L'histoire des Innus

Arrivée

Les Innus sont l'une des premières nations nord-américaines à avoir rencontré des explorateurs européens : d'abord les Scandinaves, puis les Portugais, les Basques, les Français, les Néerlandais, et enfin les Britanniques. Malgré cela, ils sont beaucoup moins connus que d'autres groupes d'Autochtones situés plus à l'ouest, et ce, même si ces populations ont rencontré des explorateurs beaucoup plus tard. Cette situation est en partie due au fait que les Innus passaient une grande partie de l'année loin à l'intérieur des terres du Québec-Labrador, où ils vivaient en chasseurs nomades jusqu'à récemment, effectuant seulement de courtes visites aux postes de traite établis sur la côte. Ils constituent aussi un des derniers groupes autochtones canadiens à s'être installés dans des villages permanents, ce qui remonte aux années 1960. En raison de la relative ignorance des explorateurs, traiteurs et colons concernant les Innus, de nombreuses légendes ont été inventées à leur sujet.

Un wigwam innu situé probablement à Sheshatshiu, au Labrador, entre 1908 et 1932
Un wigwam innu situé probablement à Sheshatshiu, au Labrador, entre 1908 et 1932

Tiré de Naskapi, de Frank G. Speck, Norman, Oklahoma : University of Oklahoma Press, 1935, p. 32.

Une de ces légendes veut que les Innus soient arrivés récemment au Labrador et dans l'est du Québec. Aujourd'hui, des éléments de preuve historiques et archéologiques nous permettent d'affirmer que cela est une erreur. Au début du 18e siècle, le père Laure, un prêtre jésuite, a dressé une carte, et dans les années 1930, l'anthropologue Frank Speck a interprété ce document comme une preuve de l'absence d'Innus à l'intérieur des terres du Labrador au 18e siècle. Speck a établi un lien entre la carte et le fait que les Iroquois et les Innus vivant en amont du fleuve Saint-Laurent étaient en conflit pendant les 17e et 18e siècles. Il a donc conclu que les attaques des Iroquois avaient conduit au déplacement des Innus vers l'est du Labrador au début des années 1700. Ultérieurement, l'interprétation correcte de la carte de Laure a confirmé la présence des Innus à l'intérieur des terres du Labrador.

Contact avec les Européens

Avant le 20e siècle, les Innus demeuraient à l'intérieur des terres du Québec Labrador pendant l'hiver et se rendaient sur la côte en été, où ils vivaient de la pêche, et de la chasse au phoque et aux oiseaux marins. Les Innus ont visité les postes des pêcheurs basques dans le sud du Labrador au cours du 16e et au début du 17e siècle. Ils ont accru la fréquence de ces voyages estivaux après que les commerçants et les missionnaires français, puis ceux de Bretagne et de Moravie, les ont convaincus de venir visiter leurs sites sur la côte aux 17e et 18e siècles respectivement. Les premiers postes ont été établis sur la rive nord du Saint-Laurent, puis au lac Melville, dans la baie d'Ungava et sur la côte atlantique du Labrador. Enfin, un grand nombre de ces points de rencontre côtiers sont devenus des villages innus au 20e siècle.

Un chasseur innu du Labrador vêtu d'un manteau en peau de caribou, vers 1910
Un chasseur innu du Labrador vêtu d'un manteau en peau de caribou, vers 1910

Tiré de In Northern Labrador, de William B. Cabot, London : J. Murray, frontispiece, 1912.

Dans un premier temps, le contact avec les commerçants et les missionnaires n'a pas influencé énormément le mode de vie nomade des Innus. Au 19e siècle, des commerçants ont tenté de persuader les Innus du Nord de remplacer la chasse au caribou par le trappage, les obligeant ainsi à dépendre d'eux pour leur nourriture et leur approvisionnement matériel. Ceux qui ont choisi cette option n'ont pu éviter le désastre. En effet, ils se sont retrouvés sans nourriture ni munitions, et beaucoup sont morts de faim à cause de cela. La plupart des Innus ont toutefois fait du trappage une activité accessoire à la chasse.

L'utilisation des armes à feu a rendu les grands groupes coopératifs de chasseurs de caribou moins nécessaires. Ces chasseurs avaient construit des clôtures de rabattage et des enclos où ils attiraient le gibier pour le tuer avec des lances. Étant donné que les missionnaires encourageaient les Innus à les visiter régulièrement pour recevoir les sacrements, certains devaient couvrir de grandes distances chaque été, car il arrivait souvent que les missionnaires ne soient pas en mesure de se rendre dans chacun des villages. Cependant, ce n'est qu'au 20e siècle que le mode de vie des Innus a été le plus gravement perturbé.

Histoire récente

Avant la Première Guerre mondiale, les prix de la fourrure augmentèrent, et de nouveaux colons (dans ce cas, les personnes descendant à la fois des Européens et des Inuit qui vivaient autrefois sur la côte, connus auparavant sous le nom d'« Inuit-Métis » et aujourd'hui sous le nom d'« Inuit du Sud » ), sont allés s'établir dans la région en amont du lac Melville, et ont commencé à pratiquer le trappage le long des principales vallées fluviales. Possédant chacun leur territoire de trappage, ces colons ont adopté des lois relatives au droit de propriété, constituant ainsi un système d'utilisation des terres qui venait en conflit avec celui des Innus. En peu de temps, ceux-ci avaient pris possession de plusieurs territoires où les Innus chassaient et pratiquaient le trappage. Dans les années 1900, des projets forestiers ont aussi vu le jour dans certaines parties de la région habitée par les Innus. À mesure que les populations animales diminuaient, notamment le caribou, les Innus, alors affamés, apparaissaient sur la côte et cherchaient à obtenir de l'aide auprès des missionnaires, des commerçants, des postes de soins et du gouvernement.

Des chasseurs innus qui attendent le caribou au lac Mistinipi au Labrador, vers 1910
Des chasseurs innus qui attendent le caribou au lac Mistinipi au Labrador, vers 1910

Tiré de In Northern Labrador, de William B. Cabot, London : J. Murray, 1912, p. 248.

Vers les années 1950, la dépendance croissante des Innus à l'égard des services gouvernementaux et de l'aide sociale les a contraints de demeurer à proximité des villages, ce qui a entraîné des résultats malheureux pour leur nation et leur culture. Dans les années 1960, des écoles ont été ouvertes; celles-ci ont par conséquent séparé les enfants de leurs parents, les empêchant ainsi d'expérimenter la chasse comme mode de vie, ce qui a menacé davantage la transmission de la langue et de la culture innues aux prochaines générations. La nécessité d'envoyer les enfants à l'école a obligé la plupart des parents à rester à proximité des établissements; ce mode de vie supposait toutefois que les adultes ne gagnaient pas leur vie en tant que chasseurs ou trappeurs.

Désormais, ces changements ont mis partiellement fin aux activités de chasse des Innus qui, autrefois actifs, fiers et indépendants, leur accordaient la plus grande valeur. Ils vivaient dans des taudis et inspiraient le mépris, car on disait d'eux qu'ils étaient totalement dépendants du gouvernement. Le manque d'estime de soi et l'inactivité forcée ont entraîné des épisodes d'alcoolisme, de violence et de négligence à l'égard des enfants : des conséquences qui étaient pour le moins prévisibles puisqu'ils s'apparentaient à ce qui s'était passé chez les Amérindiens ailleurs au Canada à la suite de leur isolement dans des réserves.

Les Innus sont d'avis que le fait de les avoir obligés à s'établir dans des villages constitue une tentative concertée de les séparer de leurs terres, qui ont été transformées à des fins industrielles pendant cette période. Dans les années 1950, on a ouvert des mines dans l'ouest du Labrador. Des lois restrictives concernant la chasse ont été adoptées, ce qui leur a semblé plus avantageux pour les nouveaux arrivants qui pratiquent la chasse sportive que pour eux-mêmes. En 1969, lors de l'inondation soudaine de nombreux territoires de chasse traditionnels des Innus en raison de la construction du barrage de Churchill Falls, de nombreux chasseurs ont perdu leurs équipements de chasse et de trappage. Dans les années 1980, la fréquence accrue des entraînements militaires aériens à basse altitude, lesquels sont par ailleurs assourdissants, a fait monter la tension entre les Innus, leurs voisins non-Innus et le gouvernement.

Organisation politique

Au début des années 1970, les problèmes sociaux liés à la sédentarisation ont mené à la formation d'organisations politiques innues : le Conseil Attikamek Montagnais au Québec, et la Naskapi Montagnais Innu Association au Labrador (qui deviendra la Innu Nation par la suite). Ces organisations ont été constituées pour améliorer les conditions de vie dans les villages et permettre à certaines personnes de s'adonner de nouveau à la chasse et au trappage. Les Innus n'ont jamais complètement abandonné ces activités, et aujourd'hui, beaucoup quittent leur village pour de longues périodes pendant l'hiver, et utilisent des équipements modernes, comme l'avion, la motoneige, et les radios bidirectionnelles. Des programmes de logement améliorés sont offerts. Et les programmes destinés au traitement d'abus d'alcool connaissent du succès. Les Innus ont aussi commencé à s'occuper eux-mêmes des activités de leurs écoles.

Les associations politiques représentent leurs membres et se prononcent sur les enjeux locaux, nationaux, et parfois même internationaux. Même si elles sont en partie financées par le fédéral, ces associations travaillent aussi, en collaboration avec le gouvernement provincial, à l'élaboration de politiques en matière de logement, de santé et d'éducation. Ailleurs au Canada, c'est le gouvernement fédéral qui s'occupe des ces aspects de la vie amérindienne. Toutefois, le gouvernement fédéral a décliné sa compétence à l'égard des questions relatives aux Autochtones de la province lorsque Terre-Neuve s'est jointe à la Confédération en 1949. Ainsi, les Innus du Labrador n'ont pas eu accès à autant de programmes fédéraux que les autres nations autochtones du Canada.

La Nation Innue a beaucoup à faire, et ce sont ses leaders qui sont responsables en grande partie d'une feuille de route particulièrement chargée. Ils participent aux négociations sur les revendications territoriales et cherchent à protéger leurs terres menacées par le développement de projets industriels, notamment le projet d'exploitation du nickel à Voisey's Bay, l'aménagement hydroélectrique sur le cours inférieur du fleuve Churchill, la nouvelle route translabradorienne et les projets forestiers. Par ailleurs, les Innus souhaitent participer au développement de leurs terres traditionnelles, pourvu que cela corresponde à leurs normes et à leurs objectifs.

La collectivité d'Utshimassits (Davis Inlet) a fait face à des problèmes sociaux particulièrement difficiles, dont beaucoup provenaient de son établissement en 1969 dans un endroit inadapté, sans alimentation en eau adéquate, sur une île de laquelle il était difficile d'accéder au continent pour chasser plusieurs mois par année. Afin de résoudre ce problème, un projet financé par le gouvernement fédéral pour reloger la collectivité sur le continent a vu le jour et, en 2002, le nouveau village de Natuashish fut fondé.

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