RELATION DE LA DÉCOUVERTE QU'A FAITE LE SIEUR LOUIS FORNEL EN 1743 DE LA BRIE DES ESKIMAUX NOMMÉE PAR LES SAUVAGES KESSESSAKIOU

Le contenu de cette page web est tiré de la transcription du document original Fornel, publié par les Archives nationales du Québec

La relation que j'entreprends de la découverte que j'ay fait de la baye des Eskimaux, n'est point un journal de pilote, ou les routes, rhumbs de vent, et, hauteurs soyent observés ; comme notre navigation ne doit être que d'une terre à une autre, afin d'être plus sur de rencontrer la de baye qui nous auroit peut être échapée en prenant le grand large c'est pourquoy j'ay crû qu'une simple description de mon voyage jointe à une carte dressée suivant les observations de nos pilotes costiers suffiroit pour donner à la Cour une connoissance exacte de cette coste des Eskimaux où personne jusqu'à ce jour n'a osé pénétrer le long des terres par la crainte de ces barbares.

16 mai 1743 — Je suis parti de Québec avec le passeport et une commission de M. le gouverneur-général pour la découverte de la de baye des Eskimaux en qualité de passager sur le brigantin L'Expérience avec le Sr Charles LeCour et son fils, mes deux chefs de route, et avec tout un équipage complet destiné pour ladite découverte, dans le dessein d'affreter un bàtiment au petit nord, n'ayant pu obtenir la permission de faire sortir un batiment à cause de la disette des vivres : et sur le dt brigantin, j'ay embarqué quatre pieces de canon, quarante fusils, des pistolets, sabres, haches d'armes et autres munitions de guerre pour me rendre à la baye des Châteaux, suivant la destination du d. brigantin dans lequel voyage nous avons été contrariés par les vents du nord-est forcés, et sur le point de périr plusieurs fois par les glaces qui nous ont obligé de ranger la terre du nord ne pouvant pas tenir le large. Cependant à la faveur d'un éclairci qui s'est fait entre les glaces nous sommes entrés dans l'Ance à Loup le 19e juin. Sur le champ j'ay envoyé un canot à St-Modet pour inviter le Sr Chauveau, maitre de pesche, de venir en personne pour chercher des effets que j'avois à luy remettre. A son arrivée luy ayant demandé pour faire une découverte la goélette La Marie-Anne, dans laquelle j'ay un interest, il me dit que j'en étois le maitre et que je pouvois en disposer, cependant qu'il falloit attendre les grandes marées par ce que le batiment étoit tout à fait à haute mer, me voyant déchû de mes espérances de ce costé là j'ay pris le parti de louêr une grande chaloupe pescheuse, et d'envoyer en diligence au Tierpon situé dans le nord de Plaisance le Sr LeCour, mon pilote et maitre de route, pour y affreter un bâtiment.

20 juin 1743 — Ensuite nous avons continué notre route vers la baye des Châteaux, et avant d'y arriver nous avons essuyé un coup de mauvais tems avec de la brume, en sorte que pour éviter le danger, et nous tirer de la coste il nous a fallu laisser un ancre, et un cable : ne sachant que devenir à la veue du danger qui nous menaçoit, et qui nous paroissoit inevitable dans cette extrémité, nous avons eu recours à Dieu et nous avons fait un veu que nous devons accomplir si tost notre retour à Québec. Peu de tems après notre vœu fait, les vents ont changé, et la brume a tombé, ce qui nous a donné lieu d'entrer enfin dans la de baye des Châteaux, où nous sommes arrivés le dimanche, vingt-trois juin, après trente-huit jours de traversée.

Et depuis le dt jour 23e juin jusqu'au premier juillet j'ay resté au dt lieu de la baye des Châteaux, où j'ay vû les preparatifs de la pesche qui n'a pas réussi par ce que le loup-marin étoit desjà passé, et que nous étions arrivé trop tard.

2 juillet 1743 — Le d. Sr LeCour est arrivé à la baye des Châteaux avec la goélette de M. de Lafontaine qu'il avoit trouvé au Tierpon, en échange de laquelle il auroit cédé outre le prix du louage une chaloupe biscayne pour faire la pesche. La de goelette n'auroit été cédée que pour vingt-deux jours seulement au d. Sr Le Cour qui se seroit obligé en mon lieu et place en vertu du pouvoir que je luy en aurois donne de payer dix écus par chaque jour de retardement de la de goêlette après les vingt deux jours expirés.

3 juillet 1743 — Après avoir fait donc embarquer sur la de goelette les vivres, munitions de guerre et autres effets qui m'étoient nécessaires nous avons fait voile sur les sept heures du matin vers la baye des Eskimaux, mais étant contrariés par les vents nous avons mouillé au poste du Sr Marsal entre les isles et les terres du Cap Charles, lequel poste distant environ de six à sept lieues de la baye des Châteaux est le dernier poste établi dans la Coste de Labrador. Le dt Sr Marsal est aussy-tost venu à notre bord pour nous inviter de descendre à son habitation, nous disant qu'iI ne nous conseilloit pas d'aller plus loin à cause de la brume, des vents contraires, et du danger qu'il y avoit de passer outre.

4 juillet 1743 — Nous avons levé l'ancre sur les trois heures du matin pour profiter du vent du sud-ouest, mais une brume épaisse qui s'est élevé tout d'un coup nous a fait prendre le parti d'aller chercher notre premier mouillage ou nous sommes arrivé à huit heures du matin. Sur les onze heures le tems etant devenu clair nous avons poursuivi notre route, et sur le midy nous nous sommes trouvé par le travers du Cap Charles. Apres avoir fait cinq à six lieues depuis le dt cap nous avons vû l'ouverture de la baye St. Alexis qui nous a paru être d'environ trois lieues de large, et de cinq lieues de profondeur avec quelques isles et ilots au dedans : La de baye au nord est fermée par un cap escarpé qui commence une chaine de caps et de montagnes très hautes le long de la mer. Et faisant route au nord quart nord-ouest nous avons fait environ cinq à six lieues de chemin le long de la coste des Eskimaux laquelle est de rochers fort hauts, et escarpés sans aucun bois au pied desquels rochers il y a grand fond et sur les sept heures du soir nous avons découvert un cap fort haut escarpé que nous avons nommé Cap percé pour y avoir reconnu au pied une ouverture qui forme un chemin couvert dans le cap au dessus du niveau de l'eau en façon de route lequel chemin communique à une baye dans laquelle nous sommes entrée pour y chercher mouillage environ une lieue et demi dans la de baye laquelle peut être d'une lieue de large dans son entrée sur deux lieues de profondeur, et plus de gros vaisseaux y peuvent entrer facilement pour y trouver havre. Nous avons nommé cette baye du nom de baye des Meniques, pour y avoir vû une quantité de grois poissons d'environ seize pieds de long que les pescheurs apelent meniques, lequel poisson porte un dard sur le dos d'environ cinq pieds de long. Il fait la guerre au loup-marin, et le fait fuir le long de terre, ce qui donne lieu à la pesche sédentaire du loup-marin, lequel passeroit dans le large s'il n'etoit poursuivi par la menique. Au nord et au sud de la de baye il y a des isles et ilots le long de la terre. Et nous avons mouillé entre les dte isles et terre à vingt brasses d'eau l'on a ensuite mis la chaloupe à l'eau et plusieurs de notre equipage sont descendus sur une isle escarpée au haut de laquelle ils ont allumé du feu avec de la tourbe, ayant ensuite aperçus six canots eskimaux avec trois chaloupes qui approchoient sur le champ nos gens se sont embarqués dans la chaloupe et sont venus à bord nous criant de loin de lever l'ancre et d'aller mouiller dans le large afin d'etre plus éloigné de terre et hors de la portée des flèches des Eskimaux : de sorte qu'après avoir changé de mouillage nous avons ensuite disposé notre artillerie, et préparé nos armes afin d'être toujours sur la deffensive au cas d'attaque, et afin de n'etre pas surpris pendant la nuit. Les dts Eskimaux n'osant venir nous aborder ont mis pied à terre dans une isle voisine, où ils faisaient des cris levant leurs avirons en haut et disant en patois tout camera troquo de la balena, non characo, ce qui signifie point de guerre. Je suis ton camarade, troquons de la baleine et ayant à notre bord pris le porte-voix pour leur répondre dans les mesmes termes, trois Eskimaux se sont rembarqués dans leurs canots et sont venus à notre bord, ou ils nous ont fait beaucoup de caresses. J'ay fait la remarque que la veue de notre petite artillerie et des nos armes les intimidoit jusqu'à trembler de tout leur corps par la peur qu'ils en avoient. Et jusqu'a saigner du nez naturellement sans se donner aucun coup, ce qui m'a paru fort singulier. Je leur ay fait quelques présens dont its ont paru flattés, et en retour ils m'ont donné quelques barbes de baleine, avec de leurs habillemens de loup marin qui ne sont d'aucun prix, et que j'ay acepté seulement pour ne pas paroistre rebuter leurs presens après quoy ils ont descendus dans leurs canots, comme ils s'éloignoient du bord je leur ay fait tirer quelques coups de fusil, ce qui auroit paru les allarmer, et leur auroit fait faire des cris comme pour nous demander grâce.

5 juillet 1743 — Après être sorti de la baye des Meniques nous aurions fait environ sept lieues de caps le long de la de Coste des Eskimaux. Ensuite les vents contraires s'etant declaré nous aurions été contraints de chercher havre dans une autre baye d'environ un lieue de large dans son entrée sur plusieurs lieues de profondeur, dans laquelle baye de gros navires peuvent havrer à l'abri de tous les vents ; au nord et au sud de laquelle baye il y a des isles et ilots avant de mouiller les vents setant rangés à l'est nous avons essaye de courir la bordée pour sortir de la de baye, et en mesme tems que les vents nous refusoient, nous aurions aperçus neuf canots eskimaux, et une chaloupe où il ne nous a paru que des femmes et des enfants pour la manœuvrer : de crainte de surprise nous aurions preparé nos armes neuf canots eskimaux ayant gagné le bord, l'un d'entre eux nous auroit fait entendre qu'il se nommoit le capitaine Hapé, lequel voyant que nous ne pouvions sortir de la baye à cause des vents contraires, s'offrit de nous montrer un mouillage pour cela s'etant mis dans son canot, et ayant marché devant nous pour nous montrer la route, il nous auroit conduit dans le fond de la baye pour nous montrer le mouillage où nous aurions resté jusqu'au lendemain. Ensuite le capitaine Hapé étant monté à bord pour rejoindre les siens, en reconnoissance du bon service qu'il nous auroit rendu, je luy auroit fait quelques presens et aux autres sauvages de sa troupe, qui nous ont témoigné bien de I'amitié, et nous ont donné quelques barbes de baleine, nous avons nommé la baye d'Hapé du nom de ce capitaine Eskimaux.

6 juillet 1743 — Les vents étant de la part du sud-ouest nous avons apareillé sur les quatre heures du matin. Comme nous étions à la voile on a vû trois chaloupes d'Eskimaux avec quelques canots de ces barbares dont il n'y a eu qu'un seul canot qui ait pû le bord, les autres n'ayant pu nous joindre ayant fait connoitre à cet Eskimaux notre route, il s'est offert de nous conduire, pour cet effet ayant pris le gouvernail, il nous a piloté fort bien pendant plus de deux heures au sortir de la baye d'Hapé, et il nous a ainsy conduit pendant quatre lieues de caps escarpés jusqu'a l'entrée d'une autre baye qui a une lieue d'ouverture à son entrée et plusieurs lieues de profondeur, dans laquelle baye il nous auroit fait entendre que Le capitaine Araby etoit mouillé, et que c'estoit là ou demeuroit le capitaine Amargo, autre chef des Eskimaux ce qui nous auroit fait porter son nom à cette baye. Le dt Eskimaux, notre pilote, seroit retourné à terre, et nous auroit abandonné voyant que nous ne voulions pas entrer jusqu'au fond de la baye où il vouloit nous conduire. Au mesme tems nous aurions reconnû le batiment du dt Araby qui faisoit voile pour sortir de la baye, et l'ayant attendu pour luy parler, il nous auroit dit que dans la nuit il seroit venu à son bord neuf canots eskimaux, et qu'il auroit vû vingt-deux chaloupes mais que le grand nombre de ces barbares I'auroit empesché de traiter : ce qui est contraire à ce que nous auroit fait entendre l'Eskimaux, notre pilote, en disant que Le capitaine Araby avoit traité de la baleine avec le capitaine Amargo. Le dt Araby auroit ajouté que dans cette baye étoit la troupe d'Amargo, capitaine Eskimaux, que ces barbares étoient en grand nombre, et qu'il ne nous conseilloit pas d'aler plus loin, vu que nous trouverions à qui parler Le Long de la coste à quoy je luy aurois fait reponse que nous avions des armes pour nous deffendre. Comme le dt batiment en société appartenant aux Srs Martel de Brouague et Desaunier, négotiant de Québec, aprochoit de nous, nous aurions reconnu un prestre Recolet parti de Quebec avec le Sr Desaunier commis à la baye Philipeaux pour les dts Srs Brouague et Desaunier, son frère. Ensuite ayant demandé au dt Araby ce qu'il auroit fait des Sauvages qu'on savoit qu'il avoit embarqué pou luy servir de guide, il auroit répondu que la peur des Eskimaux leur auroit fait prendre la fuite, après nous être separé ayant voulu observer la route qu'il tenoit nous l'aurions vu s'en retourner du costé de Bel-Isle n'osant pas sans doute aler plus loin faute de passeport qu'il n'auroit obtenu que pour la baye de Philipeaux.

Notre équipage intimidé de ce que nous auroit dit le dt Araby se seroit revolté disant qu'on les mesnoit à la boucherie, et qu'ils vouloient s'en retourner. Après leur avoir remontré avec Le capitaine que notre vie nous etoit aussy chere que la Leur, Et que le dt Araby n'auroit tenu ce langage que dans la seule veue de les decourager, et de faire echouêr cette decouverte, je les ay menacé Leur disant que j'allois faire mettre à terre les poltrons pour ne garder que les gene de bonne volonté. Ce qui parut d'abord Les intimider et les calmer ; cependant comme ils persistoient dans leur révolte, je les aurois menacé de dresser avec Le capitaine un procès-verbal contre eux, leur declarant qu'ils perdroient leurs gages, et qu'ils seroient puni sur la plainte que je porterois contre eux, ce qui auroit achevé de les calmer. Ensuite ayant mis le cap en route, nous sommes sorti de la baye d'Amargo, et après avoir fait quatre à cinq lieues de caps, nous avons vû à une heure après midy de la fumée dans une autre baye, dont l'entrée n'a qu'une demie lieue Et laquelle en dedans s'élargit de plus en plus, et peut avoir deux lieues de profondeur avec des isles, et ilots et grande eau par toute son entrée, Etant entré dans la dte baye nous avons tiré quelques coups de fusil, et notre surprise a été de voir qu'on nous repondroit à terre par d'autres coups de fusil, ce qui nous auroit fait comprendre que c'étoient d'autres Sauvages que des Eskimaux, parce que ces derniers n'ont pas l'usage des armes à feu, nous aurions mis le cap sur la fumée, et les vents contraires nous auroient obligé de mouiller entre les isles et terre à dix brasses d'eau. Après avoir de nouveau fait tirer d'autres coups de fusil ausquels on nous auroit repondu, sur les huit heures du soir, il seroit venu à notre bord des Sauvages lesquels nous auroient dit avoir été embarqués sur le batiment d'Araby. Comme plusieurs de ces Sauvages parloient françois, je leur aurois demandé pourquoy ils etoient restés à quoy ils m'auroient repondu qu'ils devoient conduire le dt Araby jusqu'a la baye Kessessakiou, mais que le dt Araby ayant eu peur des Eskimaux, il les avoit laissé, et qu'il s'en retournoit. Leur ayant ensuite demandé s'ils connoissoient la de baye, ils m'auroient repondu que ouy, et que si je voulois les embarquer avec leurs femmes, et Leurs enfants, ils nous montreroient la route, Et nous y conduiraient, à quoi j'aurais consenti. Et pour avoir rencontré des Sauvages en ce lieu, nous lui aurions donné le nom de baie des Sauvages.

7 juillet 1743 — Sur les quatre heures de relevée les vents s'etant rangés de la part du sud, et sud, sud-ouest, nous aurions appareillé pour sortir de la de baye des Sauvages, et en passant devant l'endroit où etoient cabanés Les Sauvages on leur a tiré quelques coups de fusil pour les faire venir à bord, où ils seroient venus avec armes et bagages, femmes at enfants, après avoir fait environ deux lieues de chemin le Long de la coste des Eskimaux qui court nord et sud depuis la baye St-Alexis, nous serions entrés dans une chaine d'isles at ilots très hauts, et escarpés qu'on voit jusqu'a huit, et dix lieues dans le large, at après fait route au milieu des dtes isles jusqu'a dix heures du soir, nous aurions mouillé dans les dtes isles que nous avons apelé Isles des Eskimaux, ou Mille Isles. II y a quantité de gibier, et ce que nous aurions remarqué dans ces isles, c'est un grand nombre de monceaux de pierre en forme humaine, qui sont l'ouvrage des Eskimaux qui rôdent toujours dans ces isles ou qui y font leur résidence.

8 juillet 1743 — Les vents au sud ouest, et le cap au nord-ouest quart de nord nous avons levé l'ancre à trois heures du matin, et sur les huit heures nous avons découvert dans la profondeur des terres en une distance tres éloignée une grosse montagne et tres haute que Les Sauvages nous ont dit estre celle de Kessessakiou. Sur le midy un gros vent du nord s'etant élevé avec de la pluye at de la brume, il nous a fallu encore mouiller dans les dtes Mille Isles.

9 juillet 1743 — Les vents s'etant rangés au sud-est quart de sud sur les deux heures de relevé nous avons continué route pour sortir des dtes Milles Isles, dont l'étendue nous a paru estre d'environ vingt cinq lieues de route tres difficile, d'où nous ne sommes sortis que par le secour de nos Sauvages, et nous sommes entrés dans l'ance de la rivière au Sable, ainsy nommé par les Sauvages à cause de la quantité de sable qu'il y a : au fon de laquelle ance est une rivière du mesme nom dont nous avons entendu en passant le bruit de la chûte. Cette rivière, suivant le raport des Sauvages, est poissonneuse et abondante en saumons. Depuis cette rivière le terrain est bas et couvert de bois de sapin at autres bois gommeux, en allant au nord le tour de l'ance est rempli d'un grand nombre d'isles qui sont le long de la terre, ce qui forme cette ance qu'on pourroit nommer baye est une presqu'isle du costé du sud, laquelle avance beaucoup dans le large, et joint par l'autre bout à la terre ferme. C'est par cette pointe que les Eskimaux font le portage de leurs canots. Cette presqu'isle fait une pointe avancée dans le large laquelle est fort difficile à doubler.

10 juillet 1743 - Quoy que les vents soyent de prés nous aurions neanmoins marché en route, et sur les onze heures nous aurions aperçu devant nous une pointe dans le large que les Sauvages nous ont dit former l'entrée de La baye des Eskimaux que les Sauvages nomment Kessessakiou, après avoir passé L'ance de la rivière aux Sables dont nos pilotes ont estimé la longueur d'environ vingt lieues, sur les deux heures apres midy nous aurions doublé la de pointe dont les terres sont basses et nous serions entré dans la de baye des Eskimaux, dont l'embouchure d'une pointe à l'autre nous a paru estre d'environ douze lieues de large laquelle baye retracit dans la suite a huit et neuf lieues et va en diminuant peu à peu, au large de laquelle point d'entrée au sud sont deux iles très haute, l'une grande, l'autre médiocre, après avoir examiné l'embouchure de la de baye cy devant nommée des Eskimaux et par les Sauvages Kessessakiou, nous luy avons donné le nom de baye St. Louis : et nous avons nommé St-Frédéric les deux grandes isles d'entrée. Nous avons apelé pointe de Beauharnois celle qui forme au sud l'entrée de la de baye dont l'autre pointe du costé du nord a été nommé pointe de St-Gilles. Ensuite nous avons fait route pour entrer dans la de baye, qui court dans les terres ouest-nord-ouest, au sud de laquelle à quelque distance de terre nous avons trouvé douze et quinze brasses d'eau ainsy cette baye peut estre utile pour donner havre à de tres gros vaisseaux. Nous sommes entrés dix lieues avant dans cette baye à la faveur des vents de sud-est quart d'est et sur les dix heures du soir qui est l'heure à laquelle le soleil se couche, les vents s'etant jettés au nord-nord-ouest il nous a fallu mouiller à six brasses d'eau entre Les isles, et terre au nord et au sud de la de baye depuis son entrée il y a des iles et ilots le long de la terre qui continue d'être boisée à l'égard de la latitude n'ayant point de pilote pour prendre hauteur nous ne la pouvons pas donner juste. Suivant le coucher du soleil qui est à dix heures du soir au commencement de juillet, l'on estime que cette baye doit être par les 55 et 56 degrés latitude nord. Les Sauvages que j'ay emmené nous ont dit qu'il entra il y a deux ans dans cette baye deux gros navires anglois ce ne peut être que les deux vaisseaux anglois qui vont tous les ans à la baye d'Hudson. Les mesmes Sauvages nous ont assuré qu'au nord de la pointe St-Gilles, sans pouvoir nous en marquer la distance, étoit le grand village des Eskimaux qu'ils disent être en grand nombre à l'embouchure de la riviere Blanche, qu'ils disent être un bras de celle de Kessessakiou que nous nommons rivière St-Louis du nom de la baye ou elle se decharge, et ils assurent que cette mesme rivière St-Louis a une autre branche à la hauteur des terres qui va tomber dans la baye d'Hudson par laquelle les Sauvages descendent en canot pour alller traiter avec les Anglois.

11 juillet 1743 — Etant resté tout le jour mouillé à cause des vents contraires nous serions descendu à terre ; et sur une éminence nous aurions planté deux grandes croix aux pieds desquelles étant à genoux nous aurions chanté plusieurs cantiques et hymnes en action de grâces de notre heureuse arrivée et au mesme lieu nous aurions arboré le pavilion françois en criant à diverses reprises Vive le Roy pour marquer de la prise de possession que nous faisions au nom du Roy, et de la nation française d'une terre qui n'auroit encore jamais été habitée par aucune nation, et dont nous sommes les premiers qui en prenons possession.

12 juillet 1743 - J'aurois souhaité n'ayant plus aucun danger à essuyer pénétrer jusqu'au fond de la baye St-Louis afin d'être en état d'en rendre compte, et de voir la decharge de la rivière St-Louis, mais comme le temps nous pressoit de nous en retourner nous voyant d'ailleurs contrairés par les vents, j'aurois proposé au nommé Pilote, et à son fils de rester avec les sauvages dont il entend la langue, et avec lesquels il est acoutumé d'hyverner dans les bois pour aller reconnoitre le fond de la de baye St-Louis, comme aussy pour aller découvrir les deux bras de la de revière St-Loius, l'un qui va à la baie d'Hudson, et l'autre au grand village des Eskimaux suivant le raport des Sauvages qui ne mettent que douze lieues de distance de la pointe St-Giles. Etant convenu avec le dt Pilote et son fils d'une somme pour leur hyvernement je leur aurois fourni un canot d'écorce, des vivres, des armes, des munitions de guerre, de chasse, et autres effets nécessaires. Les Sauvages au nombre de cinq à six familles ayant consenti de rester avec le dt Pilote je leur aurois fait les mesmes fournitures, et leur aurois donné en présent des habillemens, des couvertures et autres effets tant pour la chasse que pour la pesche. En quittant le dt Pilote et son fils je leur aurois recommandé de ne pas s'exposer le long de la mer à cause des Eskimaux, et je leur aurois promis sous le bon plaisir de M. Le gouverneur général et de M. l'intendant de leur envoyer du secours dès cet automne.

Ensuite nous étant rembarqués nous aurions fait voile le dt jour douze juillet à une heure après midy pour nous en retourner au détroit de Bel-Isle. Les vents s'etant rangés à l'est nous aurions couru bord sur bord pour sortir de La de baye St-Louis. Comme les courans nous jettoient en coste nous aurions touché deux fois en dedans de la pointe Beauharnois d'où nous nous serions heureusement relivé par le moyen d'un ancre porté au large. Et sur les dix heures du soir nous aurions mouillé à la pointe de Beauharnois entre les isles et terre.

13 juillet 1743 - A sept heures du matin nous avons levé l'ancre et à la faveur des vents de nord nous avons depassé la pointe Beauharnois. Et après avoir heureusement traversé la grande ance de la rivière au Sable avec les vents de nord-ouest malgré la brume et la pluye, après avoir doublé La pointe de La Presqu'Ile nous sommes entrés dans les Mille Isles à minuit, les vents étant contraires nous avons jetté l'ancre.

14 juillet 1743 - Nous avons mis à la voile avec Les vents de sud-ouest, et ouest-sud-ouest, et après avoir courru plusiers bords avec les vents qui ont été variables à midy ayant les vents debout nous avons mouille dans les dtes isles à huit brasses d'eau. Le reste du jour nous avons eu de la pluye et du calme toute la nuit.

15 juillet 1743 - Nous avons apareillé avec Les vents au sud-ouest, nous avons fait plusiers bordées dans les dites isles, enfin nous avons jetté l'ancre à midy. Une heure après les vents au nord-ouest nous avons continué route, et nous sommes sortis des Mille Isles. Les vents ayant changé nous avons soutenu dans le large le calme nous a pris qui a duré toute la nuit, ce qui nous a empseché de pouvoir entrer dans aucun havre: Le rouli a été fort gros, nous apprehendions de demâter.

16 juillet 1743 — Les vents de nord, et nord-est nous mettant en route nous avons passé trois bayes le long des caps. Les vents de sud et de sud-est nous ont obligé de ranger la terre pour y chercher un havre, et à la faveur du vent de sud nous sommes entrés dans la baye des Meniques et en y entrant nous avons vû un feu éloigné. Enfin, sur les deux heures de relevée, nous avons mouillé à vingt brasses d'eau près des isles. Une heure après il a paru à la pointe huit canots eskimaux qui ont debarqué sur une isle faisant leurs cris ordinaires auxquels nous avons répondu, ce qui est comme le signal pour leur marquer qu'ils peuvent venir. Les dts Eskimaux s'étant rembarqués dans leurs canots sont venus à notre bord les voyant s'approcher nous avons pris les armes. Ils sont montés à bord et nous ont aporté huit barbes de baleine que j'ay traité avec eux. Une heure après qu'ils se sont retirés il est venu a bord six autres canots eskimaux qui nous ont traité quatre barbes de baleine. Un de ces Eskimaux nous a fait entendre qu'il etoit le capitaine Amargo et que Le capitaine Araby luy avoit fait tirer un coup de fusil sur les loups marins sans doute pour luy apprendre l'usage des armes, avant de nous quitter il nous a aussy fait entendre qu'il alloit dormir, et que le lendemain il emmeneroit d'autres Sauvages de sa nation pour traiter avec nous. J'ay fait donner à ce chef et à sa troupe de la viande cuite qu'ils ont mangé, ils ont bû de l'eau douce qu'on leur a donné ce qui detruit la fable de ceux qui disent que ces barbares ne mangent que des viandes cruês et qu'ils boivent I'eau salée, ce qui paroist impossible de croire, mais ils nous ont refusé du pain, du vin, et de l'eau de vie dont ils ne connoissent point l'usage. Il seroit a souhaiter qu'il en fut de mesme de nos autres Sauvages. Il est à craindre settlement que si cette coste des Eskimaux est établie par un trop grand nombre de François on ne mette ces barbares dans le goust d'user de boissons, comme on a fait aux autres Sauvages. J'ay remarqué que plusieurs d'entre eux saignoient du nez naturellement et qu'ils buvoient leur sang, nos gens pretendoient que la peur en etoit la seule cause, j'ay peine à le croire parce que ces barbares ne nous ont point paru timides, peut-être vouloient ils nous faire entendre qu'ils desireroient ainsy boire notre sang, c'est pourquoy tant qu'ils ont resté à bord nous avons toujours été sur nos gardes.

17 juillet 1743 — Les vents contraires nous empeschant de sortir de La de baye des Meniques sur les sept heures du matin il seroit venu à notre bord vingt-quatre canots d'Eskimaux qui avoient a leur suite dix-huit chaloupes, où il ne nous a paru que des femmes et des enfants avec du bagage. Les dtes chaloupes se seroient tenus un peu au loin n'osant sans doute approcher. Les Eskimaux des vingt-quatre canots après avoir fait Leurs cris ordinaires ausquels nous aurions repondu en nous tenant sur la deffensive, sont montés à notre bord, ou ils ont traité avec nous environ un quintal de baleine, trois canots, des habillemens de loup-marin et quelqu'unes de leurs armes ; car voilà tout le profit que j'ay retiré de ma découverte pour les grosses depenses qu'il m'a fallu faire. Les dts Eskimaux nous voyant appareiller à midy à cause des vents du nord-ouest seroient descendus dans leurs canots pour s'en retourner à terre. Nous n'avons pas plus tôt été sortis de la dte baye que les vents contraires nous ont contraint de courir la bordée le reste du jour, et toute la nuit.

18 juillet 1743 — Les vents du sud et sud-est qui ont duré tout le jour et toute la nuit nous ont fait continuer nos bordées dans le large.

19 juillet 1743 — Les vents au sud-ouest nous avons vû le cap Charles en faisant nos bordées. Le vent a augmenté, et la mer est devenue fort agitée. Sur les sept heures du soir nous voyant proche de la baye des Châteaux nous avons tiré trois coups de canon sur le champ l'on a envoyé au devant de nous une chaloupe qui nous a aidé malgré la nuit et la brume à entrer dans un mouillage à notre arrivée les pescheurs nous ont dit que depuis notre départ ils avoient eu des brumes et des pluyes continuelles avec des vents si impetueux qu'ils nous croyoient perdus sans ressource, et ce avec d'autant plus de fondement, que le nommé Araby à son retour en avoit fait courrir le bruit le long de la coste, et en avoit porté la nouvelle au Tierpon, et dans les autres havres du petit nord dès le lendemain de mon arrivée mon premier soin a été de renvoyer au Tierpon la goélette qui m'avoit été prestée ou elle a été rendue le 21e jour. Il étoit temps de précipiter mon retour, puisque je n'ay resté que trois jours au dt lieu de la baye des Chateaux, et que le 24e juillet je suis parti pour Québec à cinq heures du matin sur le mesme batiment qui m'avoit emmené. Enfin après une longue, ennuyeuse et périlleuse navigation nous sommes enfin arrivé à Québec le 25e aoust jour de St Louis sur les neuf heures du soir : et le surlendemain 27e aoust nous nous sommes tous acquité du vœu que nous aurions fait dans le cours de nôtre voyage.

REMARQUES

J'ay à faire remarquer que dans la découverte que j'ay fait de la baye des Eskimaux aujourd'huy baye St-Louis, nous n'avons pû observer le long de la coste ny dans les bayes les passe-à-loup-marins, d'autant qu'il étoit trop tard, et que le poisson étoit desjà passé pour retourner au nord. Comme le loup marin est abondant le long de cette coste qui est bordée d'une infinité d'isles et ilots, il est à croire qu'il y a un grand nombre de passes, ou l'on peut faire la pesche sédentaire de ce poisson, mais on ne peut les désigner autrement que par conjecture pour les conoitre avec certitude il faudroit fréquenter cette coste. Comme le froid doit commencer plus tôt à la baye St-Louis et le long de la coste des Eskimaux que dans les postes de Labrador, il est incertain si la pesche d'automne pourra avoir lieu, laquelle se fait à Labrodor au mois de decembre jusqu'aux Roys, il paroist bien tard pour la pouvoir faire dans ce mesme tems toute la ressource sera la pesche du printemps.

Ce qui est a observer pour le loup-marin, c'est que ce poisson se retire du grand nord an commencement du froid, et va en cotoyant la terre le long de la coste des Eskimaux, et de celle de Labrador, il passe l'hyver dans le golfe sans remonter le fleuve St-Laurent. Le printems de l'année suivante au mois de juin lorsque les glaces sortent du nord, ce poisson se mesle parmy les glaces, descend le long de la coste, il va jusqu'au détroit d'Hudson : mais il est incertain s'il va passer l'ésté dans la baye d'Hudson, s'il passe le detroit de Davis pour aller dans la mer Christiane, ou s'il va jusqu'aux terres du nouveau Groenland. Ce poisson qui est très abondant est environ trois semaines à passer dans chaque endroit, ce qui fait une pesche successive d'un poste à un autre.

La carte qui est jointe à la présente relation est une carte dressée sur les observations de nos deux Pilotes costiers, mais j'espere dans la suite en donner une plus exacte ou les degrés de latitude seront observés, afin de servir aux vaisseaux du long cours qui cherchent des havres ; et si tost que je seray établi en la dte baye St-Louis, cela me mettra en état de découvrir plus facilement le reste de la coste du nord jusqu'au détroit d'Hudson.

Le grand nombre d'Eskimaux que nous avons trouvé dans la baye des Meniques donnent lieu de croire qu'ils y étoient comme en rendes-vous, d'où ils se disposoient d'aller faire leur pillage le long de la coste de Labrador, ils attendoient que les pescheurs fussent partis, or s'ils se faisoit des établissemens pour la pesche sédentaire du loup-marin dans les bayes et isles qui sont le long de la coste des Eskimaux on empescheroit leurs brigandages, car ces barbares ne trouvant de havre pour se refugier, et pour y estre en sureté, s'éloigneroient de plus en plus, et n'oseroient aprocher du détroit de Bel-Isle, ce qui mettroit les pescheurs, et toute la coste en sureté. Autrefois Les Eskimaux montoient jusqu'a Mingan, mais les établissemens qui se sont fait le long de la coste les ont oblige de s'éloigner, Il en seroit de mesme. Ces barbares sont agiles et habiles à maneuvrer dans leurs chaloupes, les femmes comme les hommes. Ce sont d'insignes voleurs et des pirates à redouter le long de la coste plusieurs fois en s'aprochant de nous pour nous donner des marques d'amitié ils ont par subtilité mis les mains dans nos poches pour nous voler. Nos François qui les ont surpris en flagrant délit ne leur ont point épargné la bastonade, ny les coups de poing pour leur faire rendre ce qu'ils avoient volé, jusqu'aux ustensiles de navires qu'ils vouloient emporter. Toute leur ruse de guerre est de prendre par surprise ou d'ataquer lorsqu'ils se sentant les plus forts. Ainsy connu on n'est pas toujours sur ses gardes et comme il ne reste pas toujours dans les postes le mesme quantité de monde c'est ce qui les rendra toujours redoutables dans la coste nord.

Cependant il sera aussy dangereux que différents concessionnaires fassent des établissemens le long de la coste des Eskimaux parce que si les uns pour les rendre traitables veulent essayer de les attirer, et de lier commerce, d'autres pour les éloigner de leurs postes feront sur eux des actes d'hostilité, d'où il arrivera que ces barbares pour se venger mettront à feu et à sang, et ravageront toute la coste. on n'a vû que trop d'exemples jusqu'à ce jour leur barbarie. Le Sr Marsal en fournit un exemple tout récent dans cette année. Il seroit facile de les humaniser comme les autres Sauvages, ils en ont donné la preuve l'année dernière à la baye des Châteaux, ou ils ont travaillé comme nos matelots à charger le batiment que j'avois envoyé en société ; après avoir traité dans le cours de l'été au dt poste, ils y sont revenus l'automne, et ont resté jusqu'aux glaces sans faire du mal aux quatre hommes qui ont gardé le poste pendant l'hyver.

A l'égard du nombre de ces Sauvages Eskimaux on n'en peut scavoir: ils sont répandus depuis le detroit de Bel-Isle le long de la mer jusqu'au détroit d'Hudson, de sorte qu'ils occupant plus de deux cent lieus de pays. Nos Sauvages disent que le grand village des Eskimaux est environ à douze lieues de la baye St-Louis, et que de là ils se répandent le long de la coste. M. de Laraguy, de Bayonne, actuelement en cette ville, vient de me raporter qu'en 1737 étant allé faire la pesche de la baleine vers le détroit d'Hudson, il fit rencontre dans le large une glace, ou il y avoit plus de quatre cents cadavres, qu'il reconnut être des Hollandois, et des Eskimaux qui s'etoient sans doute battu les uns centre les autres. Cela fait conoitre qu'il ne faut fréquenter cette coste qu'avec beaucoup de précaution à cause du grand nombre, at de la ferocité de ces barbares.

On ne sait rien de leur vie et mœurs non plus que du lieu de leur habitation dans l'hyver, car dans l'ésté ils sont errans et vagabons. On ignore d'ou ils tirent les barbes de baleine dont ils font un grand usage, et qu'ils trafiquent avec nous. On ne sçait s'ils font la pesche de la baleine, ou bien si ce sont des baleines qu'ils trouvent échouées le long de la coste : le dernier me paroist plus probable d'autant que les barbes qu'ils nous ont trafiqué ne paroissoient pas fraichement arrachées, mais vieilles et batues de la mer. Cependant je leur ay vû des dards et des harpons semblables à ceux dont nous nous servons pour cette pesche. Pour leur nourriture, ils vivent de toutes sortes de poissons et oiseaux de mer qu'ils tuent avec des flesches et des dards à plusieurs branches de fer amanchés au bout d'un long baton qu'ils lancent adroitement, et d'une manière singulière, car les flèches et les dards sont toutes leurs armes. Ils cabanent en rang comme les autres Sauvages, avec cette différence que leurs cabanas sont couvertes de peaux de loup-marin; et que les autres se servant d'écorce d'arbres. Leur chasse est le long de la mer, et non dans les bois, ou ils n'osent pénétrer par la crainte qu'ils ont des Sauvages des terres. Pour leur habillement, ils sont vêtus de peaux de loup-marin qu'ils sçavent passer et coudre fort artistement avec du nerf. Les hommes ont un capot ou pourpoint cousu devant et derrière qui leur descend à la ceinture, avec un capuchon cousu avec l'habit pour se couvrir la teste, ils ont des culotes, des bottes ou brodequins ausquels est attaché le soulier. Les femmes portent un pourpoint de mesme avec un capuchon fort grand dans lequel elles mettent leurs enfans a la mamelle : avec cette différence que leur pourpoint a une longue queue qu'elles se passent entre les cuisses pour l'attacher par devant avec deux boutons ; au lieu de culotes elles ont des brodequins ou bottes qui leur montent à la ceinture avec un soulier joint à la botte. Les hommes, et les femmes ont un casque de bois sur le front attaché derrière la teste à cause du soleil pour se conserver la veue. A l'egard de leur navigation ils se servent de canots dans chacun desquels il n'y a que la place d'un homme. Les femmes avec les enfans vont dans les chaloupes qui leur servent à porter leur bagage, et dans lesquels elles manœuvrent fort bien. Leurs canots sont pointus par les deux extrémités, et sont revestus de peaux de loup-marins si bien cousus ensemble avec de la baleine qu'ils ne prennent point l'eau. pour leurs chaloupes ils les volent aux pescheurs le long de la coste de Labrador, et au Petit Nord, ils en font quelques-unes, mais au lieu de bordages, ils les couvrent en dehors de peaux de loup-marins, ils les garnissent de voiles commes les nôtres.

Pour en sçavoir davantage il faudroit pouvoir les frequenter, et apprendre leur langue. Si je n'avois apprehendé faire un acte d'hostilité j'aurois essayé de prendre un jeune homme de quinze à seize ans afin d'apprendre sa langue, et de luy apprendre la nôtre, mais cela pourra avoir lieu dans la suite.

Si j'ay laissé deux hommes à la dte baye St-Louis j'ay cru le devoir faire pour avoir une juste connoissance de la profondeur des terres, et pour examiner les passes à loup-marine. Je me suis flatté que M. le gouverneur-général, et M. l'intendant auroient pour agréable mon zèle, ainsy comme il importe de partir cet automne pour porter du secours aux deux François et aux Sauvages que j'ay laissé au dt lieu, et comme il est nécessaire à cause de la distance des lieux, et de la rigueur du froid qui commence de bonne heure dans le nord de faire partir sans délais, c'est pourquoy j'ay eu l'honneur de présenter mon placet à M. le gouverneur-général, et à M. l'Intendant pour les prier de m'accorder la permission d'y envoyer cet automne, et de me donner le brevet de concession de la de baye St-Louis dont j'ay l'avantage d'avoir fait la découverte.

Quebec 20e 7b 1743.

FORNEL.

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