L'arrière-pays de Terre-Neuve

La cartographie que James Cook réalise en 1770 de l'île de Terre-Neuve (General Chart of the Island of Newfoundland) est la première représentation passablement fidèle de l'arrière-pays. Une portion repose sur son exploration de la rivière Humber jusqu'au lac Deer, l'autre provient des Mi'kmaq qui l'ont renseigné sur le réseau hydrographique entre la baie St. George et le lac Grand.

John Cartwright

De l'autre côté de l'île, la possibilité d'une prise de contact avec les Béothuks suscite plusieurs incursions à l'intérieur des terres. En 1768, le lieutenant John Cartwright explore la rivière Exploits et se rend jusqu'au lac Red Indian (qu'il baptise Lieutenant's Lake). Il croit d'ailleurs à tort que ce lac est relié au lac Grand. Ses cartes illustrent pour la première fois le réseau hydrographique de la rivière Exploits.

John Cartwright : « Croquis de la rivière Exploits », 1773
John Cartwright : « Croquis de la rivière Exploits », 1773

Traduction d'une transcription d'un texte associé au croquis de la rivière Exploits réalisé par John Cartwright
Cette rivière, à partir de sa source jusqu'à Upper Sandy Point, est parsemée d'écueils dont certains resserrent les eaux en un étroit passage. Le fond de nombreux écueils est couvert de galets, parfois fins, parfois grossiers, ou de pierres arrondies dont la grosseur varie de la taille d'un melon jusqu'à un diamètre de 6 (1,82 m), 8 (2,44 m) et même plus de 10 pieds (3 m); à d'autres endroits, le fond est une large couche rocheuse. Les deux rives sans exception sont boisées.

Ces amas rocheux, qui s'étirent dans la rivière, façonnent une chute ou perturbent le courant et révèlent, au son qu'ils font entendre, des rapides. Dans la rivière Exploits, partout sauf à Flat Rattle, ce lit rocheux de la rivière s'étend sur les deux berges et ses extrémités ont résisté à l'érosion du courant. En d'autres lieux, le sol meuble a élargi la rivière en usant les berges, laissant la rivière prisonnière des rapides. Lorsqu'un dégel hâtif fracture les glaces, elle déborde de son lit; gonflée de 15 (4,57 m) à 20 pieds (6 m) elle inonde les rives. Elle envahit le boisé et les glaces à la dérive marquent les troncs.

La rivière Rangers, le plus important tributaire de la rivière Exploits, serait un déversoir du lac Prospect. John Cousens le constata de la cime de la montagne Labour-in-vain. Cette observation n'est sans doute point fausse puisque ses eaux se déversent à cet endroit proprement dit dans la rivière. Toujours du sommet de la montagne, il aperçut les étangs interdits et le territoire alentour constellé d'étangs et de ruisseaux, et qui lui offrait l'occasion de tuer un grand nombre de castors. Il fut immédiatement déçu de voir de la fumée s'élever de plusieurs wigwams érigés près des étangs interdits. Il a donc dû s'éloigner vers un autre territoire.

Le rapport de John Cousens constitue la source des représentations des étendues d'eau Thunder Brook, North arm Brook, Peter's Brook, Chandler's Brook et Shoot Brook, et de toutes les autres étendues d'eau entre la rivière Exploits et la baie Gander, de même que des huttes dessinées à proximité. Il les a toutes découvertes au cours de sa chasse à la pelleterie. L'exactitude de son rapport et son bon sens furent jugés avant que ne soient introduites ses descriptions dans ce croquis.

Avec la permission des Archives nationales du Canada /NMC 27.

Le lieutenant David Buchan

John Cartwright ne rencontre pas de Béothuks. Aucune autre expédition dûment approuvée n'a lieu avant 1810. Cette année-là, le gouverneur Duckworth confie au lieutenant David Buchan la mission d'explorer la rivière Exploits et de nouer des rapports amicaux avec les Indiens. David Buchan parvient au lac Red Indian en janvier 1811, mais il bat en retraite lorsque des Béothuks tuent deux de ses hommes. En 1819-1820, il se rend de nouveau au lac Red Indian pour y retourner le corps de Demasduit (Mary March). Les cartes qu'il a dessinées ne sont jamais publiées.

William Epps Cormack

William Epps Cormack (1796-1868) est originaire de Terre-Neuve et a fait ses études en Écosse. Il aimerait lui aussi établir des liens avec les Béothuks et a bien l'intention d'explorer l'arrière-pays. Le 5 septembre 1822, il quitte le détroit de Smith dans la baie de la Trinité en compagnie de Joseph Sylvester, un guide mi'kmaq. Le 4 novembre, épuisé, il arrive à la baie St. George. Même si son souhait de rencontrer des Béothuks ne se réalise pas, cet échec ne diminue en rien l'importance de son expédition d'exploration dans l'histoire de Terre-Neuve.

Le trajet de William Cormack en 1822
Le trajet de William Cormack en 1822
Avec la permission de la cartothèque de la Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.L.

Il semble que William Cormack est la première personne de descendance européenne à accomplir la traversée de l'île. Sa formation scientifique lui permet d'observer soigneusement la faune et la flore, et de relever les formations géologiques. Il note les renseignements que lui fournissent les Mi'kmaq, notamment sur leurs activités dans cette région et les chemins qu'ils parcourent.

William Epps Cormack
William Epps Cormack
Avec la permission du service Archives et collections spéciales, bibliothèques Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Un article de William Cormack intitulé Narrative of a Journey across the Island of Newfoundland in 1822 [Récit d'un voyage dans l'île de Terre-Neuve en 1822] est d'abord publié dans la revue Edinburgh Philosophical Journal (1823-1824). Une version plus longue paraît sous forme de livre plus tard. Cet ouvrage offre la première carte géologique de Terre-Neuve. Il comprend également l'information que William Cormack a recueillie au cours de son expédition. C'est un classique du livre d'expédition de Terre-Neuve. (George Story, 1976) Ce livre demeure pendant de nombreuses années une des rares sources de renseignements sur l'arrière-pays et a laissé une empreinte considérable. En effet, des noms de lieux persistent encore aujourd'hui, par exemple Mount Sylvester, lac Serpentine, lac George IV et Jameson's Hills.

Carte dessinée par Cormack, 1824
Carte dessinée par Cormack, 1824
Cette carte fut la première à fournir des renseignements sur l'arrière-pays de l'île de Terre-Neuve.
Tiré du Edinburgh Philosophical Journal, vol. X, no. 19, janvier 1824. Avec la permission de Kurt Korneski.

William Cormack effectue une seconde expédition dans l'arrière-pays cinq ans plus tard. Il remonte alors la rivière Exploits, de nouveau à la recherche des Béothuks. Son groupe explore le territoire qui s'étend de la baie Exploits à la baie Blanche, ainsi que l'extrémité est du lac Red Indian.

Ces expéditions, et toutes les autres qui n'ont pas laissé de traces dans l'histoire, ont dévoilé aux Européens des caractéristiques géographiques de l'arrière-pays de Terre-Neuve. Bien entendu, les Mi'kmaq en avaient déjà une connaissance approfondie bien avant l'arrivée de William Cormack. Au cours du 19e siècle, les Européens ont peu à peu étoffée la leur, parfois avec l'aide des guides mi'kmaq.

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