveaux biens, de l'alcool et des aliments européens. Par ailleurs, ils contractaient de nouvelles maladies qui, combinées à un changement de régime alimentaire, ont contribué au déclin de la population inuit.

Des Inuit en face de leur tente en peau (Tupiq), à Okak au Labrador, 1896
Des Inuit en face de leur tente en peau (Tupiq), à Okak au Labrador, 1896
Avec la permission du Centre des études terre-neuviennes (Collection Hettasch), bibliothèque de la Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les Moraves ont cessé la traite avec les Inuit en 1926 lorsque, après plusieurs années de difficultés financières, la mission a transféré toutes ses opérations commerciales à la Compagnie de la Baie d'Hudson (HBC). Bien que la HBC ait été présente sur la côte du Labrador depuis le milieu du 19e siècle, c'est avec les colons et les Innus qu'elle avait fait la plupart de ses premiers échanges commerciaux. La concurrence directe avec les Moraves s'est accrue lorsque la compagnie a ouvert des postes nordiques à Saglek (Fort Lamson) et à Nachvak en 1867 et en 1868. Cependant, ce n'est qu'en 1926, lorsque les Moraves ont arrêté leurs opérations commerciales, que la HBC a exercé un contrôle important sur l'économie inuit.

Construction d'un igloo (Illuvigaq) au Labrador, 1874
Construction d'un igloo (Illuvigaq) au Labrador, 1874
Avec la permission de Hans Rollmann. Tiré d'une reproduction lithographique de Leopold Kraatz, Berlin. Dessin de l'inspecteur de commerce Carl Linder (1833-1898).

Le gouvernement de Terre-Neuve et les Rangers

Peu après que la HBC a commencé à exploiter son nouveau monopole commercial, le gouvernement de Terre-Neuve a commencé également à assumer des fonctions exercées antérieurement par les Moraves. En 1934, la Commission du gouvernement a établi une force policière rurale, qui a affecté des membres des Rangers de Terre-Neuve dans plusieurs collectivités du Labrador. Comme il y avait très peu de criminalité dans ces collectivités, les Rangers avaient entre autres pour fonction de fournir une aide gouvernementale durant les années de la Grande Dépression.

Terre-Neuve a commencé à jouer un rôle plus actif dans la vie des Inuit du Labrador en 1942, lorsque la HBC, en proie à des difficultés dues à l'augmentation de ses dépenses et à des déficits commerciaux, a fermé tous ses établissements dans le nord du Labrador. Le ministère des Ressources naturelles de Terre-Neuve a pris la relève, si bien que c'est la North Labrador Trading Operations, une organisation nouvellement formée, qui dorénavant devait assumer l'entière responsabilité des échanges commerciaux. En même temps, la société de chemin de fer Newfoundland Railway a commencé à exploiter un navire de ravitaillement régulier sur la côte du Labrador, un service fourni antérieurement par la HBC.

Lorsque Terre-Neuve a adhéré à la Confédération du Canada en 1949, bon nombre des services que la mission morave avait fournis aux Inuit ont été pris en charge par des organismes gouvernementaux provinciaux et fédéraux, notamment les programmes d'enseignement qui avaient été offerts dans les écoles des missions depuis la fin du 18e siècle. L'une des dernières réalisations des écoles moraves fut l'introduction et la promotion de l'alphabétisation dans la langue des Inuit; on utilisait un code orthographique basé sur les caractères romains et mis au point par les missionnaires. Lorsque la responsabilité de l'éducation a été transférée au gouvernement provincial, l'anglais est devenu la langue d'instruction. Plus récemment, les efforts pour inclure la langue inuit, l'Inuktitut, dans le programme de plusieurs collectivités du Labrador ont porté leurs fruits.

Le gouvernement de Terre-Neuve a également pris en charge les soins de santé des Inuit. Les Moraves avaient assuré une aide médicale depuis leur première arrivée au Labrador et ils avaient fondé dans la partie nord du Labrador le premier hôpital, construit à Okak en 1903. À partir du début du 20e siècle, les Moraves étaient aidés par le personnel médical employé par la mission Grenfell (qui est devenue ultérieurement l'International Grenfell Association), et par des médecins à l'emploi du gouvernement, qui voyageaient l'été en bateau-courrier. Au cours des dernières décennies, des cliniques et des hôpitaux pavillons ont été créés dans plusieurs collectivités du Labrador et un médecin résident a été affecté à Nain, qui, depuis la relocalisation du peuple de Hebron et de Nutak à la fin des années 1950, demeure la collectivité la plus nordique de la côte.

Nain dans les années 1960
Nain dans les années 1960
Avec la permission de James Hiller, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Photographie © 1961.

Protection des traditions inuit

L'intensité des relations avec le monde extérieur découlant des récents développements des technologies de communication a créé de nouvelles pressions sur les traditions culturelles des Inuit. Ces dernières années, les Inuit du Labrador ont pris plusieurs mesures importantes pour protéger leur langue et leur culture. L'une de ces mesures est la création, en 1973, de la Labrador Inuit Association, qui s'emploie à défendre encore davantage les intérêts de tous les Inuit qui résident dans la province, dans des domaines tels que la chasse et l'éducation, et qui, en 1999, a négocié un accord avec la Couronne concernant des revendications territoriales.

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