La culture traditionnelle des Mi'kmaq

Le manque d'information archéologique concernant la fin de la préhistoire dans les Maritimes rend difficile la description adéquate de la culture mi'kmaq avant l'arrivée des Européens dans la région. La majeure partie de la zone côtière des Maritimes s'est enfoncée peu à peu par rapport au niveau de la mer. C'est pourquoi de nombreux sites côtiers de la période préhistorique tardive se trouvent maintenant sous l'eau. En effet, il n'existe pas de preuves documentaires au sujet de la présence des Mi'kmaq avant le 17e siècle, et à cette époque, ils avaient déjà établi des contacts avec des pêcheurs, des commerçants de fourrure et des explorateurs européens depuis environ 100 ans. Cela signifie que les missionnaires et les autres Européens qui ont écrit sur les Mi'kmaq après les années 1600 ont en vérité décrit une population qui avait déjà fait l'acquisition de biens provenant d'Europe, donc adopté un mode de vie possiblement très différent de celui de leurs ancêtres.

Maintenant, compte tenu de cette mise en garde, nous pouvons examiner les premiers récits des Européens concernant les Mi'kmaq. Les premières descriptions à peu près complètes ont été faites par le père Pierre Biard, un missionnaire jésuite français qui se trouvait en Nouvelle-Écosse (qui faisait alors partie de ce que les Français appelaient l'Acadie) de 1611 à 1613, et Nicolas Denys, un commerçant et entrepreneur français qui a vécu en Acadie de 1632 à 1670 (environ). Ces écrivains ont décrit un peuple dont le territoire comprenait les provinces actuelles de l'île du Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, la partie est du Nouveau-Brunswick, une partie de la péninsule gaspésienne du Québec, et une partie de Terre-Neuve. (Au début du 20e siècle, les Mi'kmaq de Terre-Neuve ont fait savoir à l'anthropologue américain Frank Speck qu'ils avaient habité l'île à l'époque préhistorique.) Les estimations concernant la taille de la population mi'kmaq varient considérablement, mais il est probable qu'elle comptait de 10 000 à 20 000 personnes.

La fabrication de raquettes
La fabrication de raquettes
Damien Benoit de Conne River fabriquant une paire de raquettes.
Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L. Photographie © 1983.

La langue et la structure familiale des Mi'kmaq

La langue parlée par les Mi'kmaq appartient à la famille des langues algonquiennes. Elle est très semblable à celle que parlent leurs voisins les Malécites et les Pescomodys, et moins directement apparentée à celle des autres groupes de langue algonquienne, comme les Béothuks et les Innus. Au début de la période historique, l'unité fondamentale de la société mi'kmaq était constituée de la famille étendue, par exemple du chef (sagamaw) d'un groupe de personnes qui comprenait sa famille immédiate (ses enfants mariés et leur famille) et d'autres parents qui vivaient avec lui. Au moment et aux endroits où les denrées étaient abondantes, certains de ces groupes formaient des bandes qui pouvaient comprendre jusqu'à 200 ou 300 personnes pendant l'été. Les chefs se réunissaient à l'occasion pour discuter des sujets importants, notamment de paix et de guerre. Dans un récit des traditions des Mi'kmaq, on raconte que leur territoire était divisé en sept régions qui comptaient chacune un chef. Celui de l'île du Cap-Breton était considéré comme un grand chef. Il n'est pas certain que cette organisation existait à l'époque de la préhistoire, et la plupart des autorités en la matière sont d'avis que la société mi'kmaq était essentiellement égalitaire, et que les chefs étaient choisis en vertu de leur prestige et de leur statut. De plus, il a été établi que dans l'ensemble, leur leadership consistait en leur capacité d'amener des personnes à s'entendre sur les actions à entreprendre. Cette qualité était aussi particulièrement importante pour résoudre des conflits dans un groupe, négocier des alliances avec d'autres peuples, entrer en guerre contre un ennemi, et décider du moment et des endroits où chasser ou pêcher.

Périodes de migration

Étant donné que les Mi'kmaq vivaient un peu trop loin au nord pour être en mesure d'assurer leur subsistance grâce aux cultures autochtones, comme le maïs, le haricot et la courge, ils dépendaient des ressources de la forêt et de la mer. Ils devaient donc déterminer leur emploi du temps très précisément. Selon le père Biard, les Mi'kmaq chassaient le phoque sur les côtes et dans les îles côtières en janvier, puis l'orignal, le caribou, le castor et l'ours à l'intérieur des terres de février à la mi-mars. Dans la dernière moitié du mois de mars, les Mi'kmaq se rendaient dans les zones côtières et estuariennes pour pêcher l'éperlan, puis le hareng à la fin avril. Les oiseaux migrateurs et le saumon revenaient aussi avec le printemps. De mai à la mi-septembre, les Mi'kmaq récoltaient les mollusques et les crustacés. Ensuite, ils se déplaçaient vers les affluents des rivières les plus larges pour pêcher l'anguille, et certains groupes retournaient à l'intérieur des terres pour chasser l'orignal, le caribou et le castor pendant les mois d'octobre et de novembre. En décembre, on pêchait la jeune morue sous la glace.

Il est à noter que cette organisation du temps n'existait peut-être pas avant l'arrivée des Européens. Après tout, le père Biard a décrit les migrations saisonnières des Mi'kmaq à une époque où ils devaient chasser les animaux à fourrure à l'intérieur des terres en hiver, au moment où leur fourrure était plus épaisse. Les Mi'kmaq devaient donc planifier leurs activités pour se trouver sur la côte pendant les mois les plus chauds afin de rencontrer les bateaux de pêche européens et d'échanger leurs fourrures contre des biens provenant d'Europe. Il est fort possible que leurs déplacements saisonniers aient été différents à la période préhistorique selon l'accessibilité des ressources locales. Il se peut que certains groupes aient passé plus de temps à l'intérieur des terres alors que d'autres ont plutôt installé leur campement à l'embouchure d'une grande rivière pour la majeure partie de l'année.

Michael Joe et Martin Jeddore de Conne River terminant la fabrication d'un canot mi'kmaq
Michael Joe et Martin Jeddore de Conne River terminant la fabrication d'un canot mi'kmaq
Ce canot, aujourd'hui exposé au musée The Rooms, est une réplique des canots en peau de caribou fabriqués par les Mi'kmaq pour se déplacer sur les voies navigables à l'intérieur de l'île de Terre-Neuve.
Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.
Une réplique de grand canot en écorce de bouleau pour naviguer en haute mer
Une réplique de grand canot en écorce de bouleau pour naviguer en haute mer
Ce canot a été fabriqué par les Mi'kmaq de Conne River; certains d'entre eux ont l'intention de ramer jusqu'à l'île du Cap-Breton.
Avec la permission de Gerald Penney Associates, St. John's, T.-N.-L.

Les armes et les outils des Mi'kmaq

Les Mi'kmaq ont utilisé des armes et des outils variés dont ils dépendaient pour tuer, chasser et pêcher. La lance ainsi que l'arc et la flèche étaient utilisés pour chasser le plus gros gibier, le collet pour capturer le lapin et la perdrix, et l'assommoir pour tuer des prédateurs comme le renard ou l'ours. Le cornet en écorce, qui ressemble un peu à un vieux mégaphone, était utilisé par les chasseurs talentueux pour imiter le cri de l'orignal. La foène, un harpon à trois branches, était utilisée pour capturer le poisson, et on utilisait aussi l'hameçon, le filet et la fascine à cette fin. Les harpons étaient couramment utilisés pour chasser le phoque en canot. Au 16e siècle, lorsque les Mi'kmaq ont commencé à commercer avec les Européens, ils ont modifié et remplacé certains outils. Par exemple, à la période historique, le bout des flèches et des lances étaient en fer plutôt qu'en os ou en pierre; on a donc remplacé les hameçons traditionnels en os par des hameçons en fer. Par contre, les moyens de transport inventés par les Autochtones se sont souvent avérés supérieurs aux réalisations modernes des Européens.

Les raquettes que les Mi'kmaq utilisaient lorsqu'il y avait beaucoup de neige étaient si bien adaptées au climat nord-américain que les colons européens les ont adoptées par la suite, comme ce fût le cas pour le traîneau tiré à bras appelé toboggan. Les Européens ont aussi rapidement reconnu les qualités supérieures des canots en écorce de bouleau, qui étaient légers, bien adaptés à la navigation et faciles à réparer. Les Mi'kmaq ont fabriqué plusieurs types de canots : certains qu'ils utilisaient sur les réseaux de rivières et de lacs à l'intérieur des terres, et d'autres, plus grands, pour la navigation en haute mer avec lesquels ils pouvaient franchir les quelque 100 km qui séparent l'île du Cap-Breton et les Îles de la Madeleine et peut-être même se rendre à Terre-Neuve.

Cependant, les Mi'kmaq ont appris à utiliser les petites embarcations européennes comme la chaloupe très tôt, possiblement au cours du 16e siècle, ce qui aurait rendu les longs voyages plus faciles et plus sécuritaires.

À la maison, on se servait aussi de l'écorce de bouleau pour fabriquer des contenants et couvrir les wigwams. Les Mi'kmaq ont aussi construit différents types de wigwams; cependant, le plus courant, de forme conique (comme un tipi), était constitué d'un bâti de perches sur lequel était fixé un recouvrement de peaux ou d'écorces de bouleau.

Un wigwam mi'kmaq utilisé par les chasseurs et les trappeurs au début du 20e siècle
Un wigwam mi'kmaq utilisé par les chasseurs et les trappeurs au début du 20e siècle
Photographie tirée de Newfoundland and its Untrodden Ways, de J. G. Millais, London : Longmans, Green, 1907, p. 16 (page opposée)

En raison de la présence des pêcheurs européens dans la région, on remplaçait parfois les revêtements traditionnels par des revêtements en toile. De plus, les Mi'kmaq préféraient les bouilloires en cuivre aux bouilloires en écorce de bouleau ou en bois qui nécessitaient de faire d'abord faire chauffer des pierres qu'on plaçait ensuite dans l'eau pour la faire bouillir. En revanche, on pouvait placer une bouilloire en cuivre ou en laiton directement au-dessus du feu. Les bouilloires en cuivre semblent également avoir eu une signification spirituelle pour les Mi'kmaq du 16e siècle, ce qui est probablement dû à leur couleur rougeâtre (ils associaient possiblement le rouge au sang et à la vie).

This is a Fine Example of a Mi'kmaq Birch-Bark Box Decorated with Porcupine Quills Collected in Newfoundland in the Early 19th Century
Un coffre mi'kmaq en écorce de bouleau
Voici un bel exemple d'un coffre mi'kmaq, datant du début du 19e , décoré avec des piquants de porc-épic. Étant donné l'absence de porcs-épics sur l'île de Terre-Neuve, les piquants qui décorent le coffre viennent probablement de la Nouvelle-Écosse.
Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.
Un exemple de contenant mi'kmaq
Un exemple de contenant mi'kmaq
Voici un bel exemple d'un contenant mi'kmaq, dont l'origine remonte probablement au 19e siècle. Il est décoré avec des racines d'épinette teintes plutôt que des piquants de porc-épic.
Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Les vêtements des Mi'kmaq

Les vêtements des Mi'kmaq étaient confectionnés avec la peau des animaux qu'ils tuaient. Avec la peau des chevreuils et des orignaux, ils fabriquaient des vêtements pour les hommes et les femmes, notamment des mitasses, des manchons, des pagnes et des mocassins. L'hiver, les mantes en fourrure s'ajoutaient à l'équipement. Les vêtements en peau étaient parfois décorés joliment avec des piquants de porc-épic teints (remplacés en grande partie par des perles de verre quand les Mi'kmaq ont commencé à commercer avec les Européens). On utilisait par ailleurs la babiche (tendons) de chevreuil ou de caribou, et des alènes et des aiguilles en os pour les coudre. Les commerçants européens ont introduit les alènes et les aiguilles en métal, qui, comme on le sait, étaient très recherchées par les femmes qui confectionnaient les vêtements. Au fil du temps, les vêtements des Mi'kmaq (sauf les mocassins) ont été de plus en plus fabriqués avec des étoffes dont les Européens faisaient le commerce; toutefois, ils ont longtemps conservé un style vestimentaire qui les distinguait de leurs voisins euros canadiens. Les robes en peau ont ensuite été remplacées par des couvertures de laine qui, dès le 19e siècle, ont à leur tour été remplacées par des manteaux de type militaire gris (pour les hommes). Par la suite, les femmes en sont venues à porter des manteaux de laine, des jupes, et, au 19e siècle, une large casquette à visière à l'aspect inhabituel, souvent ornementée du motif distinctif en double courbe.

Les croyances traditionnelles des Mi'kmaq

Nous connaissons mieux la culture matérielle traditionnelle des Mi'kmaq que leurs croyances traditionnelles. Il est certain que certains éléments du système de croyances en place avant l'arrivée des Européens ont été perdus avant qu'on les archive, car les missionnaires catholiques français œuvraient auprès des Mi'kmaq depuis 1611. Néanmoins, il est possible de se représenter partiellement la vision du monde des Mi'kmaq. Par exemple, contrairement aux Européens, il semble que les Mi'kmaq ne faisaient pas de distinction entre les éléments naturels, surnaturels et spirituels. De fait, ils croyaient que les animaux, le soleil et les rivières avaient un esprit et une personnalité, tout comme eux. Le soleil avait une importance particulière; toutefois, les Mi'kmaq croyaient qu'un esprit appelé mntou ou manitou remplissait l'univers. L'univers était devenu compréhensible pour les Mi'kmaq en partie grâce à Glooscap (ou Klu'skap), qui leur a appris comment le monde a été créé et comment il fonctionne aujourd'hui. Au 19e siècle, un missionnaire baptiste de la Nouvelle-Écosse appelé Silas Rand a recueilli bon nombre des traditions orales des Mi'kmaq, y compris plusieurs récits des exploits de Glooscap.

Des chamans vivaient parmi les Mi'kmaq, comme c'était le cas pour tous les peuples de chasseurs-cueilleurs. Le chaman (ou puoin) pouvait guérir les maladies (et les causer), et le peuple se fiait à lui pour interpréter le monde spirituel. Les missionnaires chrétiens ont tenté de discréditer le puoin et la vision du monde qu'il représentait, mais de nombreuses croyances traditionnelles se sont perpétuées, certaines même jusqu'à aujourd'hui.

La culture mi'kmaq a changé considérablement depuis l'arrivée des premiers navires européens en leur pays, et à notre époque, on doit se rappeler que toutes les cultures, y compris la nôtre, changent avec le temps, et que les Mi'kmaq d'aujourd'hui sont des Amérindiens au même titre que leurs ancêtres, et ce, même s'ils portent les mêmes vêtements que les autres Canadiens, conduisent des véhicules, et regardent la télévision. De nos jours, Glooscap demeure présent en chaque Mi'kmaq.

English version