La Beothuk (« Boeothick ») Institution

Au cours de la deuxième moitié du 18e siècle, plusieurs gouverneurs, officiers et particuliers se sont inquiétés des mauvais traitements subis par les Béothuks et ont proposé des façons de promouvoir une attitude plus humaine à leur égard. En 1768, le gouverneur Hugh Palliser a envoyé le lieutenant John Cartwright de la Marine royale britannique remonter la rivière Exploits à la rencontre des Béothuks en vue d'établir des relations pacifiques, mais il n'en a rencontré aucun. Le gouverneur John Byron (1769) et plusieurs de ses successeurs ont émis des proclamations ordonnant aux colons et à d'autres groupes autochtones de vivre en harmonie avec eux. George Cartwright, qui avait accompagné son frère John dans une expédition le long de la rivière Exploits, a proposé en 1784 de constituer une réserve indienne dans la baie Notre Dame et de nommer un agent des Indiens pour faire appliquer la loi. Il croyait aussi que la distribution de présents pourrait inciter les Béothuks à faire du commerce.

Missions de paix et capture de Béothuks

Le lieutenant George Christopher Pulling de la Marine royale britannique a proposé deux ans plus tard de stationner un navire anglais dans la baie des Exploits pour servir de base à l'envoi de missions de paix au pays des Béothuks. En 1792, le Juge en chef Reeves a demandé aux autorités en Grande-Bretagne de protéger les Béothuks en appliquant les lois en vigueur contre les contrevenants. Quelques années plus tard, le gouverneur Waldegrave a proposé de mener des missions de paix en même temps qu'une étude de la côte (pour minimiser les dépenses) ou de capturer un Béothuk pour ensuite le relâcher en lui remettant des cadeaux et un message d'amitié. Mais les secrétaires d'État aux colonies n'étaient pas intéressés à l'une ou l'autre de ces propositions et, sans leur permission et leur aide financière, les gouverneurs avaient les mains liées.

On a fini par offrir une récompense à quiconque capturerait un Béothuk en vue de traiter le captif avec gentillesse et de le renvoyer comme intermédiaire en vie d'établir de meilleures relations avec son peuple. On peut présumer que ce plan a été retenu parce qu'il ne nécessitait pas de déployer des navires militaires ou des troupes, évitant ainsi des dépenses pour le gouvernement. Mais lorsque des sujets ont finalement été faits prisonniers – trois enfants entre 1768 et 1791 et deux femmes respectivement en 1803 et en 1819 – des Béothuks y ont laissé la vie, ce qui a sans doute entraîné une détérioration plutôt qu'une amélioration des relations. De plus, aucun captif n'a été retourné parmi les siens pour les convaincre des bonnes intentions des Anglais.

À l'hiver 1811, le gouverneur John Thomas Duckworth a tenté de faire la paix avec les Béothuks en dépêchant une équipe de marins sous le commandement du lieutenant David Buchan à leur village du lac Red Indian. Bien que la rencontre se soit déroulée au départ dans une atmosphère amicale aux yeux de Buchan, elle s'est terminée tragiquement lorsque les Béothuks ont commencé à douter de ses intentions et se sont enfuis. Afin de ne pas être repérés, ils ont tué les deux marins qui étaient restés avec eux. Une expédition menée en 1819 par Jonh Peyton (fils), un commerçant local de l'île Exploits, et son équipe qui a mené à la capture de Demasduit s'est aussi conclue par la mort. Lors de cette rencontre, le mari de Demasduit, le chef Nonosabasut, et son frère ont été abattus. Bien que le gouverneur Hamilton ait voulu retourner Demasduit parmi son peuple, elle est morte avant que cela ne se concrétise.

Dans les années 1820, tous les efforts déployés par les Anglais en vue d'améliorer les relations se sont soldés par un échec. Les plans reposaient souvent sur de fausses conceptions et, comme le dirait plus tard le capitaine Buchan, « tout ce que nous tentons se termine toujours par la mort ».

William Epps Cormack et la naissance de la Beothuk Institution

Croyant pouvoir renverser cette tendance, William Epps Cormack, un jeune entrepreneur passionné de sciences, décide de partir à la recherche de survivants béothuks à l'intérieur des terres. Cormack est arrivé à Terre-Neuve à la fin de 1821 ou au début de 1822 et, à l'automne de 1822, il a organisé une excursion à pied pour traverser l'île accompagné d'un guide mi'kmaq, Joseph Sylvester, qu'on appelait aussi Sylvester Joe. Il voulait explorer l'intérieur du pays et pensait pouvoir rencontrer des Béothuks dans la région centrale. Même si Cormack n'a pas atteint son but, il n'a pas abandonné son plan de rencontrer des Béothuks et de leur offrir la paix.

William Epps Cormack, 1796-1868
William Epps Cormack, 1796-1868
William Cormack a été le premier Européen à s'aventurer à l'intérieur des terres de l'île. Le 5 septembre 1822, l'expédition de Cormack quitte la baie Smith dans la baie Trinity et arrive à la baie Saint-Georges le 4 novembre de la même année.

Avec la permission du Centre des études terre-neuvienne, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

En quête d'appui et de financement de la collectivité, Cormack a fondé la Beothuk Institution (Boeothick Institution) le 2 octobre 1827 lors d'une assemblée à Twillingate. L'Institut avait pour but d'établir la communication avec les « Indiens rouges de Terre-Neuve », de promouvoir leur civilisation et de découvrir la véritable histoire de ce groupe autochtone. Plusieurs citoyens importants s'y sont joints. W. E. Cormack a été nommé président et trésorier. Le Dr John Inglis, le lord-évêque de Nouvelle-Écosse, le professeur Robert Jameson, président de la Wernerian Society d'Édimbourg, et John Barrow, secrétaire de l'Amirauté, Londres, comptent parmi ceux qui ont été nommés honorable parrain ou vice-parrain.

Cormack est ensuite parti en expédition avec trois guides autochtones pour explorer la région entourant la rivière Exploits et le lac Red Indian. L'équipe est revenue après 30 jours et 300 kilomètres de marche dans la forêt dense. Ils ont repéré des campements désertés et la hutte funéraire du chef Nonosabasut et de sa femme Demasduit, mais ils n'ont rencontré aucun Béothuk. En dernier recours, une équipe de recherche autochtone a été envoyée dans la région des baies Notre Dame et White sous l'égide de la Beothuk Institution. L'équipe n'allait pas non plus parvenir à rencontrer de Béothuks et on craignait alors que le groupe autochtone soit au bord de la disparition.

Peinture
Peinture miniature d'une Amérindienne de Terre-Neuve, par William Gosse, 1841
Ce portait serait celui de Shanawdithit.

Reproduit avec la permission d'Ingeborg Marshall. [D'après l'ouvrage A History and Ethnography of the Beothuk, d'Ingeborg Marshall, Montréal : McGill-Queen's University Press, © 1996.]

L'une des propositions formulées lors de l'assemblée de fondation de la Beothuk Institution consistait à placer Shanawdithit – une femme béothuque qui avait été capturée en 1823 et qui vivait chez John Peyton sur l'île Exploits – « sous l'attention paternelle de l'Institution ». Lorsque la dernière équipe de recherche est revenue sans avoir atteint son objectif, il est devenu évident que Shanawdithit était peut-être l'unique survivante de ce groupe autochtone. Cormack a, par conséquent, entrepris, sous l'égide de la Beothuk Institution, de la transférer à St. John's. Shanawdithit est arrivée à St. John's le 20 septembre 1828 et a habité chez Cormack environ quatre mois. Cormack l'a aidé à améliorer son anglais et lui a demandé de lui fournir, à l'aide de dessins, des renseignements sur l'histoire récente de son peuple, notamment une estimation de la population, ainsi que des détails sur les pratiques culturelles. Shanawdithit a aussi fourni une liste de mots et de phrases en béothuk. En janvier 1829, après l'échec des aventures commerciales de Cormack et son départ définitif de Terre-Neuve, Shanawdithit est amenée au domicile du procureur général James Simms. Souffrant de tuberculose pulmonaire depuis un moment déjà, son état s'est détérioré et Shanawdithit est décédée le 6 juin 1829 dans un hôpital de St. John's.

En 1827, après l'assemblée de fondation à Twillingate, les membres de la Beothuk Institution se sont de nouveau réunis le 12 janvier, le 7 février, le 24 juin et en octobre de l'année 1828 et probablement une autre fois à une date non précisée. Les équipes de recherche n'étant pas parvenues à entrer en contact avec des Béothuks et après la mort de Shanawdithit, la Beothuk Institution ne pouvait plus poursuivre ses objectifs et semble avoir mis fin à ses activités. Enfin, même si l'Institution n'a pu empêcher la disparition des Béothuks, le transfert de Shanawdithit vers St. John's et les efforts de Cormack pour consigner autant de renseignements que possible sur son peuple ont permis la collecte de renseignements inestimables sur l'histoire, la langue, les coutumes et les activités des Béothuks. La Beothuk Institution a par conséquent largement contribué à élargir nos connaissances sur ce groupe culturel.

La renaissance de la Beothuk Institution

Le 2 octobre 1997, 170 ans après sa création, la « Boeothick » Institution allait renaître de ses cendres sous le nom de Beothuk Institute. Son mandat prévoyait l'érection d'une statue d'une femme béothuque pour rendre hommage au peuple béothuk et faire connaître au public ce peuple et d'autres peuples autochtones de la province. C'est l'artiste terre-neuvien Gerald Squires, qui a eu une vision d'une femme béothuque dans la baie des Exploits et qui voulait rendre hommage à l'esprit de ce peuple, qui est à l'origine de cette idée. C'est à lui qu'a été confié le mandat de concevoir la statue. La statue a été coulée dans le bronze par l'artiste Lubin Boykov et dévoilée au site historique provincial de Boyd's Cove en juillet 2000. La Beothuk Institute a depuis parrainé la publication d'une brochure sur les Béothuks, fournit des essais sur les Béothuks pour des sites Web de Memorial University, comme celui-ci, et pour des journaux locaux et a entrepris une étude de l'ADN des Béothuks. La Commission des lieux et monuments historiques du Canada a répondu favorablement à la demande du Beothuck Institute d'installer des plaques pour rendre hommage aux femmes béothuques Shanawdithit et Demasduit ainsi qu'aux guides mi'kmaqs Mattie Mitchell et Sylvester Joe (Joseph Sylvester). Le Beothuk Institute continue de soutenir des projets liés aux Béothuks dans la province.

Spirit of the Beothuk par Gerry Squires, 2005
Spirit of the Beothuk par Gerry Squires, 2005
Statue de bronze grandeur nature de Shanawdithit à Boyd's Cove, T.-N.-L.

Image reproduite avec la permission d'Ingeborg Marshall. © 2012.

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