La prospérité et la fin de la pêche migratoire, 1803-1815

La tendance dans le secteur de la pêche, qui s'était amorcée après 1793, s'est manifestée de façon encore plus évidente après 1803, soit lors de la première phase des guerres napoléoniennes. Au début, le commerce lié à la pêche a connu peu de changements. Par exemple, l'importance du marché des Indes occidentales (les Antilles) pour la vie économique de Terre-Neuve a connu un regain de vitalité, et ce, principalement à cause des marchés portugais qui ont atteint une saturation en 1805. Toutefois, une série d'événements à la fin de 1806 a eu un effet à la fois spectaculaire et bénéfique sur le commerce de la pêche.

Le blocus continental établi par Napoléon avait pour but d'empêcher la Grande-Bretagne de commercer avec l'Europe. Le gouvernement britannique a riposté en imposant un blocus naval qui a affecté tous les ports desservant l'Europe napoléonienne. Des pays commerçants neutres, comme les États-Unis, se sont trouvés pris au cœur de cette guerre économique et leur droit de commercer librement était désormais menacé. En 1807, les États-Unis ont donc établi leur propre embargo en empêchant le commerce avec certains pays, comme la Grande-Bretagne, qui limitaient intentionnellement la libre circulation des marchandises.

Puisque ces mesures avaient été prises pour dérégler le commerce maritime, il est ironique de constater qu'elles ont plutôt contribué à stimuler le commerce britannique dans le secteur des pêches de Terre-Neuve. Les marchés du sud de l'Europe ont continué d'importer du poisson en dépit des décrets de Napoléon. De plus, la décision des États-Unis de cesser le commerce avec l'Empire britannique a ouvert la porte à des échanges commerciaux plus directs entre Terre-Neuve et les Indes occidentales. Dès lors, le commerce des pêcheries a connu un véritable essor. La guerre d'indépendance espagnole qui a eu lieu au Portugal et en Espagne après 1808 a rétabli progressivement l'activité commerciale de ces marchés tandis que la déclaration de la guerre anglo-américaine de 1812 a provoqué une suspension complète de l'industrie américaine de la pêche. Le poisson de Terre-Neuve jouissait donc d'un monopole enviable sur les marchés de l'Europe et des Indes occidentales.

La production de poisson à Terre-Neuve a plus que doublé afin de pouvoir répondre à la demande. Les prix ont augmenté comme jamais auparavant (passant de 24 à 32 shillings par quintal en 1813). Il était difficile de trouver des bateaux pour transporter tout ce poisson vers les différents marchés. En 1811, plus de 900 000 quintaux de poisson ont été importés par les principaux marchés de la péninsule ibérique et des Antilles britanniques; en 1815 les quantités ont atteint près de 1,2 million de quintaux. La pêche et le commerce afférent ont alors connu une ère de production et de prospérité encore inégalée.

Séchage du poisson, St. John's, T.-N.-L. (s.d.)
Séchage du poisson, St. John's, T.-N.-L. (s.d.)
Sur ce dessin du 19e siècle, on peut voir la principale méthode de séchage du poisson utilisée à Terre-Neuve au cours de ce siècle.
Dessin de Percival Skelton. Tiré de Newfoundland, the Oldest British Colony, de Joseph Hatton et M. Harvey, Londres, Chapman and Hall, 1883, p. 291.

La pêche migratoire n'aura pas eu un grand rôle à jouer dans le cadre de ces activités puisqu'elle était déjà en voie de disparition. Presque tout le poisson exporté de Terre-Neuve était désormais pêché par des pêcheurs résidents. En 1800, dans la plupart des régions de Terre-Neuve, 9 personnes sur 10 étaient des résidents permanents et les autres (les 10 % restants) étaient des membres d'équipage des navires ravitailleurs et des bateaux affectés au transport des cargaisons (sack ships) et non pas des travailleurs de la pêche migratoire. Les marchands dont les fortunes reposaient jusque-là sur la prospérité de la pêche migratoire ont commencé à se désintéresser de l'industrie de la pêche pour se tourner vers des activités plus lucratives telles que l'approvisionnement des habitants-pêcheurs. Après avoir constaté que « chaque nouveau ''pionnier'' qu'ils avaient initié à ces nouvelles activités avait fait en sorte que la pêche migratoire s'avérait désormais de moins en moins nécessaire et viable », Keith Matthews a conclu que « la pêche migratoire avait disparu notamment à cause d'un excès de prospérité; (Matthews, 1968, p. 546, 603) ». [Traduction libre] C'est aussi pour cette même raison que la population de Terre-Neuve a pu croître au cours de cette même période. L'industrie des pêcheries, qui était autrefois basée en Angleterre, était désormais établie à Terre-Neuve. Grâce à cette transition, l'île, qui était considérée jusqu'alors comme une simple pêcherie, est devenue une véritable colonie"

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