Le voyage annuel

C'est entre décembre et février que sont réglées les ententes financières et l'armement d'un bateau de pêche. L'équipage, engagé en janvier et février, est entassé à bord. Il peut compter jusqu'à 80 hommes, le nombre correspondant au tonnage du bateau soit un homme par tonne. Ces hommes vivent et dorment où ils peuvent, habituellement sur le pont et exposés aux éléments.

Les bateaux de pêche prennent la mer en mars ou en avril, assez souvent un peu plus tôt. Par exemple, en 1670, le Marigold, quitte le port de Plymouth en février. Un départ plus tardif entraîne de nombreux inconvénients. D'abord, l'impossibilité d'avoir accès aux meilleures installations de transformation du poisson (les Rooms) et sa zone de pêche. Ensuite, la possibilité de rater la venue du capelan qui fraye sur les plages en juin. Le capelan sert d'appât dans la pêche à la morue. L'arrivée à Terre-Neuve au début de mai est le principal objectif d'un capitaine d'un bateau de pêche.

Lorsque le bateau n'est plus utilisé pour la pêche, il est mis en cale sèche ou arrimé et démâté. L'équipage s'affaire ensuite à construire ou à réparer les chafauds, les petites cabanes temporaires en bois rond réservées à l'hébergement (les tilts), et les vigneaux. La méthode de préservation du poisson peut varier : salage et séchage ou marinage.

Le territoire de pêche

Les pêcheurs originaires du sud-ouest de l'Angleterre n'ont pas la liberté de choisir leur lieu de pêche à Terre-Neuve puisqu'ils ne sont pas les seuls pêcheurs sur l'île. Les Français sont maîtres d'un territoire de pêche qui longe la côte sud et se prolonge au nord du cap Bonavista. En 1662, ils établissent même une colonie à Plaisance (Placentia). De leur côté, les pêcheurs anglais préfèrent pêcher dans les eaux qu'ils connaissent bien, entourés de pêcheurs provenant du même coin de pays. Ils y reviennent chaque année. Puisqu'ils préfèrent la pêche sédentaire où l'on sèche le poisson, ils cherchent un endroit offrant à la fois un boisé, des conditions météorologiques clémentes, des plages et des lieux de pêche.

Au 17e siècle, le territoire de pêche anglais, dite « la côte anglaise » s'étend sur une partie de la côte est, du nord de Trepassey jusqu'à Bonavista. Ce territoire est subdivisé en fonction du lieu d'origine des pêcheurs du sud-ouest de l'Angleterre. Ainsi, ceux qui proviennent du Devonshire se concentrent dans une portion du territoire, ceux du Dorset en préfèrent une autre, et ainsi de suite. Les Anglais cohabitent avec les Français du sud de Renews à Trepassey. À Trepassey, l'amiral de la pêche est toujours un Français. Le territoire au-delà de St. Mary appartient aux Français. Ceux-ci règnent également sur les bancs de pêche en haute mer. Les Anglais ne s'adonneront pas à ce type de pêche avant le 18e siècle.

La pêche

La pêche à la morue s'amorce en juin. Dans de petites embarcations, les pêcheurs lancent à la main leurs lignes appâtées. Ils pêchent de l'aube au crépuscule. Sur le rivage, des équipes parent le poisson sur les chafauds pour le salage et le font sécher sur les vigneaux. Cette activité se poursuit sans répit tout l'été jusqu'aux préparatifs de retour vers la fin août.

Hameçon, vers 1675
Hameçon, vers 1675
Un bon exemple d'un petit hameçon en fer au bout d'une ligne à main, vers 1675. Avant le 19e siècle, l'extrémité de l'hameçon est aplatie. Cette caractéristique disparaît et est remplacée par un œil où se rattache la ligne. Cet hameçon a été retrouvé sur le site archéologique de Ferryland.

Avec la permission du Département d'archéologie, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Poids de plomb, vers 1675
Poids de plomb, vers 1675
Un bon exemple d'un poids de plomb datant de 1675. Il servait à lester une ligne à main. Ce poids a été retrouvé sur le site archéologique de Ferryland.

Avec la permission du Département d'archéologie, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les pêcheurs démontent ou abandonnent la majorité du matériel. Le coût de remplacement des installations est pourtant très élevé et les meilleures installations sont l'objet de toutes les convoitises. L'habitude est alors prise de laisser des hommes sur l'île pendant l'hiver. Vers les années 1670, entre 2000 et 3000 hommes habitent Terre-Neuve toute l'année. Impossible toutefois de savoir s'ils s'y établissaient de façon permanente.

Le marché du poisson

Lorsque les bateaux de pêche prennent le chemin du retour avec les équipages, d'autres navires se dirigent vers les marchés avec leur cargaison de poisson. On appelait sack ships , ces bateaux consacrés au transport des cargaisons. À leur arrivée à Terre-Neuve en juillet, on commence le chargement du poisson pour quitter l'île absolument en septembre sinon on n'obtient pas les meilleurs prix. Inévitablement, le premier arrivage est avantagé, que le navire accoste à Cadiz, Lisbonne, Oporto, Bilbao ou tout autre port de l'Europe méridionale. Sa cargaison de poisson rapporte généralement entre 15 et 20 shillings du quintal. Le prix des arrivages ultérieurs s'élève à 10 shillings ou moins selon la qualité de la marchandise.

Les prix diffèrent tellement que des bateaux repartent en direction de l'Europe avant même d'avoir une pleine cargaison. En effet, le temps sacrifié au chargement risque d'être plus coûteux qu'un surplus de poisson. Après la vente de sa cargaison, le capitaine en cherche une deuxième, que ce soit dans le port d'arrivée ou un autre. Il finit par rentrer en Angleterre, mais pas avant d'avoir livré, au préalable, d'autres cargaisons sur les instructions d'un entrepreneur marchand dont les activités commerciales sont diversifiées. Ainsi, un navire peut partir vers l'Amérique avec une cargaison de fruits et de vins espagnols, d'articles de ferronnerie et de soie et repartir ensuite en direction de Terre-Neuve ou des Antilles avec une autre.

Si la pêche à Terre-Neuve est saisonnière, l'industrie de la pêche ou le commerce du poisson ne l'est pas. Les activités de l'entrepreneur marchand s'étirent sur toute l'année. En hiver, il s'occupe de l'armement du bateau. Au printemps, il se rend Terre-Neuve. En été, la pêche accapare tout son temps. En automne, il ramène son équipage en Angleterre et le poisson séché au marché. Ces activités effrénées en font une affaire complexe.

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