Terre-Neuve et les guerres françaises et américaines, 1793-1815

La Grande-Bretagne était en guerre avec la France de 1793 à 1815, avec une brève période de paix en 1802 et 1803. Cette pause, appelée la paix d'Amiens, est considérée comme la ligne de démarcation entre les guerres de la Révolution française et les guerres napoléoniennes. Les tensions créées par ce conflit ayant mené à la guerre de 1812 entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, il est donc pertinent de s'intéresser à ces trois guerres du même coup.

Leur longue durée, les grandes contraintes qu'elles ont imposées aux installations militaires et navales britanniques, de même que les perturbations considérables qu'elles ont causées au commerce maritime ont donné lieu à une conjoncture qui a eu des répercussions sérieuses sur la Grande-Bretagne, laquelle est parvenue néanmoins à s'affirmer comme la plus grande puissance au monde à la fin des hostilités. Parallèlement, ces guerres ont contribué de façon notable à accélérer la transformation de Terre-Neuve, qui est alors passée « de territoire de pêche à colonie » (Ryan, 1983). L'ère des guerres napoléoniennes a donc marqué un tournant décisif dans l'histoire et l'évolution de Terre-Neuve.

Expansion et croissance de l'industrie de la pêche

Au cours des guerres précédentes, la pêche migratoire avait toujours affiché une certaine décroissance, du moins temporairement, tandis que la pêche sédentaire (insulaire, par les résidents) connaissait un réel essor. Les guerres qui ont eu lieu entre 1793 et 1815 se différenciaient des conflits antérieurs à deux égards. Premièrement, la pêche migratoire n'était plus très prospère, ce qui la fragilisait face aux conséquences d'une période de guerre prolongée. Deuxièmement, les guerres ont eu un impact sérieux sur le commerce maritime.

Par exemple, la marine réclamait un nombre d'hommes beaucoup plus important que par le passé : pendant la période d'avant-guerre, la force navale comptait environ 20 000 hommes, mais elle en avait désormais besoin de sept fois plus, un nombre encore jamais atteint avant le 20e siècle. Ce besoin constant de marins, de même que la longue durée des guerres, ont empêché le maintien d'un noyau de pêcheurs expérimentés dans le domaine de la pêche migratoire. Quand les guerres ont enfin cessé, il ne restait donc plus personne pour entraîner les jeunes hommes encore inexpérimentés qui auraient pu assurer la relance de la pêche migratoire. Le savoir et les compétences ont décliné au cours de ces vingt années de guerre, ce qui a incité les armateurs à faire les changements nécessaires sur le plan de la structure organisationnelle de leur industrie.

L'industrie de la pêche elle-même n'a toutefois pas été privée de ce savoir et de ces compétences. Plusieurs pêcheurs et armateurs qualifiés qui ne voulaient pas être touchés par les bouleversements engendrés par la guerre ont alors décidé de s'installer pour de bon à Terre-Neuve. Les pêcheurs étaient conscients qu'en restant sur l'île ils seraient exemptés de l'enrôlement forcé en plus d'être protégés contre les risques encourus en temps de guerre lors des voyages transatlantiques. Quant aux marchands-armateurs, ils comptaient sur les compétences de ces pêcheurs pour faire des profits dans le secteur de la pêche sédentaire.

L'enrôlement forcé d'un matelot américain
L'enrôlement forcé d'un matelot américain
À Terre-Neuve, les hommes étaient exemptés de l'enrôlement forcé, un geste imposé par les Britanniques aux membres d'équipage des vaisseaux marchands américains.
Dessin de Stanley M. Arthurs. Tiré de Sea Power and its Relations to the War of 1812, vol. 1, du capitaine A. T. Mahan, , Londres, Sampson Low, Marston & Company, Limited, 1905, frontispice.

Par conséquent, la pêche migratoire a connu un déclin irréversible entre 1793 et 1815, mais la pêche sédentaire a fini par la remplacer grâce à son essor constant. L'industrie de la pêche, qui était basée en Angleterre jusqu'alors, était désormais bien établie à Terre-Neuve. Cette transition est au cœur même des changements qui ont fait en sorte que l'île passe de « territoire de pêche à colonie ». Elle a aussi mis en lumière l'importance des guerres napoléoniennes dans l'histoire de Terre-Neuve.

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