L'exploration de l'arrière-pays de Terre-Neuve

La géologie et les communications

Les expéditions de William Cormack n'ont pas provoqué de ruée dans l'arrière-pays de Terre-Neuve. Il est donc resté le domaine des Mi'kmaq pendant une bonne partie du 19e siècle. La nomination de Joseph Beete Jukes (1811-1869) au poste d'arpenteur-géomètre en 1839 change la situation. Il parcourt alors le territoire côtier pendant 16 mois et consigne ses observations. Même si ses levés géologiques portent principalement sur le littoral, il n'en remonte pas moins la rivière Humber jusqu'au lac Deer. Il se rend ensuite de la baie St. George au lac Grand en compagnie de Sulleon, un guide mi'kmaq. Il explore cette région pendant 9 jours. Les Mi'kmaq lui fournissent, comme à William Cormack avant lui, de nombreux renseignements sur la géographie du territoire. En 1840, il remonte la rivière Exploits jusqu'à Grand Falls.

Joseph Beete Jukes, vers 1860
Joseph Beete Jukes, vers 1860
Avec la permission du Centre for Newfoundland Studies, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Après 1840, l'Assemblée législative de Terre-Neuve met un terme au financement du levé géologique de Joseph Jukes. Celui-ci retourne donc en Angleterre. Il publie en 1842 un ouvrage très intéressant intitulé Excursions in and about Newfoundland, during the years 1839 and 1840 [Pérégrinations à Terre-Neuve dans les années 1839-1840] sur son séjour dans la colonie. Il fait paraître séparément les résultats de son levé géologique. Il s'y montre d'ailleurs précautionneux sur les ressources minières et agricoles potentielles de l'île. Il lance enfin une carte qui récapitule l'état des connaissances géographiques sur l'arrière-pays à cette époque.

Frederic Newton Gisborne

En 1851, Frederic Newton Gisborne (1824-1892) traverse la partie sud de l'île. Cette importante expédition ne vise pas la réalisation d'un levé géologique. Pionnier de la télégraphie, d'abord dans les Maritimes puis à Terre-Neuve, il prend part à la constitution en société de la Newfoundland Electric Telegraph Company. Il installe ensuite une ligne télégraphique entre St. John's et Carbonear, puis envisage la construction d'une ligne télégraphique qui relierait St. John's au cap Ray puis au Cap-Breton. Il amorce son périple avec une équipe formée de Mi'kmaq et de blancs. Ces derniers ne poursuivent pas le trajet au-delà de baie White Bear. Il note soigneusement dans son journal tous les événements imprévus de son pénible voyage dans la partie sud de l'île. Son levé topographique modifie considérablement la cartographie de la région. Des sources racontent que les compagnons blancs de Frederic Newton Gisborne l'abandonnent en cours de route et que, parmi les Mi'kmaq qui l'accompagnent, certains meurent ou lui faussent compagnie. Toutes ces histoires sont inexactes. En 1856, la construction de la ligne télégraphique en direction du cap Ray est finalement terminée. Cette entreprise s'est révélée très difficile et coûteuse. Le lac Gisborne porte son nom.

Chaîne de montagnes du cap Ray, 1866
Chaîne de montagnes du cap Ray, 1866
Aquarelle du capitaine Francis George Coleridge (1838-1923).
Avec la permission des Archives nationales du Canada, C-102483.

Alexander Murray et James Howley

Frederic Newton Gisborne s'intéresse aussi à l'exploitation minière et insiste auprès de l'assemblée terre-neuvienne sur l'utilité d'un levé géologique de l'île. La Geological Survey of Newfoundland [la commission géologique de Terre-Neuve] est mise sur pied en 1864. Alexander Murray (1810-1884) en est le premier directeur. James P. Howley (1847-1918), devenu son collaborateur en 1868, lui succède à la direction de la commission en 1883. Les deux hommes explorent les littoraux nord-est et nord-ouest et la partie centrale de l'île, de même que d'autres parties de l'arrière-pays pour en dessiner la cartographie. James P. Howley poursuit ensuite ce travail seul jusqu'à la cessation des activités de la Geological Survey of Newfoundland en 1909.

Ainsi, en 1865, Alexander Murray parcourt le territoire entre la baie Halls et la baie St. George. En 1874, il explore les bassins des rivières Gander et Exploits. De son côté, au cours de périples longs et ardus, James P. Howley explore en profondeur le territoire entre les côtes sud et nord-est. Par exemple, en 1888, il remonte la rivière Bay d'Est jusqu'au lac Meelpaeg, puis traverse la rivière Exploits. Il passe plusieurs saisons dans la région du lac Grand à la recherche de veines de charbon pouvant offrir un potentiel d'exploitation commerciale.

Carte géologique de Terre-Neuve, 1919
Carte géologique de Terre-Neuve, 1919
La carte géologique de Terre-Neuve réalisée en 1919 par James Howley. La version agrandie montre bien les caractéristiques géologiques de l'île, le trajet suivi par William Cormack en 1822, le levé de 1875 associé à la construction du chemin de fer et l'étendue des voies ferrées et des lignes télégraphiques.
Avec la permission de la cartothèque de la Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les rapports de la commission géologique, ainsi que la publication des cartes d'Alexander Murray en 1873 et 1879 et de James P. Howley en 1907 et 1919, brossent un tableau plus complet des ressources de ce territoire et confirment la topographie de l'arrière-pays. Ils constituent aussi un outil préparatoire essentiel à la construction du chemin de fer, qui se déroule de 1881 à 1897, et au développement de l'industrie forestière.

Alexander Murray et James P. Howley ne sont pas les seuls non-autochtones à s'aventurer dans l'arrière-pays. Au fil des ans, les arpenteurs, les ingénieurs et les travailleurs qui participent à la construction des lignes télégraphiques et du chemin de fer élargissent leur connaissance de l'arrière-pays. Les premiers touristes venus y chasser et pêcher y contribuent également. À la fin du 19e siècle, l'arrière-pays n'est plus un mystère pour les Européens comme il l'était à l'époque de l'expédition de William Cormack.

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