La culture des Inuit du Sud

La Commission royale sur les peuples autochtones a affirmé en 1996 que les Inuit du Sud (de la région du NunatuKavut au Labrador) affichaient « une conscience de soi culturelle qui est essentielle au statut de nation ». Ce faisant, elle faisait de la question culturelle une question sensible. Cependant, il existe peu de documents historiques qui décrivent de manière claire le mode de vie des Inuit du Sud avant le milieu des années 1900. De plus, étant donné que traditionnellement les familles des Inuit du Sud étaient isolées durant les longs hivers du Labrador, les possibilités de renforcement de l'identité collective ont été peu nombreuses. Historiquement, toutefois, la culture des Inuit du Sud est axée autour des pratiques, des croyances et des technologies autochtones et européennes.

Appellations du groupe

Jusqu'à tout récemment, les Inuit du sud du Labrador étaient connus sous diverses appellations vagues, et dans certains cas peu flatteuses, souvent inventées et imposées par d'autres personnes. Les commerçants européens et les missionnaires moraves, par exemple, les appelaient colons, sang-mêlé, demi-caste et colons mêlés. Au 19e siècle, des noms tels qu'habitants-pêcheurs, Labradoriens, Anglo-Esquimaux, habitants du Sud et domestiques étaient communs.

Il a fallu attendre jusqu'en 1975 avant que le mot Métis soit utilisé au Labrador. Dix ans plus tard, le nom fut institutionnalisé avec la formation de la Labrador Metis Association (qui deviendra la nation des Métis du Labrador). Sans majuscule, le mot « métis » signifie « mélangé », mais le nom officiel « Métis » renvoie aux descendants d'unions d'Autochtones et de non-Autochtones. Ce nom est le plus souvent utilisé pour désigner les habitants du Nord-Ouest ou ceux de la rivière Rouge dans l'Ouest canadien, qui sont de descendance amérindienne (principalement crie et ojibway) et européenne.

Les Inuit du Sud (appelés auparavant Inuit-Métis du Labrador) descendent principalement d'Inuit, mais certains d'entre eux ont des origines innues, et dans une moindre mesure, mi'kmaq. De nos jours, ils vivent dans différentes collectivités sur la côte sud-est du Labrador, dans certains endroits du centre du Labrador autour du lac Melville, et à l'ouest, à Churchill Falls, à Labrador City et à Wabush.

Mode de vie traditionnel

Au fil de l'histoire, les Inuit du Sud ont eu un mode de vie influencé tant par les coutumes autochtones qu'européennes. Comme leurs ancêtres, les Inuit du Sud du Labrador utilisaient des harpons pour chasser le phoque, portaient des bottes imperméables faites en peau de phoque, et transportaient parfois leurs bébés dans des parkas. C'était aussi une coutume pour ces deux cultures de séparer les produits de la mer de ceux de la terre lors d'un repas, mais à différents degrés. Les Inuit croyaient qu'on ne devait jamais manger de la viande de caribou et de phoque au cours d'un même repas. Les Inuit du Sud étaient moins stricts sur cette question et, traditionnellement, buvaient de l'eau entre deux bouchées de viandes, dont l'une provenait de la terre et l'autre de la mer. Les Inuit du Sud ont appris des Innus à fabriquer et à utiliser des raquettes, des canots et des mocassins en peau de caribou.

Phoque du Groenland, 1909
Phoque du Groenland, 1909
Les Inuit du Sud chassaient traditionnellement le phoque au printemps, ils mangeaient sa viande et utilisaient sa peau pour se faire des bottes. Photo montrant un phoque du Groenland.

Avec la permission des archives (VA 17-73.1), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Comme leurs ancêtres européens, les Inuit du Sud parlaient anglais – quoiqu'ils utilisaient de nombreux mots inuktituts comme « ulu » (couteau pour femme) et « komatik » (traîneau à chiens) – ils ont également appris à écrire et ils ont acquis la notion de propriété privée. Cette dernière s'appliquait aux territoires de trappe de même qu'aux maisons.

Les Inuit du Sud ont développé une économie basée sur l'exploitation des ressources qui reposait sur la migration saisonnière. Habituellement, ils trappaient des animaux à fourrure pendant l'hiver, chassaient le phoque au printemps et pêchaient le saumon et la morue en été. En août, ils se consacraient à la cueillette de baies sauvages avant de les faire sécher. La plupart de ces produits étaient stockés afin d'être utilisés pendant l'hiver, mais une grande partie était également échangée avec les entreprises européennes, comme la Compagnie de la Baie d'Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest, pour de l'équipement ou d'autres types de nourriture.

Edward Rich (right) and Son, 1909
Edward Rich (à droite) et son fils, 1909
Les entreprises britanniques commerçaient souvent avec les Inuit du Sud ou les employaient.

Avec la permission des archives (VA 17-87.1), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Les familles vivant au centre du Labrador passaient l'hiver dans leur résidence permanente, généralement à l'embouchure du lac Melville, mais les hommes quittaient leur famille pour entreprendre de longues expéditions de trappe. Le printemps était dédié à la chasse au phoque sur le lac Melville, toujours gelé, alors que les familles migraient souvent vers la baie Groswater pour gagner les lieux de pêche à la morue au cours de l'été. Les Inuit du Sud vivant sur la côte sud-est du Labrador se déplaçaient souvent vers les anses et les embouchures des rivières en hiver, et sur les îles au large ainsi que sur les caps au cours de l'été.

Trappage en hiver

Le trappage était l'un des moyens de subsistance de base des Inuit du Sud, spécialement pour les familles vivant au centre du Labrador. La saison de la trappe s'échelonnait sur six à huit mois, débutant en octobre et se terminant au milieu du printemps. La plupart des trappeurs posaient leurs pièges le long de la rivière Hamilton (aujourd'hui la rivière Churchill), mais également aux abords des rivières Naskaupi et Kenamou. Les familles se préparaient pour la saison de la trappe au mois de septembre. Les femmes fabriquaient des bottes, des mitaines et des parkas et les hommes, quant à eux, coupaient du bois pour que leur famille puisse se chauffer tout l'hiver pendant qu'ils étaient partis trapper des animaux à fourrure.

Une ligne de piégeage typique prenait au moins trois jours à parcourir. Elle suivait un sentier en zigzag et comportait de 200 à 300 pièges. Le sentier était parsemé d'une série de petites cabines (tilts) bâties à un intervalle d'une journée de marche et qui servaient d'abri aux trappeurs. Les hommes trappaient le castor, le renard, le vison, le rat musqué, la loutre, la belette, le loup, le lynx et l'ours. Ils enlevaient les peaux, les séchaient et les tannaient pendant qu'ils étaient sur la ligne de piégeage. Après trois mois de labeur, les trappeurs prenaient le chemin du retour en tirant leurs prises derrière eux sur des toboggans. À la mi-février, les hommes se préparaient à entreprendre leur deuxième et dernier voyage de l'année.

Une fois les lignes de piégeage en place, elles étaient utilisées chaque année par leur propriétaire ou par un trappeur employé qui devait remettre le tiers de ses prises de la saison. Le concept européen de propriété privée s'est élargi à ce domaine puisque selon la coutume des Inuit du Sud, celui qui installait une ligne de piégeage dans les bois en premier en était le propriétaire légitime. La tradition voulait que la ligne de piégeage soit léguée au plus jeune fils de la famille.

Les femmes, pendant ce temps, restaient à la maison durant l'hiver. Elles étaient très isolées et vivaient des mois difficiles alors qu'elles devaient prendre soin des enfants et effectuer toutes les tâches seules. Afin de trouver de la nourriture, elles marchaient parfois sur la baie gelée avec des raquettes et creusaient un trou dans la glace pour pêcher. Le plus proche voisin était souvent à des kilomètres, ce qui rendait les contacts avec les autres, incluant les autres Inuit du Sud, très rares. Ce grand isolement durait la moitié de l'année, et habituellement, ne prenait fin qu'avec la migration estivale vers les lieux de pêche.

Les Inuit du Sud ont conservé ce mode de vie traditionnel jusqu'au 20e siècle, mais celui-ci a été perturbé au cours de la Seconde Guerre mondiale lorsqu'a débuté la construction d'une base militaire aérienne à Goose Bay en 1941. Bon nombre d'Inuit du Sud ont abandonné leurs maisons sur le littoral pour trouver du travail à la base militaire, et certains d'entre eux n'en sont jamais revenus. Toutefois, ce qui a ravagé encore plus la culture des Inuit du Sud, c'est le projet hydroélectrique de Churchill Falls, qui a nécessité l'inondation de terres traditionnellement utilisées par les trappeurs.

Renaissance culturelle

Au cours des dernières décennies, la culture des Inuit du Sud a connu une renaissance déclenchée par la formation, en 1985, de la Labrador Metis Association (qui deviendra la nation des Métis du Labrador et éventuellement le NunatuKavut Community Council). Pour la première fois de l'histoire, les Inuit du Sud étaient représentés par une institution administrative et sociale. En 1991, la nation des Métis du Labrador a reçu le statut d'organisme provincial/territorial du Conseil national des Autochtones du Canada. Trois ans plus tard, elle a fait une revendication territoriale auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Les efforts de la nation des Métis du Labrador pour négocier une revendication territoriale et une revendication du statut d'Autochtone ont ravivé l'intérêt pour la culture et l'histoire des Inuit du Sud en plus de leur inspirer de la fierté. Par ailleurs, les recherches généalogiques sont devenues de plus en plus populaires. Souvent, l'intérêt consiste à se découvrir des ancêtres autochtones. Les inscriptions aux cours d'inuktitut ont explosé et les dirigeants des Inuit du Sud font la promotion des compétences traditionnelles – particulièrement la trappe des fourrures – et valorisent les moyens de subsistance liés à l'exploitation des ressources territoriales.

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