Sir David Kirke et la plantation de Terre-Neuve

La carrière de David Kirke (vers 1597-1654) était tumultueuse bien avant son aventure à Terre-Neuve. En 1627, année du déclenchement de la guerre entre la France et l'Angleterre, le roi Charles 1er charge David Kirke d'attaquer les Français du Canada. Il monte alors deux campagnes avec l'aide de ses frères et parvient à obtenir la capitulation de Québec en juillet 1629. Il reste au Canada jusqu'en 1632 avant d'être fait chevalier l'année suivante.

Sans doute s'est-il rendu jusqu'à Terre-Neuve, car il en rédige une description de l'île en 1635. Deux ans plus tard, Charles 1er octroie l'île à David Kirke, le marquis de Hamilton et les comtes de Pembroke et Holland. Le droit de propriété que détenaient les descendants de George Calvert est annulé, car la famille Calvert a apparemment abandonné Ferryland. Le souverain consent implicitement à l'appropriation de la colonie par David Kirke.

David Kirke, 1597-1654
David Kirke, 1597-1654
David Kirke a rédigé une description de Terre-Neuve en 1635.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (MF231- 411), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Image modifiée par Wendy Churchill, 1999.

Un monopole commercial

Toutefois, il ne s'agit pas d'une concession de propriété, mais plutôt de l'attribution d'un monopole commercial. Les lettres patentes accordent à leurs titulaires, connus sous le nom de Company of Adventurers to Newfoundland, l'autorisation d'accepter comme partenaires des marchands, et la reconnaissance de droits commerciaux exclusifs à Terre-Neuve, sauf pour la pêche. Les Français et les Hollandais conservent leur accès aux zones de pêche et leur droit de transporter des cargaisons de poissons jusqu'à la Méditerranée, mais l'imposition d'une taxe de 5 % sur le poisson vise à les dissuader de se prévaloir de ses avantages. Ainsi, les marchands du sud-ouest de l'Angleterre sont assurés de garder le monopole de la pêche et les titulaires des lettres patentes, le transport du poisson. Dès le départ, c'est une entreprise londonienne (Kirke, Barkeley and Company) sous la conduite des frères de David Kirke, John et James, qui représente les titulaires des lettres patentes. Comme ils sont déjà intéressés par le commerce du poisson, la plantation (c.-à-d. l'installation côtière abandonnée par Calvert) de Terre-Neuve les attire naturellement. David, John et James Kirke sont les premiers véritables marchands de poisson de l'île. Les pêcheurs dépendent d'eux pour l'échange de leurs prises contre des biens.

David Kirke ne met pas seulement la main sur les bâtiments et les installations de Ferryland. Les frères Kirke héritent aussi de ses relations commerciales. En effet, Ferryland et les ports du sud-ouest de l'Angleterre entretiennent des liens étroits. Des bateaux et des hommes sont couramment envoyés dans la partie sud de la péninsule d'Avalon. En 1638, les rapports commerciaux entre Ferryland et le port de Dartmouth remontent déjà au siècle dernier. Cette connexion provoque sûrement l'animosité de certains marchands de cette région du sud-ouest envers les Kirke qu'ils tiennent pour des intrus. Ces liens expliquent aussi l'intégration du port de Dartmouth dans les réseaux commerciaux de George Calvert et David Kirke. L'utilité des connaissances que les marchands de Dartmouth ont acquises sur l'île et le territoire situé entre St. John's et Ferryland, ainsi que les relations personnelles cultivées de part et d'autre de l'Atlantique sont trop cruciales pour être négligées. Après 1660, les relations se renforcent avec les ports de Barnstaple et Bideford dans le nord du Devon. Il en va de même avec les ports de pêche de la Nouvelle-Angleterre, surtout avec celui de Salem au Massachusetts.

Ferryland se révèle aussi un important centre administratif et concurrence même St. John's au milieu du 17e siècle. De 1638 à 1651, sir David Kirke occupe le poste de gouverneur de Terre-Neuve et il entretient même une cour à Ferryland.

La Première Révolution d'Angleterre (1642-1648) aboutit à la victoire du parlement et scelle la chute de David Kirke comme gouverneur et propriétaire. C'est un royaliste et donc un ennemi du gouvernement du Commonwealth. En 1651, ses biens sont mis sous séquestre. Les saisies sont généralement temporaires, car les royalistes peuvent récupérer leurs biens en versant une amende dont le montant atteint 10 % à 50 % de leur valeur. C'est ce que fait sir David Kirke en 1653. Il demeure pourtant sous surveillance pour des crimes qui ne sont pas tous de nature politique.

En effet, il exerçait un monopole commercial agréé par Charles 1er, conjointement avec un groupe de courtisans. Déjà en soi une faute grave, l'affaire se corse lorsqu'il transparaît que ses machinations influençaient indûment les activités du syndicat en faveur de l'entreprise Kirke, Barkeley and Company plutôt qu'à l'avantage des titulaires des lettres patentes. Ses trois associés aristocrates meurent dès la fin de la révolution, deux d'entre eux sur l'échafaud. Le voilà seul à comparaître devant la justice. Il est, de plus, convoqué à Londres en 1651 pour faire face à une poursuite engagée par Cecil Calvert, deuxième baron Baltimore. Il décède à Londres à la prison de Southwark au début de l'année 1654. La fonction de gouverneur est alors confiée à John Treworgie du Maine, un marchand puritain natif de Dartmouth.

Cecil Calvert, 1606-1675
Cecil Calvert, 1606-1675
Tiré de Narrative and Critical History of America: English Explorations and Settlements in North America 1497-1689, Justin Winsor, éditeur Houghton, Mifflin & Company, Boston, 1884, vol. III, p. 546.

Lady Sara Kirke

Le problème du droit de propriété de Terre-Neuve refait surface durant la Restauration, qui s'amorce en 1660 sous le règne de Charles II. Même si son mari avait servi le père du nouveau monarque, et malgré les touchants arguments présentés par Lady Sara Kirke, Cecil Calvert recouvre le droit de nommer les administrateurs de la colonie d'Avalon en 1661. Ceux-ci représentent le visage de l'appareil administratif, mais n'en font nullement tourner les rouages comme le décrit une pétition de l'époque. Ils ne sont en fait que des collecteurs de loyers. La veuve de sir David Kirke et son fils aîné George y jouent le même rôle que celui de la petite noblesse en Angleterre.

Lady Sara Kirke s'occupe de la gestion de la plantation Pool à Ferryland de 1651 jusqu'à sa retraite en 1679. Ses fils mettent sur pied leurs propres plantations à Ferryland et à Renews. La famille règne encore sur le havre quarante ans après son arrivée. Dans les années 1670, les deux générations de familles élargies habitant cinq maisons, possèdent également des plantations. Les recensements menés entre 1670 et 1680 par les contre-amiraux de la marine royale révèlent que Ferryland est une des colonies les plus stables de l'île avec une démographie en plein essor. Elle se distingue par ses grandes plantations et l'attention accordée aux activités agricoles. Jusqu'en 1696, trois des fils de sir David Kirke, George, David fils et Phillip, demeurent des habitants-pêcheurs très importants sur la côte sud de l'Avalon.

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