Avant l'arrivée de Jean Cabot

On a longtemps présumé que l'expédition de Jean Cabot sur le Matthew en 1497 constitue le début de l'exploration de Terre-Neuve par les Européens. La simple idée que les Scandinaves ont voyagé jusqu'à Terre-Neuve 500 ans auparavant était rejetée du revers de la main et jugée fantaisiste et légendaire. C'est que les seules preuves de ces voyages sont des sagas, des récits écrits bien plus tard et embellis d'histoires fantastiques plus près de l'imaginaire que de la réalité. De plus, les sagas offrent peu de détails et se contredisent les unes les autres. Les soi-disant découvertes faites par les Scandinaves n'ayant abouti à aucun établissement permanent dans le Nouveau Monde, ces prétentions semblaient invraisemblables. Les historiens en concluent simplement que le Vinland est une invention, sauf dans l'esprit des conteurs.

La saga d'Érik le Rouge
La saga d'Érik le Rouge
Un extrait d'un manuscrit (Hauksbók) du début du 14e siècle décrit la découverte du Groenland par Érik le Rouge et celle du Vinland par son fils Leif Eriksson dit le Chanceux. Pendant des années, les spécialistes écartent l'existence même du Vinland qui n'est, pour eux, qu'une création de conteurs. Pourtant, ces sagas donnent des indications sur des voyages et des découvertes qui se sont réellement produits et mentionnent des caractéristiques géographiques. Voici la traduction de cet extrait de la saga :

Un jour, le roi [Olaf Tryggvason] s'adressant à Leif lui dit : « Prévois-tu te rendre au Groenland cet été ? » « Oui, lui répond-il, si c'est bien là votre volonté. » Le roi déclare : « Je crois que c'est bien ainsi et la mission que je te confie est de porter en cette terre la foi chrétienne. » Leif lui répond qu'il en fera selon la volonté du roi, mais que cette mission lui semble difficile à accomplir au Groenland. Le roi lui dit qu'il ne connaît personne mieux à même de la remplir et lui souhaite bonne chance. « Seulement si je peux m'appuyer sur la vôtre, » réplique-t-il. Leif prend la mer et navigue fort longtemps. Il débarque en un endroit où il n'espérait point trouver terre. Il y découvre du blé sauvage et des vignes, des arbres appelés érables, et il en rapporte des preuves dont des billots si gros qu'ils ont servi à construire des habitations. Leif porte secours à des hommes perdus en mer et les ramène en son pays. En ceci comme en cela, il démontre sa magnanimité et son courage lorsqu'il porte la foi chrétienne en cette terre, et a été depuis connu sous le nom Leif le Chanceux. [traduction libre]
Tiré de la collection Arnamagnæan, Copenhague, no 544, 4 : Hauksbók, début du 14e siècle. Description et illustration tirées des Icelandic Sagas and Manuscripts : Jónas Kristjùnsson, Saga Publishing Co., Reykjavik, Islande, © 1970, p. 12. Illustration avec la permission de l'institut Arnamagnæan, Université de Copenhague, Copenhague, Danemark.

Nous savons maintenant, grâce aux fouilles réalisées à l'Anse-aux-Meadows, que les Scandinaves se sont rendus jusqu'à Terre-Neuve. Ainsi, le bien-fondé de leurs prétentions s'est avéré. Ils étaient bel et bien les premiers à avoir traversé l'Atlantique. Si les aventures des Scandinaves, qui semblaient relever du mythe, se révélaient réelles, ce pourrait-il que d'autres aient également traversé l'Atlantique avant eux ? Certains ont émis l'hypothèse que les Phéniciens, qui étaient techniquement compétents et capables de sillonner les mers, auraient accompli cet exploit. Vers 330 av. J.-C., le géographe et mathématicien Pythéas aurait traversé l'Atlantique et atteint l'Île de Thulé au-delà de la Grande-Bretagne. En 1969 et 1970, le navigateur Thor Heyerdahl aurait navigué l'Atlantique sur des bateaux fabriqués de roseaux, les Ra I et Ra II, afin de prouver que les marins de l'Égypte antique avaient pu traverser l'océan. Toutes ces hypothèses apparaissent aussi incroyables et extravagantes que celles rattachées aux Scandinaves l'étaient pour les spécialistes d'il y a 100 ans. Même si aucun de ces supposés voyages ne relève du domaine de l'impossible, la plupart des historiens restent méfiants, et ce, pour deux raisons. La première est qu'il n'existe aucune preuve incontestable telle qu'un manuscrit, une carte géographique ou des vestiges archéologiques pour les confirmer. La deuxième est que, même si ces voyages ont eu lieu, quelle importance historique pourraient-ils bien avoir si leurs traces se sont perdues dans la nuit des temps et s'ils n'ont pas réussi à établir de liens entre l'Ancien et le Nouveau Monde? Peu importe, car pour les Européens du Moyen âge, ces légendes et ces histoires leur permettaient de croire qu'au-delà de l'océan Atlantique s'étendaient d'autres terres.

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