La culture des Innus

Nom des groupes

Comme de nombreuses autres populations autochtones, jusqu'à tout récemment, les Innus étaient connus sous des noms qui leur sont étrangers plutôt que par celui qu'ils utilisent pour se désigner eux-mêmes. Les premiers missionnaires qui ont rencontré des Innus venus des montagnes avoisinant les établissements français, situés aux abords du fleuve Saint-Laurent, leur ont donné le nom de Montagnais, ce qui signifie habitant de la montagne. Au Labrador, on a aussi utilisé ce terme pour désigner les Innus. Par contre, on appelait Naskapis, les Innus vivant dans la région de la toundra, située dans le nord du Labrador et du Québec, et que les Européens ont connus plus tard. L'origine de ce mot est incertaine; cependant, pour les missionnaires, il signifiait païen ou, un groupe moins civilisé que les Montagnais. Au 20e siècle, les anthropologues ont reconnu que dans l'ensemble, ces deux groupes partageaient la même culture, alors ils ont introduit le terme Montagnais-Naskapi.

Un couple innu au Labrador en 1910
Un couple innu au Labrador en 1910

Tiré de : Through Trackless Labrador, de Hesketh Hesketh-Prichard, New York : Sturgis and Walton, 1911, p. 198.

Dans les années 1980, les Innus ont eux-mêmes exprimé leur préférence pour le terme Innu, un mot qui signifie une personne, dans leur langue. Ils ont aussi commencé à utiliser publiquement le mot innu Ntisinan (Nitissinan) pour désigner leur territoire traditionnel. Malgré leur apparente similitude, il n'existe aucun lien entre les mots Innu et Inuit.

Sur les plans de la culture et de la langue, les Innus constituent le groupe le plus oriental au sein d'une vaste nation appelée communément les Cris, un autre terme qui provient probablement de l'Europe. Mis à part les Cris des Prairies, dont la culture ressemble à celle des autres chasseurs de bisons de la partie nordique des Prairies qui chassent à cheval, les groupes de Cris (y compris les Innus) vivent tous dans la forêt boréale et partagent des traditions culturelles assez semblables.

Le mode de vie traditionnel

La culture des Innus du Labrador témoigne à plusieurs égards de leur mode de vie nomade. Outre les déplacements semi-annuels visant à occuper le meilleur territoire de chasse, les Innus du Labrador ont aussi entrepris des migrations de plus longue durée, car en raison des feux de forêt et des changements climatiques, le gibier est abondant dans certaines régions et rare dans d'autres. Ils ont développé des moyens de transport bien adaptés à leur environnement : des raquettes et un toboggan pour l'hiver, et un canot en écorce de bouleau pour l'été. Ils sont aussi devenus des experts dans la fabrication de vêtements en peau, d'outils en pierre et d'objets en bois de tous genres. En raison de leur usure excessive, et parce qu'il était souvent plus simple d'en fabriquer de nouveaux que de les transporter à chaque déplacement, une grande quantité de ces articles étaient fabriqués sur une période d'un an. Les Innus en ont aussi décoré un bon nombre avec des motifs peints ou tissés, et leurs objets, par exemple les célèbres manteaux naskapis en peau de caribou, sont tellement beaux qu'ils font la fierté des musées du monde entier.

Un manteau innu exposé au musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.
Un manteau innu exposé au musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.
Photographie : Tina Riche, © 1997. Modifiée par Lisa Ledrew, 1999.

Les Innus vivaient en groupes de plusieurs familles la plus grande partie de l'année, chacune habitant une tente couverte d'écorce ou d'une peau de caribou (éléments remplacés ensuite par une toile). Parfois, au milieu de l'hiver, les groupes s'unissaient pour ne former qu'une seule et grande collectivité d'habitation. À certains moments de l'année, lorsque les ressources étaient accessibles, par exemple sur la côte en été, ou à l'intérieur des terres, là où les caribous s'attroupent et les poissons fraient, et où la sauvagine se réfugie, de larges groupes d'Innus se réunissaient pendant plusieurs semaines pour faire la traite, célébrer des mariages, festoyer et célébrer d'autres fêtes. Leur alimentation était très riche en viande, laquelle était apprêtée de différentes façons et avec toutes les parties de l'animal. Elle était toutefois pauvre en glucides; c'est plutôt le métabolisme des gras et des protéines de viande qui fournissait l'énergie.

Leur culture était principalement centrée sur leur relation aux animaux qu'ils chassaient, une relation qui revêtait à la fois des aspects pragmatiques et spirituels. Leur relation au monde animal était, en effet, au centre de leur pensée philosophique et religieuse. Tandis que les chamans prédisaient le succès de la chasse à venir d'un groupe de chasseurs, on mettait aussi un accent particulier sur la capacité de chaque personne à conquérir du pouvoir religieux par le rêve, le chant et la participation aux rituels et célébrations appropriés, lesquels coïncidaient avec les activités de chasse.

Les Innus étaient des chasseurs hors pair, mais leur relation avec les animaux était fondée sur l'amour et le respect, et non sur la capture violente d'une proie. Ils estimaient que les animaux avaient un si grand pouvoir spirituel que les chasseurs ne pourraient jamais les tuer s'ils ne s'offraient pas volontairement. On croyait que les animaux se livraient ainsi seulement aux chasseurs qui les respectaient et qui accompliraient les rituels appropriés pour disposer de leur cadavre et, essentiellement, de leurs os. Le caribou revêtait une importance particulière, et on le célébrait lors d'une fête appelée Mokushan, pendant laquelle de grandes quantités de graisse et de moelle osseuse de caribou étaient consommées. Après le festin, on jouait du tambour et on offrait des chants à l'esprit du monde animal.

La cuisson du poisson dans une tente innue dans le nord du Labrador au tournant du siècle
La cuisson du poisson dans une tente innue dans le nord du Labrador au tournant du siècle
Tiré de : In Northern Labrador, de William B. Cabot, London : J. Murray, 1912. p. 279.

La « guerre » entre les Innus et les Inuit

Au Labrador, il existe une longue tradition orale qui laisse entendre que les Innus et les Inuit étaient des ennemis implacables constamment en guerre. La preuve la plus convaincante dont nous disposons aujourd'hui, c'est que les Innus étaient les seuls habitants de la côte du Labrador vers l'année 1300, à l'époque où les Inuit de Thulé sont arrivés par le nord. Au cours des 17e et 18e siècles, les Inuit, prenant de l'expansion dans le sud, ont repoussé les Innus et restreint leur accès aux ressources de la côte. Il est bien possible que les deux groupes se soient livré quelques batailles, mais il n'existe aucune preuve qu'il y a eu un conflit organisé entre eux. En outre, aucune des nations n'a de tradition militaire en bonne et due forme.

À l'évidence, vers le milieu du 19e siècle, les hostilités avaient cessé. Des Innus partis de Sandwich Bay, au sud, arrivaient régulièrement sur la côte, à Okak, au nord, et vers 1869, ils étaient assez nombreux pour que la Compagnie de la Baie d'Hudson ouvre un poste spécialement destiné à leur traite à Davis Inlet. De plus, les missionnaires moraves ont signalé à l'occasion l'arrivée d'Innus dans les villages côtiers inuit : certains voulaient effectuer des échanges; d'autres, affamés, avaient besoin de soins. Au tournant du siècle, par suite du déclin de la harde de caribous de la rivière George, les Innus du nord ont passé plus de temps dans les régions côtières, et en 1913, Richard White, un entrepreneur de Terre-Neuve, a construit un poste de traite pour eux à Voisey's Bay. Les Innus et les Inuit ont tous deux utilisé ce poste, ainsi que ceux d'autres régions, sans hostilité réciproque. Aujourd'hui, dans le contexte des revendications territoriales autochtones, les deux nations reconnaissent l'existence de droits partagés pour certaines régions de la côte du Labrador.

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